Ecrittératures

25 janvier 2021

11 : « Où je meurs renaît la patrie » : ARMÉNIE : ÎLE aux REQUINS et aux COQUINS

Filed under: "OU JE MEURS RENAIT LA PATRIE" — denisdonikian @ 6:47

(Photographie : Jean-Bernard Barsamian, copyright)

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Aujourd’hui, la configuration géopolitique du Sud Caucase fait émerger plus que jamais des lignes nouvelles de fracture et de tension selon le jeu des alliances, l’intérêt des puissances et la voracité des loups. Pour le moins, cette guerre aura permis à l’Arménie de mesurer à quelle hauteur et à quelles bassesses s’est située l’amitié de son voisinage géographique et de son cousinage idéologique, la haine qui vous saute aux yeux et à la gorge étant forcément plus facile à reconnaître. S’il est clair que la Turquie et l’Azerbaïdjan font front commun contre l’Arménie dans le but de la dévorer, il s’est avéré que des pays qu’on n’attendait pas ont néanmoins révélé leur véritable visage, à commencer par Israël. (A force de négocier avec le diable on finit toujours par devenir diabolique, sachant que, pour tester ses nouvelles armes et les utiliser le cas échéant pour se défendre, tout n’est pas permis, à commencer par le fait de contribuer au massacre de ses « frères en génocide »). Sans parler de ces démocraties qui, en sous-mains, sinon en sourdine, n’ont pas hésité à coucher avec le monstre Aliev au nom de leurs intérêts économiques ou stratégiques. Comme François Hollande, juste après ses visites en Arménie, en mai 2014 et avril 2015, vendant à Aliev des satellites à usage militaire. (A force de commercer avec le monstre, on finit toujours par devenir monstrueux). Pour l’Iran, on pourrait admettre qu’il avait ses raisons pour ne pas reconnaître sciemment le droit du Haut-Karabagh à l’autodétermination, craignant d’enflammer sa minorité azérie. Quant à la Géorgie, en laissant passer l’armement turc sur son territoire, elle a bel et bien montré que le racisme anti arménien qui se décline en injures dans sa société n’était pas un vain mot même dans son gouvernement. Pour ce qui est de l’Europe, elle s’en est tenue à respecter envers l’Arménie le «  minimum syndical » auquel elle se croyait obligée en envoyant du secours humanitaire aux Arméniens – mais aussi, comme la France, à l’Azerbaïdjan pour faire acte de neutralité – lourdement éprouvés par le Covid 19 et la guerre. (Comme nous l’avons rappelé, demander à la France d’intervenir militairement en marchant sur les pieds de la Russie poutinienne relève de l’impensable, sinon du ridicule). Dès lors, ne restait à l’Arménie pour respirer que de consentir à se faire prendre dans les filets du frère russe plutôt que de se faire pendre par leurs bourreaux de toujours.

Cela dit, ces jeux d’échange et de cache-cache vont avoir de graves conséquences sur l’avenir de cette région. On jurerait que le grand méchant loup turc va devoir un jour ou l’autre faire payer son aide à l’Azerbaïdjan au prix fort, à savoir par une soumission planifiée et par une invasion rampante. Au début, tout commence avec des mots de fraternité, lesquels se concrétisent en une aide militaire, avant de se diluer dans une mise sous tutelle sournoise puis déclarée. Certes, on peut admettre qu’Aliev sorte de cette pseudo victoire renforcé auprès d’une population fanatique et servile. Mais on est en droit de douter que les élites, en leur for intérieur, attribuent ce triomphe aux seuls Azéris. Les officiers de l’armée azerbaïdjanaise ont dû être passablement humiliés d’avoir été mis sur la touche au profit des instructeurs turcs. Certains n’en voulaient pas qui craignaient un jour d’avoir à donner leurs femmes après avoir cédé sur leurs galons. Or, rien n’est plus insupportable que l’humiliation, laquelle finit souvent en rébellion.

Pour l’heure, l’entente entre les deux ogres de barbarie est d’autant plus cordiale qu’elle répond à un même objectif, celui de serrer en étau une Arménie qui fait obstacle au déroulement du tapis rouge qu’on voudrait voir courir des rives Bosphore jusqu’aux confins de la Chine. Prévues en février 2021, les prochaines manœuvres des deux pays dans la région de Kars semblent rejouer le scénario gagnant de septembre-octobre 2020 qui a permis des avancées considérables dans leur ambition de comprimer le territoire arménien. A telle enseigne, qu’en Arménie, la population vit dans la hantise d’une nouvelle guerre, sans trop savoir de quel côté elle va surgir. En tout cas, ces exercices ont pour fonction de produire chez les Arméniens le sentiment d’un pays ouvert à tous les vents de l’envahissement et de leur inspirer ce délire obsidional qui les ramène aux plus brûlantes réalités de leur vie.

Or, notons que l’Arménie n’ayant pas agressé la Turquie et restant ouverte au dialogue avec l’Azerbaïdjan, cette guerre, plutôt que d’être défensive, a eu tous les aspects d’une attaque de type ethnique. On en voudra toujours aux Arméniens, non pas pour ce qu’ils font (quitte à propager des mensonges les plus noirs), mais pour ce qu’ils sont. Le comportement des soldats azéris envers les vivants et les morts arméniens, contraire au droit international et au respect humain, témoigne de motivations purement racistes. Les Arméniens ont donc à affronter non des hommes mais des Orques venus tout droit du « Seigneur des Anneaux ». Car loin de répondre aux critères les plus classiques, cette guerre n’avait d’autre but que l’effacement de l’autre et aurait été menée à son terme par nos deux crocodiles experts en extermination si la Russie n’était intervenue à temps pour préserver ses intérêts.

Et donc, à considérer ses quatre frontières, il ne serait pas exagéré d’affirmer que le beau pays arménien étant ce qui reste de l’épée ottomane ne s’apparente à rien d’autre qu’à une île coincée par deux requins à l’est et à l’ouest, et par deux coquins au nord et au sud. Les Russes jouant le rôle de pacificateur colonisateur, les Arméniens, s’ils ont encore une voix, chanteront leur passé dans leur langue quelque temps encore en espérant la sauvegarder contre les caresses hégémoniques d’une autre, aussi gloutonnes que les ventouseries d’une pieuvre.

Mais comme le malheur arménien ne vient jamais seul, ce sont les Arméniens eux-mêmes qui, cette fois encore, prouvent qu’ils ont le génie d’en rajouter. Soucieuse d’affronter des ennemis extérieurs ouvertement offensifs ou sinistrement sournois, l’Arménie subit de plein fouet une contestation plus primaire que démocratique, faisant remonter des relents de racisme interne qui n’ont rien à envier à ses voisins, le mot « Turc » devenant une injure ici à l’instar du mot « Arménien » en Turquie (voir à ce propos l’excellent article de Sahag Sukiasyan sur le site Armenews du 24 janvier). Plus vindicatifs que préoccupés par le bien public, ces chantres de la revanche et du renouveau national faisant fi des réalités politiques contraignantes du moment haussent le ton et brandissent leur baguette magique en annonçant qu’ils vont diluer l’humiliation de la défaite par on ne sait au juste quels moyens, sinon un programme où l’utopie le dispute à la connerie… Oubliant que dans un moment aussi crucial, ils affaiblissent le pays non seulement en croyant retrouver une confiance populaire perdue par trente années de fraude et de mépris mais surtout en sapant le sacro saint principe d’une union sacrée devant un ennemi qui use de toutes les coalitions pour mener à bien ses ambitions d’annihilation de la nation arménienne. Mais pire encore, ils font de la basse politique à un moment où la population arménienne est plus vulnérable que jamais à cause de l’épidémie du Covid-19.

D’où l’on peut voir que, dans le contexte brûlant actuel, n’est pas si folle que ça la métaphore qui fait de l’Arménie une île menacée tant par ses propres voisins que par les plus salauds de ses citoyens, comme si elle avait le génie de nourrir en son sein de ces montres qui n’ont rien à envier aux requins et coquins qui l’entourent.

Ainsi donc, au moment où les optimistes obsessionnels parlent d’espoir, d’unité, de force, l’Arménie semble condamnée à une triple peine : la menace de deux dictatures génocidaires, la guerre sanitaire contre le Covid-19 et cette coalition d’opposants véreux qui instrumentalisent la démocratie au profit de leurs propres affaires.

Denis Donikian


à lire :

« OÙ JE MEURS RENAÎT LA PATRIE » ( Louis Aragon)

1 D’ABATTEMENT en RÉSILIENCE

2 DÉFAITE DU TRIOMPHALISME

3 QUAND LE PERDANT GAGNE CE QUE LE GAGNANT PERD

4 MORT OU EST TA VICTOIRE ?

5 L’HEAUTONTIMOROUMENOS

6 RESTES DE DRONES

7 LE MALHEUR DÉMOCRATIQUE ARMÉNIEN

8 GERARD J. LIBARIDIAN et le NAGORNO KARABAGH-ARTSAKH

9 NOUS ÉTIONS TROIS CENT DEUX

10/A LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/B LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/C LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/D LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/E LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/F LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/G LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/H LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/I LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

10/J LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE

11 ARMÉNIE : ÎLE aux REQUINS et aux COQUINS

Haï Q (8)

Filed under: HAï Q — denisdonikian @ 4:58

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Au-delà des nuages

De la nuit et du froid

Voyage la lune en moi

 

Coïtus benedictus (9)

Filed under: COITUS BENEDICTUS — denisdonikian @ 4:54

 

 

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Dégustatif – À tant brouter ton herbe rose,

Me voici plus au cœur de la beauté des choses.

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