Ecrittératures

25 décembre 2019

Zozo est de retour

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 10:59

Ami lecteur de ce blog sensé, sensuel et non consensuel ni consanguin, tu auras remarqué que Denis Donikian dit le maudit parce qu’il écrit chaque mot avec la langue bien dans sa bouche, s’est récemment comporté comme un misérable fantôme en raison d’un retrait d’autant plus inexpliqué qu’il s’est prolongé plus que de raison.

Or, notre  Zozo est de retour. Et comme chaque machine humaine a le droit de se détraquer un jour, Donikian, le traître et le tordu à la grande satisfaction de ceux qui le tiennent pour tel, a dû se porter malade pour la première fois alors qu’il traîne des casseroles de mauvaise santé depuis dix ans. Et donc de lymphome en chimiothérapie, de chimiothérapie en radiothérapie, il a fini par chopper une maladie chronique en ayant perdu un rein, au début par sa faute puis l’autre par la faute de ses guérisseurs, sans parler des mille et une péripéties qui lui ont valu plusieurs séjours aux urgences et lui ont permis de tester les plats hospitaliers sous plastique, chauffés au micro-onde, de plusieurs centres de santé,  qu’ils se trouvent à Paris ( Pompidou, Saint Joseph, Necker, Clinique de l’Alma) ou dans la proche banlieue (Gustave Roussy, Massy, Corbeil). Durant trois ans il s’est soumis aux dialyses a raison de trois fois par semaine, à savoir qu’il a dû jouer au gisant durant 4 heures, connecté à une machine qui lui lessivait le sang, le transformait en zombie et lui causait des crampes à le vriller sur place comme si un tire bouchon tyrannique lui tortillait les muscles. Une fois, son traître sang voulant le fuir, il a dû pisser rouge comme un goret qu’on venait de saigner, priant, puis suppliant puis engueulant l’infirmière qui le laissait se vider à grandes louches dans une indifférence digne d’un régime nazi.

(La morale de toutes ces entrées en hôpital pour un mal déterminé, c’est que vous en sortez toujours avec un autre qui attendait derrière la porte pour faire son entrée en scène. Histoire de fidéliser le patient. Pour moi, les cures de chimiothérapie ont éradiqué le cancer mais tellement endommagé mon rein valide qu’il n’a pas pu suppléer à la demande de filtration après l’atrophie de son jumeau. Rentré dans les pseudo fabriques de la guérison pour un lymphome, j’en suis sorti avec un rein qui, de fonctionnel qu’il était, devait  devenir un rein fantôme. Autre exemple, mes chimiothérapies m’ont valu des otites à répétition. Des infections à n’en plus finir si bien que mon médecin ORL m’implante des aérateurs ou yoyos. Ceux-ci s’infectant, il décide de les enlever. Plus de yoyos, youpi !  Mais me voilà plongé dans une nuit auditive sévère.  Adieu Mozart, beuglement de vaches, chants d’oiseaux et hurlements de loups !  Réponse du médecin : ça va revenir.  Or, en vérité je vous le dis, je n’en suis jamais revenu. Même  avec des appareils auditifs de dernière génération, j’entends autant qu’un professeur Tournesol. Quand tu rentres chez un ORL avec deux oreilles tu en sors en les ayant perdues toutes les deux. Enfin, une greffe n’est jamais gagnée: les corticoïdes pour éviter le rejet du greffon peuvent induire un diabète. Mais comme jusque-là je suis passé en force à travers tous les barrages, je me dis que là encore il y a épreuve à grandir. Vieillir ça demande des couilles. Dernier exemple, un jour je me présente dans un clinique parisienne pour me faire opérer d’une hernie inguinale. Le chirurgien est plutôt du genre boucher avec de grosses mains et de gros doigts plus faits pour porter des gants de boxe que tricoter de la dentelle. Il fait mettre un pansement sur une plaie encore saignante et me laisse rentrer. 15 jours plus tard je suis sujet à des tremblements. Je cours aux urgences pour une infection grave qui me vaudra 15 jours d’hôpital). Merci médecine cartésienne pour tes miracles à l’envers !

Ainsi donc, ces trois années de dialyse viennent de se conclure par une greffe expliquant  mon taux d’absence élevé et fort inhabituel sur la chaîne de mon blog, je l’admets. Il faut te préciser, ami lecteur, que quand vous êtes appelé comme l’heureux élu d’un greffon, le temps n’est plus de vouloir finir sa partie de jambes en l’air. Il faut foncer droit sur les lieux de l’opération, se vider la tête de toute peur et toute indécision. Par exemple, pour moi, la question, qui fut celle de mes sempiternels débats intérieurs ma vie durant, était la suivante : et si on te donnait un rein de Turc, hein ! La vie se moque tellement de nos idéologies qu’elle serait bien capable de te jouer ce tour, je me disais. Vous me voyez écrire sur le génocide alors qu’un rein de Turc est en train de me rappeler à qui je dois ma survie. Ces gens-là  ça s’entretue tellement qu’il est probable que le taux des donneurs involontaires est plus élevé que chez nous les Arméniens qui avons souvent vécu en moutons pacifiques et béats. Comme j’ai malicieusement interrogé tous mes soignants sur l’identité de mon donneur et qu’ils ont habilement botté en touche, je me suis dit qu’il y avait anguille sous roche, sachant qu’un greffon joue d’autant mieux son rôle que le receveur est en paix avec lui-même. Ce qui est loin d’être mon cas.

Il y a bien eu ici ou là une petite agitation sur mon flanc gauche, mais elle s’est vite apaisée, probablement, me suis-je dit que le donneur était un de ces Turcs justes qu’on aurait été laissé pour mort après une manifestation contre Erdogan, mais comme les spéculations restaient ouvertes, j’ai supposé le pire.

En vérité pour éviter à tout prix le rein turc, j’avais pris les devants. J’ai bien tenté de convaincre un Arménien d’Arménie de me vendre un de ses reins. Ça n’a pas marché, il voulait que je  lui négocie une inscription au parti républicain. Alors ça, JAMAIS ! Je me suis tourné vers un barbu d’Etchmiadzine. Ces gens-là ont des charités à revendre. Mais le type voulait un chauffeur permanent pour sa Bentley en contre-partie.

J’en étais là de mes recherches quand une Arménienne d’Arménie, la cinquantaine, une certaine Mariné, est venue ajouter son corps tristement anémié à nous autres qu’on saignait déjà. Comme elle fricotait avec l’abîme, le néphrologue, humaniste au grand cœur, décide de la prendre en mains dans son hôpital.  Après un mois et demi d’absence, Mariné nous est revenue en meilleur état qu’au début. Nous avons sympathisé, les Arméniens quand ils se rencontrent la première fois, ça se renifle d’abord et ça peut finir par une sorte de fraternisation. J’ai commencé par l’initier au français et de fil en aiguille à comprendre les péripéties de son parcours.   Mariné s’était rendue à un hôpital d’Erevan pour un problème d’allergie. Mais les médicaments administrés et qui sont faits pour être pris en toute innocence provoquent aussitôt une insuffisance rénale telle qu’il faut aussitôt la dialyser. En France les médecins seront outrés qu’un hôpital ait pu commettre pareille aberration.

Aberration, que nenni ! On voit mal un médecin empoisonner un patient sans arrière pensée. Or en Arménie le système mafieux a pourri toutes les têtes, quelles que soient les professions, des plus nobles aux plus viles. Ce médecin savait pertinemment ce qu’il faisait : fabriquer en un tour de main un dialysé tout neuf de la même manière qu’on fabrique une machine à sou, et peu importe si cette machine est humaine. Il est donc fort probable que ce médecin était de mèche avec un centre de dialyse qui allait leur assurer une rente à vie puisqu’en Arménie les greffes ne courent pas les rues et que les Arméniens ne donnent pas leurs organes. Les Arméniens, ils savent prendre ton mal mais au lieu de te soulager ils l’aggravent pour en tirer profit.

Maintenant que ceux qui veulent retourner dans ce pays de l’indifférence aux autres fassent le grand bond en avant, ils se jetteront dans la gueule du loup et se feront dévorer tout cru le jour où ils auront un pépin de santé.

Pendant les décennies Kotcharian et Sarkissian, c ‘est le cynisme qui a dominé en Arménie. Un être humain qu’on ne respecte pas en tant que tel, surtout quand il s’agit d un malade devenu à son corps défendant un objet de commerce, de transaction, d’enrichissement comme n’importe quel autre, et c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Le pays devient impossible à vivre car le mensonge mine les impératifs de la transparence. Ceux qui osent cracher sur Pachinian n’ont pas compris que son acharnement contre la corruption implique qu’il s’attaque à l’essentiel pour que le vivre ensemble soit possible.

Il faut à l’Arménie une éthique de l’autre.

Denis Donikian

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