Interview de Taguhi Hagopyan traduit en arménien par Anahit Avétissian , du 3 décembre 2010 pour Jamanak et 1er Media.
In english on Keghart.com translated by Hasmig Kurdian.
En tenant compte du fait que vous voyagez souvent en Arménie et que vos séjours vous aient inspiré plusieurs livres, pouvez-vous répondre aux questions suivantes pour le journal Jamanak qui paraît à Erevan et à Los Angeles ?
Taguhi Hagopyan : Dans un de vos livres, vous vous êtes penché sur la période qui précède et qui suit les événements du 1er mars 2008. Selon vos impressions, dans quelle situation se trouvait l’Arménie avant cette date, et dans laquelle se trouve-t-elle deux ans plus tard ?
Denis Donikian : J’ai écrit plusieurs livres sur l’Arménie depuis la fin des années 60. Deux sur la période soviétique ( Ethnos et Les Chevaux Paradjanov), un autre sur l’époque du Charjoum ( Le peuple Haï), un troisième sur les années Kotcharian (Un Nôtre Pays). Tous sous l’angle des droits de l’homme. J’ai participé comme observateur aux deux dernières élections ( législatives et présidentielles), pour répondre à l’appel lancé à la diaspora par la regrettée Amalia Oskanian, directrice de l’antenne arménienne de Transparency international. Mes observations et ma présence en Arménie de 2006 à 2008, précisément le 1er mars 2008 devant l’ambassade de France, ont donné lieu à un livre bilingue français-arménien intitulé EREVAN 06-08 ( Actual Art, 2008). Depuis, j’ai écrit de nombreux articles, publiés soit sur mon blog Ecrittératures, soit dans le mensuel Nouvelles d’Arménie Magazine, dénonçant la politique du gouvernement arménien actuel. Aujourd’hui, je parcours les provinces arméniennes et j’interroge les gens. Mon dernier livre intitulé SIOUNIK MAGNIFICAT (édition bilingue Actual art, 2010) montre la grande misère des villages et de ses habitants. D’année en année, je constate que la situation est de plus en plus catastrophique. J’étais encore en Arménie en octobre 2010, où j’ai constaté que les gens les plus accrochés au pays avaient décidé de le quitter. J’ai écrit un article très critique sur le téléphérique de Tatev. Je l’ai fait traduire en arménien et envoyé aux journaux Hraparak, 168 jam et Hetq. Aucun ne l’a publié.
T H : Vous avez signé une petition en faveur de la libération de Nikol Pachinyan. Les Arméniens de la diaspora ont toujours été attentifs et prudents quand il s’est agi de prendre position sur les affaires intérieures de l’Arménie, concernant les violations des droits de l’homme. Que s’est-il produit depuis, les stéréotypes ont-ils été brisés ?
DD : J’ai signé la pétition qui se trouve sur le site Keghart .com () et j’ai reproduit l’article en faveur de la libération de Nikol Pashinyan sur mon blog Ecrittératures. Dans plusieurs de mes articles, j’ai reproché à la diaspora arménienne de France de n’être pas assez critique vis-à-vis du gouvernement actuel. J’ai toujours dit que les Arméniens de France étaient des citoyens économiques de l’Arménie et qu’à ce titre ils avaient non seulement un droit de regard sur l’argent qu’ils donnaient au pays, mais surtout un devoir critique concernant ses orientations sociales. Le regard de la diaspora commence à changer, mais l’attitude de ceux qui la dirigent et qui ont affaire au gouvernement arménien frise trop souvent la soumission. J’ai toujours pensé que les divers gouvernements de l’Arménie n’aimaient la diaspora que pour son argent, et n’avaient que faire de ses doléances, exigences ou points de vue.
T H : Pour avoir voyagé souvent en Arménie, vous avez dû rencontrer divers artistes ou écrivains. Quels sont ceux que vous fréquentez le plus ? Selon vous, que peuvent-ils changer en Arménie ? D’une manière générale quell type de changement est nécessaire en Arménie ?
DD : J’ai fréquenté à une époque le groupe de Bnagir, puis Inknagir ( Vahan Ishkhanian, Violette Grigorian, Mariné Pétrossian) mais aussi Vahram Mardirossian, Arpi Voskanian qui n’en font plus partie, et je les ai tous traduits en français). Mais à present je les vois moins. Je fréquente quelques personnes autour d’Actual Art, surtout son éditeur Mkrtitch Matévossian, qui fait un travail éditorial de premier plan en Arménie et qui mérite d’être encouragé. Nous travaillons souvent ensemble, non seulement pour mes livres mais aussi pour d’autres collections ou d’autres activités. Malheureusement, j’ai tendance à penser que les écrivains d’Arménie n’ont ni les moyens culturels pour faire des livres majeurs sur leur pays, ni les moyens matériels pour les diffuser, en Arménie ou ailleurs. Ils sont trop accaparés par la pression de l’histoire, la ferveur nationale et la recherche du scandale.
T H : Parmi les écrivains actuels, lesquels sont le plus traduits et lus à l’étranger ? Par exemple, quelle place occupe la litérature arménienne dans l’ensemble des écrits du monde ?
DD : Si je me place du point de vue d’un Français de souche, les auteurs arméniens sont totalement méconnus. Pour qu’elle existe et qu’elle soit publiée en France – je ne peux pas parler pour les autres pays – la littérature arménienne doit fournir des romans de qualité, de type européen, traduits par des traducteurs de qualité. A ma connaissance, nous n’avons ni les uns, ni les autres. Alors que les éditeurs français sont en recherche de romanciers arméniens. ( pour autant, Glissement de terrain de Vahram Martirossian que j’ai traduit, a trouvé un éditeur… au Canada, pas en France. C’est un cas isolé). Il faut espérer que les jeunes générations de prosateurs ( comme Hratchia Saribékian, Harout Kbéyan et autres…), qui ont entre 25 et 35 ans sauront relever le défi.
T H : Il serait intéressant aussi que vous nous donniez votre point de vue sur les perspectives des rapprochements arméno-turcs. L’année précédente, quand Serge Sarkissian s’est rendu en France après la signature des protocoles, il y a eu des répercussions très vives de la part de la diaspora. Comment se comporte-t-elle aujourd’hui à propos de cette question sensible ?
DD : Les Arméniens d’Arménie doivent savoir que la diaspora arménienne de France a pour combat prioritaire la reconnaissance du génocide par la Turquie d’une manière générale, et plus précisément la mise en place de sa pénalisation par le gouvernement français. Ce qui malheureusement, et malgré les Phonétons et autres, les éloigne des problèmes actuels que traverse l’Arménie. Ce besoin de reconnaissance est devenu une idéologie qui a pris le pas sur la culture vivante. Pour ma part, je milite pour cette reconnaissance depuis le milieu des années soixante. J’ai écrit de nombreux articles sur ce sujet en tant que rédacteur en chef du site Yevrobatsi.org ( Articles qui ont été réunis dans le livre Vers L’Europe publié par Actual Art) Mais depuis quatre ans, je me suis engagé dans le processus du dialogue avec des amis turcs en déposant chaque année une gerbe commune devant la statue de Komitas à Paris. Je suis également en rapport avec trois des quatre signataires de la lettre de pardon turque. C’est que je refuse de confondre gouvernement turc et société civile turque. Les Arméniens doivent travailler contre le premier et avec la seconde. Les prérogatives de Serge Sarkissian ont profondément choqué la diaspora de France, même si celle-ci avait été “travaillée” par le parti Daschnaksoutioun pour refuser les protocoles. Cependant, la diaspora a eu l’impression que le président Sarkissian bradait – à tort, selon moi – la question du génocide au seul profit d’une ouverture des frontières. Elle s’est persuadée qu’elle comptait pour rien dans les pourparlers avec son ennemie de toujours, la Turquie. J’ai d’ailleurs écrit un article à ce sujet : Diaspora arménienne ou les cocus de l’Arménie traduit en anglais et paru en arménien dans Lrakir.