Ecrittératures

24 septembre 2017

LAO (roman, 5)

Filed under: ECRIT EN COURS — denisdonikian @ 5:56

 

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LAO ( roman, 5)

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( Photo Alain Barsamian, copyright)

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Traverser la route… La petite vieille s’éloignait avec son fardeau, et toi, c’était ton épreuve qui t’étranglait déjà. Le mauvais sang faisait ses sueurs. Tes jambes tout à coup ramollies. Elles avaient mal rien qu’à l’idée de te porter de l’autre côté. Vingt mètres de macadam où un monstre en embuscade happait le moindre fétu rêveur ou aventureux imbécile. Non loin de là sur le bitume, d’une écrasure de peau sortait un sang mêlé de terre… Comme du chat broyé. Un minou de campagne, ça ne devrait pas s’autoriser à trottiner sur les routes comme dans les champs. Les routes sont enfiévrées de folies. Des voitures sanguinaires y ravagent n’importe quelle vie en moins de deux, aussi bien homme que moucheron ou semence en plein vol. Du crime en permanence et par accident, la route… Et pourtant, il fallait la faire, cette traversée. Plus tueuse qu’un Yang-Tsé-Kiang au meilleur de sa furie. Par temps clair, on peut choisir le bon moment. Et le nez au vent, déambuler comme à la plage. Mais maintenant, les bolides crevaient le voile de brume sans crier gare. Maintenant, ta traversée, tu devais la jouer à pile ou face. Au risque de te faire hacher d’un tour de roue. Dans un sens comme dans l’autre. Et passe encore que tu arrives au milieu du gué. Les pieds sur la ligne médiane, faudrait à te décarcasser pour éviter le destin du chat mort. Mieux valait cavaler dès la première accalmie. Elle vint. Tu te dératas sans fléchir, galopant à toutes jambes, la panique aux talons… Et te voilà miraculé sur l’autre bord. Ton cœur battait la cloche et tes gambettes flageolaient comme du roseau sous le vent.

Tu aurais bien fait signe à la mamie que c’était gagné, mais elle broutait sa rancune sans même lever la tête. Brusquement, un camion qui l’empoussiéra au passage l’ayant gonflée de colère, elle se mit à tousser pour cracher le fond de ses bronches tellement ça devait la gratter. Puis à s’essuyer les yeux et regarder autour d’elle. Comme se réveillant d’une mauvaise nuit. C’est alors qu’elle t’aperçut. Tu secouas les bras, criant entre deux voitures : « J’y suis ! J’y suis ! Et maintenant je vais dans quelle direction ? » Elle se montrait sourde, tournant l’oreille vers tes appels. Sûrement que ses pauvres yeux aussi n’arrivaient pas jusqu’à toi. Tout à coup, la conscience lui revenant avec la perception, elle te fit signe de marcher plein sud. D’un geste de la main : « Par là ! Par là ! » Puis, replongeant dans son obsession, elle se remit en route. Et tu te remis en route. Et tous les deux, dans le même sens, vous marchiez. Elle avec son barda à la traîne, toi avec ton café en tête. Parallèlement et séparés.

Un commentaire »

  1. Je viens de lire LAO 5 c’est passionnant.
    A petites doses ça l’est davantage, comme un feuilleton dont on attendrait impatiemment la suite.
    Merci Donikian !!!!
    À bientôt Mekhit.

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    Commentaire par Alain BARSAMIAN — 24 septembre 2017 @ 6:20


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