Ecrittératures

20 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! ( 23 et dernière)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 5:09
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23

Roubo : Alors, voisin, vous avez vu des alléluias, on dirait ? Les saints vous auront tiré des extases.

Dotzi : Pour ça, deux suffisent.

Roubo : Comment deux ? Je pensais que vous auriez baigné dans une mer de saints, une partouze de sanctus…

Dotzi : Eh quoi ? L’infirmière n’avait pas un poitrail débordé pour en contenir tant ! Mais juste ce qu’il faut, et où il faut.

Roubo : Ah ça ! Vous revenez de la grande ténébreuse et vous n’avez d’autre envie que de vous farcir les yeux, faute de vous remplir les paumes !

Dotzi : J’y suis rentré tous feux éteints et me voilà avec une forte envie de me dessaler.

Roubo : De vous dessouler, vous voulez dire ?

Dotzi : Quitter un désert, ça donne soif.

Roubo : Vous ne l’avez donc pas eu, le privilège de …

Dotzi : Pas eu, quoi !

Roubo : Le privilège de baigner dans l’amour…

Dotzi : Me souviens de rien…

Roubo : On revient donc à la case départ.

Dotzi : « J’ai mal ! Je veux mourir » ?

Roubo : Mais vous n’avez plus mal ! Et vous ne voulez pas mourir !

Dotzi : Ah ça non ! Plutôt crever !

Roubo : On vous a mis dehors et on vous a fait revenir sans encombre… On n’arrête pas le progrès.

Dotzi : C’est reparti pour un tour.

Roubo : Après la nuit, l’ennui…

Dotzi : Que vais-je faire de cette vie qui m’a été rendue ?

Roubo : Vous verrez bien. Vous avez toute la vie devant vous…

Dotzi : Toute la vie ? Comme vous y allez !

Roubo : Enfin, vous ferez ce que vous pourrez. Biner vos patates, par exemple.

Dotzi : C’est bien là le problème. C’est que je peux de moins en moins…

Roubo : Si au moins vous aviez vu l’amour dans votre nuit ! Mais non. Monsieur se balade dans l’au-delà et en revient comme il était avant. Ce n’est pas ce que disent les illuminés…

Dotzi : Je suis maudit alors ? Dieu n’a pas voulu de moi vu que je n’ai pas vu l’invisible.

Roubo : Dieu est mort pour vous.

Dotzi : Je n’ai pas dit ça.

Roubo : Mais si vous aimez tant tâter les seins, il faut dire que ça fait obstacle.

Dotzi : Le miracle n’est pas pour demain.

Roubo : Il y a du chemin à faire encore. Et nous avons toute la vie devant nous.

Dotzi : Qui sait jusqu’à quand la vie voudra encore de nous ?

Roubo : Qui sait ?

Dotzi : Qui sait si elle ne nous donnera pas encore la chance de mourir pour voir l’aube ?

Roubo : Qui sait ?

Dotzi : Mais que faut-il faire pour ça ?

Roubo : Mourir à la mort et sourire à l’amour…

Dotzi : Qui sait ?

Roubo : Et ne plus crier «  J’ai mal ! Je veux mourir ! »

Dotzi : Je sens pourtant que ça revient…

Roubo : Qu’est-ce qui revient ?

Dotzi : L’envie de…

Roubo : Infirmière ! Infirmière !

 

 

FIN

*

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18 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (22)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 4:36

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22

(L’infirmière est revenue)

Roubo : Vous l’avez ?

L’infirmière : Avec cette pique, il devrait décoller comme un boeing.

Roubo : Allez-y ! Dans le gras de la fesse !

L’infirmière : Ne me troublez pas, sinon je pars en vrille.

Roubo : Estocade ! Et d’un coup sec ! Ne le pointez pas en douceur ! Faites ça avec foi et détermination. C’est un mort qu’on doit remettre debout.

L’infirmière : Pour l’instant, il est bien couché !

Roubo : Eh bien découchez-le, que diable ! Mettez-le au garde-à-vous !

L’infirmière : Je pique.

(L’infirmière pique. Quelques secondes passent)

Roubo : Alors ?

L’infirmière : Rien ! Ah si ! Il trépigne… Il s’ébroue… Et maintenant voilà qu’il se retourne. Il se frotte les yeux…

Roubo : Penchez-vous sur lui ! Bien bas. Le panorama de vos seins devrait lui assurer un atterrissage en douceur.

L’infirmière : Alors Monsieur Dotzi ! On se remet ? (à Roubo) Il fait le bébé qui vient au monde. Il semble contrarié. Maintenant il ouvre les yeux…

Roubo : On l’aurait arraché à son paradis on dirait.

L’infirmière : Quel jour sommes-nous, Monsieur Dotzi ? Un vendredi ? Un samedi ?

Dotzi : (Il murmure) C’est ça, un paradis…

Roubo : Attendez au moins que sa parole remonte à la surface !

L’infirmière : Qu’avez-vous eu au menu hier ?

Roubo : Mais vous délirez ! Laissez-le tranquille à la fin !

L’infirmière : Êtes-vous marié, monsieur Dotzi ? Comment se prénomme votre femme ?

Dotzi : Paradis…

Roubo : Qu’est-ce que vous lui chantez-là ?

L’infirmière : C’est pour tester sa mémoire. A l’école on nous apprend comment pousser le patient à se réapproprier son histoire. Il parle de paradis…

Roubo : Tout viendra à son heure. Inutile de le bousculer.

L’infirmière : Peut-être ! Mais il faut bien qu’il se remette en selle.

Roubo : Dites-lui de pousser dans ce cas, puisqu’il faut qu’il s’enfante.

L’infirmière : Avec lui, je pêche en eaux troubles pour l’instant. Il n’a que le mot paradis à la bouche.

Roubo : C’est un bon début. Un paradis vaut mieux que deux enfers…

L’infirmière : Monsieur Dotzi ! Monsieur Dotzi ! Quel jour sommes-nous ?

Roubo : Je l’ignore moi-même, avec tous ces brouillards qu’on a mis dans ma tête.

L’infirmière (à Roubo) : Alors, vous aussi ? Il va falloir qu’on vous repêche ?

Roubo : Qui sait ? Parfois j’ai des absences. Je me demande qui je suis.

Dotzi : ( Il crie) Des seins ! Des seins ! Mon Dieu ! Des seins !

Roubo : Tiens ! C’est le paradis qui lui revient, on dirait ! Vous voyez ! Vos années d’école sont bien moins efficaces que vos charmes !

L’infirmière : Qu’est-ce qui vous arrive, Monsieur Dotzi ? Vous parlez de paradis, de saints, de Dieu… Je n’ai jamais entendu ce genre de bouillabaisse de la part d’un malade. Il faut que j’en avise le médecin.

Dotzi : Seins ! Seins !

(L’infirmière s’en va)

17 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (21)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 4:45

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21

Roubo : Monsieur Dotzi ! Monsieur Dotzi ! C’est l’heure du repas.

(Bas, se parlant à lui-même) Des fois qu’un nom de plat lui remettrait le cerveau en marche !

(Haut, s’adressant à lui) Au menu aujourd’hui : salade de lentilles, courgettes à l’eau sans sel, saucisses de volaille. Yaourt et banane en dessert…

Banane, Monsieur Dotzi ! Banane !

( Il tend l’oreille du côté de son voisin)

Vous n’aimez pas la banane, Monsieur Dotzi ? Une bonne banane bien mûre…

(Bas) C’est à désespérer s’il n’aime pas les bananes.

(Il tend encore l’oreille) Aucun chuchotement. Aucun sifflement. Aucun souffle…

( Bas) Et s’il était fini ? Et si tout était plié ?

Comme c’est curieux !

Partir, sans retour possible… Or, voilà trop longtemps qu’il dort. C’est donc qu’il est bien parti et qu’il ne reviendra pas, allez ! Lui qui voulait tant mourir parce qu’il avait mal, le voilà servi !

Et maintenant avec qui vas-tu causer, Roubo ? Avec toi-même ?

Ah, c’est malin ! Vraiment, c’est malin, Monsieur Dotzi, d’abandonner son monde comme vous faites !

16 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (20)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 8:46

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20

(L’infirmière revient pour surveiller Dotzi)

Roubo : Il dort, vous croyez ?

L’infirmière : On dirait.

Roubo : Quoi, on dirait ? Soit il dort ! Soit il ne dort pas ! En ce cas il est mort. Vérifiez ! Qui sait ?

L’infirmière : Mais comment ? Il est couché sur le ventre, face contre l’oreiller.

Roubo : Comment fait-il pour respirer alors ? Par le cul ?

L’infirmière : Il faudrait le retourner.

Roubo : Et si c’était trop tard ?

L’infirmière : En tout cas, il est inerte.

Roubo : Vous n’auriez pas forcé la dose, vous ?

L’infirmière : En général, ça passe. Sinon, ça trépasse…

Roubo : Le zéro ou l’infini, en somme…

L’infirmière : C’est bien là le problème.

Roubo : Secouez-le pour voir !

L’infirmière : (secouant Dotzi, légèrement) Monsieur Dotzi ! Monsieur Dotzi !

Roubo : Alors ?

L’infirmière : Rien. Toujours inerte.

Roubo : C’est embêtant. Appelez le SAMU !

L’infirmière : Mais c’est un hôpital ici ! On a tout ce qu’il faut pour le ranimer !

Roubo : Piquez-lui le cul ! C’est radical.

L’infirmière : Avec quoi ? Je ne porte aucune broche.

Roubo : Comment ça ? Vous n’avez pas d’aiguilles ? Mais vous êtes un hôpital, que je sache !

L’infirmière : Mais pas pour le cul.

Roubo : Quelle importance. C’est une question de vie ou de mort.

L’infirmière : Je vais en chercher une !

Roubo : C’est ça ! Courez !

15 avril 2022

J’ai mal ! J veux mourir ! (19)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 3:21

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19

Roubo : Hé ! Voisin ! Hello ! Monsieur Dotzi ! Vous êtes là ?

(Silence)

Dors, vieux soldat de la vie ! On dit que dormir, c’est comme une petite mort.

C’est ce qu’on dit pour oublier la grande.

Celle qui arrive toujours. Et qui nous finira.

Ô mort ! Ceux qui vont mourir ne te saluent pas.

Puisqu’à ce jeu, nous sommes tous appelés et nous sommes tous choisis.

Il n’y a pas à tortiller.

L’homme naît dans un entonnoir où il tourne en descendant d’un cran chaque année.

C’est inexorable. Le trou noir l’attend et le goulot d’étranglement l’avalera.

Et toi, voisin Dotzi, tu t’es cru déjà avalé, une fois ou deux dans ta vie.
Et même qu’aujourd’hui tu t’es vu précipiter dans cette bouche.

Mais non. Tu n’y étais pas encore. La mort se fout de nous.

Elle joue ! Elle joue ! Et puis un jour elle nous met en joue !

Et feu ! Boum ! Boum !

Mais cette fois, c’est dans ta douleur que tu tournais.

Pas dans l’entonnoir.

Une fois ou deux dans sa vie, on sent bien que la gueuse vous agrippe.

Tout le monde sent ça, l’abîme…

Alors, fais dodo, voisin Dotzi ! Tant que tu peux ! Ce sera déjà ça de pris.

Avant que ton réveil te remette en selle.

Se réveiller ! Ah le bonheur de revoir le jour !

De se retrouver dans le grand merdier de la vie…

Peu importe que ce monde soit notre mal ! Peu importe si c’est lui qui nous porte…

Ici tu te réveilles dans les yeux d’une femme.

Comme une mère qui se penche sur son enfant…

Comme le premier visage de ta nouvelle vie.

Comme tu dors ! Comme tu dors !

Eh bien dors autant que tu voudras, dors ! Autant qu’il sera nécessaire !

C’est comme ça que ton corps reprendra le dessus !

Comme ça que l’encre noir de tes nuages se diluera dans le vaste ciel !

Là où vit la paix !

Et que tu n’aies plus à la supplier, ta mort !

Que tu n’aies plus à dire : J’ai mal ! Je veux mourir !

Car ta mort ne viendra à toi que si elle veut.

14 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (18)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 2:42
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18

(Gémissements)

Roubo : Que vous arrive-t-il ? Vous gémissez gravement, on dirait ?

Dotzi : (soufflant et gémissant) Je suis cassé !

Roubo : Allons ! Allons ! Ce n’est pas dans cet hôpital que vous casserez votre pipe !

Dotzi : Puisque je vous le dis …

Roubo : Pour quelqu’un qui voulait mourir ! Vous auriez tort de vous plaindre !

Dotzi : Je vois le monde tomber ! (Il veut crier mais y arrive à peine) J’ai mal ! Je veux mourir !

Roubo : (Il crie) Help ! Hello ! Hou ! Hou ! Infirmière ! Please ! Mon voisin se meurt ! ( Plus bas) J’ai beau presser le bouton d’alerte, c’est comme si je pissais dans un violon ! Ah ! La gueuse ! Ah vous voilà ! (l’infirmière arrive ) Mon voisin se sent mal. Même que l’envie d’en finir le démange.

L’infirmière : Que vous arrive-t-il, monsieur Dotzi ?

Dotzi (souffle et se met au bort du lit. Il respire avec difficulté).

L’infirmière : Restez couché ! Où avez-vous mal, Monsieur Dotzi ?

Dotzi : (Il reste assis au bord du lit et halète) J’en peux plus ! J’en peux plus !

L’infirmière : J’appelle le docteur. Tenez bon !

(Dotzi se tord sur son lit. Il n’arrive plus à respirer.)

Roubo : Tenez bon la vessie jusqu’à l’arrivée du messie.

(Dotzi respire avec difficulté, son souffle émet des râles.)

Roubo : Ça panique du côté des blouses blanches. Soit on vous mène en bateau soit on vous sort de votre galère !

Dotzi : Fin de partie. Mon corps lâche…

Roubo : Mais non voyons !

(Arrivent le docteur et l’infirmière)

Le docteur : Où avez-vous mal, Monsieur Dotzi ?

Dotzi : J’ai mal là où ça veut mourir…

(Le docteur l’examine et prend son pouls)

Le docteur à l’infirmière : Donnez-lui la dose maximum, en intra-veineuse. En espérant qu’il s’en remette.

( L’infirmière le pique tandis que Dotzi gémit toujours)

L’infirmière : Détendez-vous ! Ça va vous calmer !

( L’infirmière et le docteur restent un moment, tandis que Dotzi s’endort. Puis ils s’éloignent.)

 

13 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (17)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 3:11

 

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17

Dotzi : J’ai mal ! Je veux mourir !

Roubo : Voilà que ça recommence !

Dotzi : Mon calibristi me les brise avec cette sonde en tire-bouchon.

Roubo : Situation inhabituelle mais qui passera, allez ! Il faut vous y faire.

Dotzi : L’enfer, oui ! C’est l’enfer ! Je voudrais vous y voir, vous !

Roubo : Comme votre ouistiti n’est plus libre de ses mouvements, il panique.

Dotzi : Il ne sait plus où se mettre.

Roubo : Même qu’il doit se demander s’il va pouvoir s’y mettre un jour.

Dotzi : Vivement qu’on lui sorte ce machin qui le tourne en bourrique.

Roubo : De toute manière, avec ou sans, ça changerait quoi ? C’est bien vous qui m’aviez dit que votre canne ne péchait plus ?

Dotzi : Oui, mais quand même ! On ne sait jamais. L’appétit, l’occasion et je pense quelque diable aussi me poussant… Enfin vous me comprenez ?

Roubo : J’essaie ! J’essaie !

Dotzi : Or, avec cette entrave plus aucun espoir n’est permis.

Roubo : N’espérez rien de votre corps ! Il fonctionne à sa guise. Vous avez beau désirer le dur, si votre corps ne veut rien entendre, mou il est, mou il restera. Tout ça est à mourir de rire d’ailleurs.

Dotzi : Et quand je ne voudrai plus mourir, c’est lui qui le voudra.

Roubo : Nous mourons tous contre notre volonté. Nous sommes les dindons de la farce.

Dotzi : Les dindons de Dieu, plutôt ! Puisque tout vient de lui.

Roubo : Tout vient de lui et tout retourne à lui.

Dotzi : C’est la fin des feux d’artifice.

Roubo : Rien ne monte. Tout tombe…

12 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (16)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 4:37

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16

Roubo : Blouse bombée à bâbord ! Seins pointés contre nous !

L’infirmière : Eh bien, Monsieur Dotzi ! Est-ce que vous savourez le bonheur d’une vessie libérée ?

Dotzi : N’en croyez rien ! C’est un soulagement par dépendance. Le feu couve et au moindre faux pas, ma mèche se prend l’incendie.

L’infirmière : Pour vidanger votre vessie, nous n’avions pas d’autre voie que de brancher l’urètre à un sac d’évacuation.

Roubo : A Haïku, mademoiselle ! C’est le nom du petit toutou qui tient en laisse le ouistiti de monsieur.

L’infirmière : C’est inhabituel pour vous d’être suspendu à une blague urinaire, mais c’est le prix à payer.

Dotzi : J’ai du mal à m’y faire, vous savez !

Roubo : Puisqu’il souhaite un somnifère, faites comme il dit ! Plus il dormira, moins son aumônière va lui peser.

L’infirmière : Voulez-vous un dormitif, monsieur Dotzi ?

Dotzi : Mais non ! Je n’ai pas le goût à dormir ! (Bas) Ne l’écoutez pas, il répand son fiel pour me titiller.

L’infirmière (se rend près de Roubo) : Monsieur Roubo, vous êtes prié de ne pas intervenir quand je suis avec un patient !

Roubo : Holà ! Le comprimé monte en effervescence on dirait ! Monsieur a mal et je proposais une sortie honorable par l’endormissement, c’est tout !

L’infirmière : Que vous jouiez au bon Samaritain, passe ! Mais je suis là pour ça !

Roubo : J’en conviens. Tout homme qui a mal réclame sa mère. C’est bien connu. Pourquoi d’après vous ? Mais pour la téter. C’est apaisant la tétée…

L’infirmière : Que je sache, je ne suis pas mère nourricière, mais infirmière.

Roubo : Mais toutes les femmes sont les mères en puissance de ces petits garçons que sont les hommes.

L’infirmière : Si je devais donner la tétée à tous les patients qui ont mal ! Vous imaginez la queue ?

Dotzi : Oh oui, j’imagine ! Et comment !

Roubo : Eh bien moi je dis qu’il faudrait des infirmières dont la pratique thérapeutique commencerait par la tétée.

L’infirmière : C’est ça ! Seulement de la thérapeutique à l’érotique, il n’y a qu’un pas. L’hôpital n’est ni une nurserie ni un bordel !

Roubo : Il suffirait de codifier.

L’infirmière : Permettez que j’offre mes seins aux bouches que je veux.

Roubo : A bouche que veux-tu, vous voulez dire ?

L’infirmière : C’en est trop ! Vous vivez dans un monde dépravé qui n’est pas le nôtre.

Roubo : Et pourtant, c’est bien d’amour que le monde a besoin, non ? Celui dont nous rêvons tous. L’amour comme la seule voie pour notre humanité.

L’infirmière : Désolée, mais ce monde n’est pas pour moi.

Roubo : Vous y êtes déjà pourtant, dans ce monde. Que faites-vous sinon de donner des soins à ceux qui en réclament ? Et qu’est-ce que donner des soins sinon donner de l’amour ?

L’infirmière : Des soins oui, mais mes seins, je me les garde. Sinon je les réserve à qui je désire les donner.
Roubo : Les prêter, je précise. Car après coup, vous les remballez et vous les remportez avec vous. Ils vous tiennent au corps, vos seins.

L’infirmière : Je les loue en quelque sorte.

Roubo : En contrepartie d’un bien équivalent, vous voulez dire ? Donc vous en faites une monnaie d’échange. Ce n’est pas de l’amour. Mais du commerce. Croyez-moi, donner la tétée à un malade serait pour lui un don du ciel.

Dotzi : Je n’ai rien demandé à personne.

Roubo : Comment ça ? Il y a peu, vous aviez si mal que vous vouliez mourir. Et c’est bien vous qui réclamiez une infirmière nature, plutôt qu’une infirmière diplômée.

Dotzi : C’étaient des mots pour parler, rien de plus.

L’infirmière : Maintenant, ça suffit ! Sinon je vous pique au sédatif tous les deux.

Dotzi : Une aiguille plutôt qu’un mamelon, en voilà une menace qui pique au vif.

L’infirmière : Vous l’aurez mérité.

(L’infirmière quitte les deux patients)

Dotzi : On l’a échappé belle. Mais qu’est-ce que vous aviez à lui tortiller les seins ?

Roubo : Je voulais m’assurer dans quelle catégorie elle se plaçait : infirmière diplômée ou infirmière nature.

Dotzi : Quand une infirmière fait parler son diplôme plutôt que son humanité, c’est foutu.

Roubo : Humanité, dites-vous ? Que non ! C’est sa féminité qui nous rend la vie douce ! Sa féminité ! Et même sa maternité pour être plus précis !

Dotzi : Vous voyez ça ! Dans un monde idéal, on pourrait se faire soigner dans un hôpital maternel.

Roubo : Pour des gens fortunés, je ne dis pas… Mais si c’était remboursé par la sécurité sociale, il y aurait foule.

Dotzi : Surtout trop d’hommes.

Roubo : Des femmes aussi pourquoi pas ?

Dotzi : Pourquoi pas ?

Roubo : Nous avons tous tété notre mère, hommes ou femmes. Non ?

Dotzi : Tous…

Roubo : Alors !

Dotzi : Alors, ce serait le bordel.

Roubo : Il faudrait codifier.

Dotzi : On a beau dire, je ne m’y fais pas.

Roubo : Qui sait ?

11 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (15)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 5:03

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15

Roubo : Vous voilà bien silencieux. L’envie de mourir qui vous revient, je parie ?

Dotzi : Je pensais à mon cul.

Roubo : A Haïku, votre chien de compagnie ? Vous ne commenceriez pas à l’aimer, vous, ce petit sac à pisse ?

Dotzi : Mon cul ! (fort, en signe de dénégation)

Roubo : Eh bien quoi, votre cul ?

Dotzi : Lui aussi est une voie d’évacuation, n’est-ce pas ?

Roubo : Comme le ouistiti vous voulez dire ?

Dotzi : Mais dans un hôpital, on s’autorise tout. Le bon sens peut être pris à contre sens, au besoin, non ?

Roubo : Comme dans tout hôpital. On y pratique le dérèglement des sens. Un concentré de poésie, si l’on peut dire. Un monde où l’on ose tout inverser pour rediriger vers la vie ceux qui courent à la mort.

Dotzi : Le cul fait naturellement du sortant, mais l’homme en fait du rentrant. Le cul, c’est culturel.

Roubo : Je ne vous suis pas. Vous me fourrez dans un trou noir, vous !

Dotzi : (Bas) Tout doux ! Là, nous abordons les monstruosités du plaisir. Pas d’ice cream en vue ?

Roubo : Pas de blouse à l’horizon. Vous pouvez lâcher vos chienneries à loisir.

Dotzi : Eh bien, j’ai connu l’enfoncement.

Roubo : Quoi ? Vous seriez… Et vous étiez parties prenantes ?

Dotzi : Ah ! Je vous vois venir avec vos salacités ! Mais non, voyons ! Je veux parler de sonde.

Roubo : Un petit thermomètre dans le rectum, comme on faisait jadis ? Rien de très méchant.

Dotzi : Du tout.

Roubo : Quoi alors ?

Dotzi : Un lavage du colon par le rectum.

Roubo : A l’aide d’un clystère, comme au temps de Louis XIV ?

Dotzi : Si je devais comparer… Aujourd’hui je peux l’affirmer : par le cul, ça coule, mais par le calibristi, ça brise.

Roubo : Forcément. Mais c’est une histoire de calibre.

Dotzi : C’est toute la différence entre régalade et capilotade…

Roubo : La nature n’a fait ces orifices que pour bien fonctionner. Mais l’homme cherche à y ponctionner des délices.

Dotzi : Des enfers de délices, je dirais.

Roubo : Quand le délice se fait supplice, c’est là que le délire fait rage.

Dotzi : Tenez-vous bien : une fois, vint aux urgences un patient qui se plaignait d’une grosseur dans le rectum. Le médecin l’examine et que voit-il ?

Roubo : Que voit-il ?

Dotzi : Des neiges dans un paysage de montagne.

Roubo : Comment ça, des neiges ? Il neigeait dans son trou noir ?

Dotzi : J’ai bien dit des neiges. L’imbécile s’était enfilé dans le fion une boule de verre.

Roubo : J’imagine que même avec un miroir, il a eu du mal à la voir tomber, la neige !

Dotzi : Pire. Il n’arrivait plus à déloger sa boule. Elle devait s’y trouver bien.

Roubo : Une constipation de glace en quelque sorte.

Dotzi : Le médecin en était tout retourné.

Roubo : Alors ?

Dotzi : Alors, quoi ? Il a forcé la boule toute une heure pour qu’elle se rende. C’est qu’il n’avait pas la technique. En guise de reconnaissance, son patient lui a laissé l’objet du délire.

Roubo : C’était le moins qu’il pouvait faire.

Dotzi : À la longue, le dit médecin s’était fait une spécialité d’extracteur.

Roubo : Mais un ouistiti bien dur, c’eût été plus à la mode. Et puis, quand les jeux sont faits, ça se retire un ouistiti.

Dotzi : Mais ce n’est guère exotique.

Roubo : Et je suppose qu’il exposait ses trophées dans son cabinet…

Dotzi : C’est lui qui m’a appris l’histoire de la boule de neige.

Roubo : On n’imagine pas dans quel tréfonds l’homme va fourrer son nez…

Dotzi : On n’imagine pas. C’est vrai. On n’imagine pas.

10 avril 2022

J’ai mal ! Je veux mourir ! (14)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 4:23

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14

Roubo : Alors voisin, ça passe ou ça trépasse ?

Dotzi : Ça pisse. J’éprouve un léger apaisement.

Roubo : Un abaissement dans le bas-ventre ?

Dotzi : Mon ballon se dégonfle on dirait.

Roubo : vous bêlez comme un agneau qui rentre à la bergerie. L’idée de mourir vous serait-elle passée ?

Dotzi : De rire ? On peut en rire en effet. Ma brûlure ne me pousse plus à bramer aux abois, on dirait. ( Il lance un cri de douleur) Ah !

Roubo : Quoi ah !

Dotzi : La sonde me tire…

Roubo : Quel martyre ! Je ne comprends pas.

Dotzi : La sonde me tire l’urine, mais elle tire aussi sur le calibristi.

Roubo : Elle va vous le rallonger, vous verrez…

Dotzi : J’ai mal !

Roubo : Et ça vous pousse à vouloir mourir ?

Dotzi : Je n’irais pas jusque-là

Roubo : J’ai donc bien raison. Le désir de mort s’est éloigné. Alleluïa ! Une fois de plus, le presque mort est revenu chez les vivants.

Dotzi : J’ai tant de fois été dans la mort et tout autant surpris de m’en remettre ? Je le reconnais…

Roubo : Reconnaissez ! Reconnaissez ! Reconnaître, c’est un peu renaître… D’ailleurs, on ne l’entend plus la dolente qui était au supplice et qui suppliait qu’on la tue. Elle aussi a dit adieu aux larmes.

Dotzi : A trop vouloir mourir à la longue on se lasse.

Roubo : La salle de réveil est en sommeil on dirait.

Dotzi : C’est la fin d’une époque.

Roubo : Quelle époque !

Dotzi : Pour moi, j’en ai gardé cette poche accrochée à mon calibristi.

Roubo : Au lieu d’un boulet, prenez-la pour votre chienne ! Comme une amie fidèle que vous sortiriez pour son pipi.

Dotzi : En attendant, c’est elle qui me tient en laisse et c’est moi qu’elle traîne pour mes soulagements urinaires.

Roubo : On n’est jamais si bien servi que par les chiens, allez !

Dotzi : Les miens ? Quand ils ne me pèsent pas, ils passent…

Roubo : Donnez-lui un nom de toutou à votre poche, au lieu d’en faire un ennemi.

Dotzi : Un nom à cette poche ?

Roubo : Disons que ce n’est pas une poche ! Que c’est votre chienne !

Dotzi : Un monde à l’envers en somme. Où une poche en plastique peut devenir une chienne… Vous me demandez là de voyager en un monde où tout serait renversé.

Roubo : Un monde renversant de poésie, en fait.

Dotzi : Mais c’est son esprit qu’il faut d’abord convertir !

Roubo : Alors ? Vous avez l’embarras du choix.

Dotzi : Un nom comme ça me vient ?

Roubo : Un nom qui vous rapproche de votre poche.

Dotzi : C’est beaucoup me demander. Donner à une poche d’urine les attributs d’un animal…

Roubo : Un patient dans un asile prenait bien sa brosse à dent pour Napoléon. Pourquoi pas vous avec votre poche ?

Dotzi : Me prenez-vous pour un dérangé, monsieur ?

Roubo : J’essaie seulement d’alléger la dureté de votre situation. Que votre poche ne soit pas un boulet et vous un bagnard enchainé à son châtiment. C’est tout !

Dotzi : Appelons-le… Calibristo ! C’est bien Calibristo !

Roubo : Trop long ! Les poches d’urine préfèrent des noms à deux syllabes au maximum.

Dotzi : Cali ? Ou Bristo ? Ou même Libris ?

Roubo : Tous ces noms ne font pas noms de chien.

Dotzi : Et si on lui donnait le prénom de l’infirmière. Histoire d’une petite vengeance !

Roubo : Trop risqué.

Dotzi : Du médecin alors ?

Roubo : Cela pourrait incommoder l’infirmière, vu qu’elle le respecte sûrement. Non. Un vrai nom de chien.

Dotzi : Haïku ! C’est japonais et c’est poétique.

Roubo : Ah je vois ! Vous pourriez même lui offrir de courts poèmes à votre poche d’urine.

Dotzi : N’exagérons pas. Mais à prononcer le mot haïku me ferait voir le Mont Fuji.

Roubo : Je cautionne.

Dotzi : Va pour Haïku ! (Cri de douleur) Ah !

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