
Christ of St John of the Cross Dali, Salvador (1904 – 1989, Spanish) Spain, Port Lligat.
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Roy marchait le nez dans le caniveau, ce jour-là qui était un lundi mi vert de gris mi chair de poule tandis qu’il s’apprêtait à franchir la porte du magasin où il avait coutume d’acheter fruits autant que légumes vierges de peste et venin. Mais difficile à Roy d’éviter la sentinelle figée, du genre statue de pierre, d’un côté de la porte, et parfois de l’autre. Un gueux d’Europe centrale pourchassé par les calamités politiques et venu s’échouer sur ce parking où s’accumulaient les voitures de simples gens cherchant à se nourrir loin des grandes bâfreries pestiférées. Le pèlerin de misère fixa Roy par en-dessous, tandis que Roy laissait glisser son regard avec la ferme intention d’échapper à la gène d’une confrontation entre un affamé tiraillé par le manque et un tyrannisé aux soucis de santé. En moins de pas que trois, il entrait dans le magasin, libre enfin de ses choix. Mais pas si libre que ça, comme il le croyait. Au moindre de ses achats, l’autre lui mordait le bras. Une part pour moi, qu’il voulait dire. Les courses de Roy se firent de plus en plus infernales. Des rires lui fusaient sous le crâne, grevés d’ironiques remarques, propres à lui entraver le mouvement. Déjà des trahisons lui sabraient le cerveau. Il sentait monter en lui des effluves de générosité et des murmures d’empathie. J’ai bien de la vieille monnaie encombrante qui ferait probablement chez lui un grand feu de joie, se disait-il. Quelle monnaie ? qu’on lui répliquait aussitôt. Tu cherches à cacher dans les plis de ton gras ce billet de vingt euros que tu réserves à une de tes lubies secrètes, je parie ? Et moi qui n’ai rien à me mettre au gosier ! Roy approuva dans sa tête en feignant d’avoir entendu la leçon. La caissière, une Africaine qui se donnait des airs de reine avec des cheveux montés en termitière, semblait avoir perçu une trouble inquiétude avec une certaine pointe de paix sur les lèvres de Roy, dont le cabas pesait le poids de ses lâches finasseries. A peine Roy fût-il dehors que le gueux lui adressa un regard assez dur, propre à lui remonter les bretelles. Roy posa son sac et chercha longuement le billet de vingt euros perdu dans le labyrinthe de son portefeuille. Et au moment fort où il le tendait mollement à l’homme, il sentit monter de sa main une électricité qui lui traversa le bras et qui vint irradier toute sa carcasse. Tellement que tout son corps s’éventra, qu’un chant inaudible vint désassombrir ses chairs. Il oublia un instant qu’il était Roy, marié à Rinette, père de trois enfants : Pier, Bowl et Lucy et d’un chat à poils blancs, noirs et gris nommé Fuki. Et il leva la tête à l’instant précis où du ciel qui se fendait en quatre jaillit un glaive de lumière qui vint baigner sa main donneuse. Sa tête s’épanouit en fleur de cactus, son œil suça des vérités célestes et sa bouche muette fit glouglouter dans sa gorge des ébullitions de joie. C’est alors que, se dirigeant vers sa voiture, Roy crut marcher sur les flaques d’eaux sans même y tremper ses semelles. Tiens ! Tiens ! se dit-il.
Extrait de : L’aube du paralytique
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