Ecrittératures

28 juillet 2009

Paroles de déportés

parolesdedeportes

Tout entier fondé sur des témoignages et rapports officiels, ce recueil ( Éditions Bartillat, 2005) porte, entre autres, sur les camps d’Auschwitz, de Buchenwald, Dachau, Dora, Flossenburg, Maideneck, Mauthausen, Ravensbrück et Struthof. Propos et extraits ont été collectés juste après la Seconde Guerre mondiale par Eugène Aronéau en vue du procès de Nuremberg. Chargé d’établir la liste des atrocités commises par les nazis, Aronéau permettra ainsi de révéler à travers ces témoignages le fonctionnement interne des camps, puis de répertorier les noms et les fonctions précises de plus de 400 lieux de déportation et d’extermination.

Ces récits évoquent par le menu toutes les phases de la vie concentrationnaire, depuis le départ des prisonniers jusqu’à leur anéantissement. Ainsi, le lecteur est informé sur les vols à l’arrivée des détenus, leur habitation, leur nourriture,  le règlement administratif, les punitions et les tortures, leur travail, l’état sanitaire des camps, les expériences médicales et les vivisections, les exécutions diverses, les suicides, le « gazage » et la crémation. Restitués à l’état brut, les faits sont décrits froidement dans un grand souci d’exactitude, faute de rendre pleinement la charge intense des atrocités.

D’une manière générale, les détenus éprouvent le sentiment d’être pris dans une nasse, à la merci d’ordres arbitraires, où la mort peut les frapper à tout moment. À l’humiliation systématique s’ajoute une lutte inégale pour la survie dans un monde rendu hostile à l’extrême par la faim, les maladies (typhus, malaria, tuberculose…), les coups, la dureté des travaux, les menaces de mort, les mensonges. Destiné à briser le moral des personnes, ce climat de terreur permanente sciemment entretenu sert surtout à marquer le territoire entre l’élite des bourreaux et la déchéance des victimes. Chaque camp constitue ainsi un concentré de cette « ère du mépris » évoquée par André Malraux. En ce sens, le totalitarisme demeure avant tout une zone de non-droit absolu où s’expérimente, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une véritable ingénierie de la torture et de la mort.

Donnés avec force détails et abondance de chiffres, ces « points de vue » sur les camps  restant ceux de la victime, pècheraient de plusieurs manières. Ainsi, les faits peuvent ressembler à une telle litanie qu’ils finissent par évacuer, dans l’esprit du lecteur, l’écrasement constant auquel les détenus étaient soumis. Par ailleurs, ils montrent l’impuissance des mots à dire absolument une réalité aussi extrême. Enfin, le parti-pris qui a présidé à ses recueils de témoignage, si nécessaire fût-il à la veille d’un procès, en évitant le ton du réquisitoire, prend le risque d’éliminer le « ressenti » des victimes, à savoir l’écho intime de la terreur dans l’âme des personnes.

Il reste que ce livre capital, en raison même du principe qui a présidé à son élaboration, à savoir la nécessité de recueillir des témoignages à chaud, irréfutables et souvent croisés,  devrait suffire à battre en brèche les thèses révisionnistes niant l’existence de chambres à gaz. Par ailleurs, il montre cette « banalité du mal » à l’œuvre, dont parlait Hannah Arendt, quand l’autre est réduit à l’état de chose inutile.

Propulsé par WordPress.com.