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11 février 2009

Artush et Zaur – une love story gay

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 2:00
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Artush et Zaur – une love story gay

entre un Arménien et un Azéri, publiée à Bakou

par ArtMika

Alekper Aliyev, rédacteur en chef de kultura.az, vient de publier à Bakou, Artush et Zaur, son roman « le plus scandaleux », dit-il. Une love story gay entre un Azéri et un Arménien, comme une déconstruction voulue de la love story hétérosexuelle entre Ali l’Azéri et Nino la Géorgienne (1), mettant cette fois en scène deux hommes, l’un Arménien et l’autre Azéri, avec pour toile de fond le conflit émergent du Kharabagh.

Les personnages principaux, Artush et Zaur, sont nés et ont grandi à Bakou, ont fréquenté la même école, partagé les mêmes bancs. Puis ils éprouvent une attirance l’un pour l’autre… Nous sommes alors au début du conflit du Kharabagh.

La guerre les sépare. Artush part en Arménie, Zaur reste à Bakou. Devenus adultes ils se retrouvent à nouveau, à Tbilissi. Ils se laissent aller à leurs souvenirs, tombent amoureux et vont jusqu’à se marier avec l’aide d’un pasteur hollandais, confident de l’épouse du président géorgien, Mikhail Saakashvili…

Dans un entretien [publié en russe], l’auteur estime qu’Azéris et Arméniens ont en commun une même cuisine, une même musique et une même mentalité. « Les Arméniens sont davantage proches de nous que, disons, les Géorgiens », à cause de l’influence de la culture persane.

Pour Alekperov, l’une des raisons qui a présidé à l’écriture de ce roman a été d’exposer dans le style de Kusturica l’absurdité de toutes les guerres dans le Caucase Sud. Il a, estime-t-il, toute légitimité pour ce faire, ayant perdu son frère aîné lors du conflit au Kharabagh en 1994.

« Nous en sommes à nous quereller avec les Arméniens à propos du dolma et du balaban [NdT : flûte], alors que tous nos efforts devraient viser à nous mesurer à des défis communs. Notre peuple doit trouver sagesse, courage et détermination afin de mettre fin, une fois pour toutes, à ce conflit gelé. Nous avons besoin de joindre nos efforts afin de créer toutes les conditions nécessaires pour une coexistence pacifique entre les deux voisins sur ce petit bout de terre, dans cette région oubliée de Dieu, appelée « le Caucase sud ». Et franchement on a de la peine à croire qu’un jour cela puisse arriver.

Durant la Seconde Guerre mondiale, à Moscou, il y avait des concerts de musique classique allemande ; les gens entendaient à la radio des œuvres de compositeurs allemands ; on étudiait les philosophes allemands… Imaginez Kara Karaev joué en Arménie ou Khachatryan en Azerbaïdjan ! Totalement impossible ! A cela une explication toute simple : plus l’homme est primitif, plus il est agressif. »

Comme il fallait s’y attendre, l’ouvrage a fait sensation, créé une onde de choc sur les forums internet et les blogs azéris, alimentant une vague de commentaires haineux et homophobes. Certains accusent l’auteur de trahison, comme traître aux intérêts de la nation. D’autres affirment (non sans ironie) que l’Azerbaïdjan possède maintenant son Salman Rushdie et son Orhan Pamuk.

« Mais qui b…se qui ? » Question apparemment principale et qui vient en premier dans les discussions sur les forums et les blogs (à la fois azéris et arméniens), chaque bord espérant que « son champion » b…se « l’ennemi ». J’ai l’impression que cette question les préoccupe même plus que le fait que les personnages principaux soient gay. On dirait qu’ils sont prêts à « pardonner » et à « oublier » le côté gay de l’histoire, du moment que « leur champion » est « l’homme », autrement dit qu’il « se fait l’ennemi ». Pour eux, il ne peut être que noir ou blanc. Et s’ils étaient « autoreverse » (ce qui semble être le cas dans le roman) ? Cela ruinerait les « espoirs » dans chaque bord… Chiche…

Une seule librairie vend cet ouvrage à Bakou. Son nom ? « Ali et Nino » ! Sur les forums azéris, certains proposent d’acheter tous les exemplaires de l’ouvrage et de les brûler devant la librairie. D’autres, plus rares, proposent d’appliquer la charia à l’encontre de l’auteur…

Le sujet s’avère si sulfureux que les quelques forums de discussion et recensions sur ce livre ont été bloqués ou censurés sur certains forums et sites azéris, dont day.az et kultura.az.

Mis à part la nationalité et la sexualité des protagonistes, l’intrigue est plutôt banale et sans intérêt. Néanmoins, vu le contexte de nationalisme et d’intolérance dans cette région, une love story gay entre un Arménien et un Azéri constitue un tabou brisé à double titre.

Cherchez à lire l’ouvrage en russe, lorsqu’il sera publié ici [en Russie] (pour autant que je sache, des négociations sont en cours avec des éditeurs russes). Alors seulement je pourrai en faire véritablement la recension. En attendant… Par bonheur, ces manifestations de haine et d’intolérance ne dégénèrent pas en quelque chose de plus dangereux, plus physique, à l’encontre de l’auteur.

Seuls les plus courageux parmi nous sont prêts à briser les tabous. Alekper Aliyev est l’un d’eux. »

_____________

1. Ali et Nino : Une histoire d’amour, œuvre de Lev Nussimbaum [pseudonyme : Kurban Said], publiée pour la première fois à Vienne (Autriche) en 1937, met en scène un jeune aristocrate musulman et la fille d’un marchand chrétien d’Azerbaïdjan, lors de la Première Guerre mondiale.

*

Entretien avec l’auteur, cliquer ICI

Un commentaire »

  1. […] [2] Le site d’Inclusive Foundation. [3] Sur Artush et Zaour, voir la recension sur le site: https://denisdonikian.wordpress.com/2009/02/11/artush-et-zaur-–-une-love-story-gay/ [4] Lire à ce sujet l’article de B. Fremon, « Out of the Blue, une histoire des homosexuels en […]

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