27 février 2021
10 février 2021
12 : « Où je meurs renaît la patrie » : PANSER LA TERRE, PENSER LA GUERRE …
(photo : Jean-Bernard Barsamian, copyright)
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Nous avons assez dit de la résilience, que les Arméniens érigent en principe de permanence historique, qu’elle avait ses limites et qu’au regard des urgences elle constituait une forme d’orgueil mal placé et de faiblesse masquée. Comme nous avons souligné que l’Arménie se trouvait aujourd’hui dans un état de fragilité extrême dû à trois causes convergentes : la défaite, la pandémie et les divisions internes. Il serait incongru de dire ici, même si c’est vrai, que les Arméniens en ont vu d’autres. A l’heure actuelle, leurs ennemis traditionnels se frottent les mains et fourbissent déjà leurs chars et leurs drones sachant que le moment de pousser le poing sur l’Arménie est on ne peut plus propice et qu’il ne s’en présentera pas un autre qui leur soit aussi favorable. La Russie a beau faire obstacle à leurs ambitions du moment, les prédateurs attitrés des Arméniens savent bien que la fin de règne agitée de Poutine pourrait défaire les forces de la paix russe en un éclair. Et que… Oui. La raison expansionniste exige de se tenir prêt pour s’introduire dans la moindre brèche pour y propulser sa gloutonnerie idéologique et territoriale.
Notons aussi que jamais le moral des Arméniens, quoi qu’ils fassent pour se doper à l’optimisme de la revanche, n’a jamais été aussi bas. L’humiliation due à la défaite, une fierté saisie de douche froide, la déréliction nationale provoquée par des appels au secours restés vains, la proximité d’une menace active aux frontières, un sentiment confus d’impuissance et de malaise, le spectacle des déchirements politiques, le traumatisme d’une génération perdue et vandalisée, la perversion et l’instabilité des valeurs démocratiques, la déprime devant un avenir bouché, et tant d’autres faits intimes qui troublent le sens commun et délite l’élan vital, tout cela contribue à écraser des hommes et des femmes qui se terrent dans la résignation et le fatalisme ou qui se projettent dans l’utopie. Ajoutez à cela une diaspora qui, pour cause de pandémie, ne peut plus charnellement donner du baume au cœur à une population abattue, sauf à lui porter secours à distance par le biais de biens matériels, et vous aurez de ce sombre tableau une idée du climat psychologique qui règne en Arménie. Et de fait, la voici confrontée à deux pestes qui répandent la terreur dans tous les esprits : le Covid et la peur du vide.
Mais le plus lourd à porter qui soit pour les Arméniens est que cette guerre n’ayant rien réglé en demande déjà une autre et que leur vie se tient désormais en suspens dans l’horreur d’une attente dont personne ne sait sur quelle histoire, forcément sombre, elle débouchera. Car on est en droit de se demander si les Arméniens n’ayant plus en mains les cartes ni les armes de leur avenir, ont encore droit à un avenir. Tout ce mal dont ils souffrent provient de cette impasse où viennent s’engouffrer les cauchemars de la dépendance nationale, du chaos social et de l’incertitude au plus intime de soi. Jamais l’Arménie n’aura été si proche de la démocratie, et jamais cette démocratie n’aura été si menacée tant par la voracité de voisins autocrates que par les mauvais génies de l’intérieur. De ce fait, on voit mal comment les bravaches de l’opposition pourraient changer le cours des choses étant donné qu’ils n’ont aucune autorité n’ayant aucune légitimité, ni aucune force, ni en armes ni en soldats, à mettre dans la balance pour faire valoir un quelconque point de vue devant l’hégémonie russe, l’arrogance d’Aliev et les gourmandises d’Erdogan.
Pendant une trentaine d’années, dans l’esprit des Arméniens, l’Artsakh avait symbolisé une manière de revanche sur le génocide. C’était comme si, ayant vécu dans l’abattement durant un siècle, ils s’étaient redressés et qu’ils avaient retrouvé leur humanité en tant que personnes et en tant que nation. Répercuté dans toutes les consciences arméniennes, ce relèvement aura encouragé la diaspora à poursuivre ses frappes contre le négationnisme turc partout où c’était possible et selon ses moyens. Et il faut bien admettre que cet activisme mémoriel a obtenu de belles réussites (comme la reconnaissance du génocide par le Parlement français dont on vient de fêter le 20ème anniversaire) au grand dam de la Turquie soucieuse de virginité historique. A une diaspora victimaliste semblait faire place une diaspora maximaliste qui osait demander réparation à une Turquie foncièrement génocidaire. Mais dans le même temps, les coups portés contre l’orgueil turc abruti d’arrogance nationaliste ne pouvaient que réveiller des ires de riposte dans la tête d’Erdogan. C’est qu’il faut lire aussi cette « victoire » turque, copinée avec les Azéris, comme un coup de semonce adressé aux Arméniens pour toutes les reconnaissances du génocide par les États que leur diaspora aura suscitées et accompagnées. A ce propos sont sans ambiguïté des déclarations comme celle-ci par Erdogan : « Ce qui a été commencé hier, nous l’accomplirons aujourd’hui ».
Aujourd’hui nous avons les larmes, pas les armes, trop de larmes et pas assez d’armes. Mais durant cette attente, l’équilibre est en train de se rétablir. En ce sens que de jour en jour, les plaies se soignent, les corps se réparent et le temps fait son œuvre même si dans les âmes ne s’éteignent et ne s’éteindront probablement jamais les désastres que cette guerre éclair aura provoqués. Dans l’âme des Arméniens le kyste de l’injustice et de la douleur durcit de siècle en siècle sans pour autant dévorer leur joie de vivre ici et maintenant, dans l’Arménie de 2021. Leur joie d’être et de rester arménien que nul ne pourra leur voler.
Mais que peut valoir de survivre quand tout est menacé tout le temps ? L’épreuve de la guerre, si elle a beaucoup pris aux Arméniens en soldats, en civils, en blessés et en affligés, elle leur a aussi beaucoup donné, à commencer par la conscience d’eux-mêmes, de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font pour être. Conscience des failles et conscience des dons. Une conscience lucide, pragmatique, agressive. Une conscience dure de la durée.
Les Arméniens n’aiment pas la guerre, mais ils aiment la justice. Et quoi qu’on puisse dire ou penser, que l’on soit pacifiste ou droitdel’hommiste, pour les Arméniens, l’heure est aux armes. Car rien ne tient sans elles. Sans elles, le pays fond, le peuple fuit, l’Arménie se perd. Un hôpital, une église, une école ne peuvent rien contre une bombe. Contre l’agressif, l’inerte est passif comme une passoire. Un champ, une rivière, une montagne peuvent du jour au lendemain passer une frontière. Les Arméniens, champions des résiliences humanitaires ou de bienfaisance, ont-ils un autre choix qu’une résilience armée. Le dire ne suffira pas. Se mettre aujourd’hui à l’appliquer est le quart de la moitié du commencement d’un salut. Aujourd’hui, pour les Arméniens, panser la terre demande également à penser la guerre. A savoir, s’y préparer ici et maintenant. Ici en Arménie et en diaspora. Et maintenant, à savoir que le temps presse.
Les idées ne manquent pas. La mise en place d’une armée de métier, comprenant des unités spécialisées, la mobilisation de tous les Arméniens valides par une formation au combat à tous les âges et à tous les stades, la responsabilisation et l’engagement des citoyens économiques que représentent les membres de la diaspora, la conversion des usines de biens en usines d’armements spécifiques, l’orientation de l’intelligence technologique vers des technologies de guerre, la mise en place d’une cyber-unité de combat, soit pour recueillir tout renseignement sur nos ennemis, soit pour utiliser l’information comme une arme à part entière. J’en passe et des meilleures que plus avisé que moi inventera sûrement.
Cela étant dit tout en sachant que le gouvernement arménien ne nous a pas attendu pour se mettre en marche. Mais un gouvernement souffre d’être empêché par des contraintes économiques et des priorités de tous ordres. Même si la présence russe lui laisse encore du temps, ce temps doit aussi être utilisé pour penser le pire et s’y préparer.
Comme les Juifs, les Arméniens sont les enfants d’un génocide. Et si tant est que l’histoire des uns et l’histoire des nôtres ne sont pas les mêmes, force est de constater qu’en ce jour Israël se défend mieux (et même au-delà du normal) que les Arméniens défendent leur territoire. Même si les drones israéliens ont touché à mort les Arméniens, il reste qu’ils ont beaucoup à apprendre du peuple juif dans la sauvegarde de leur existence.
Aujourd’hui doit être un autre jour pour les Arméniens, sinon l’hier reviendra et de grignotage en grignotage l’Arménie finira.
Aujourd’hui, nous autres Arméniens, nous savons enfin que nous sommes mortels.
Denis Donikian
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25 janvier 2021
11 : « Où je meurs renaît la patrie » : ARMÉNIE : ÎLE aux REQUINS et aux COQUINS
(Photographie : Jean-Bernard Barsamian, copyright)
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Aujourd’hui, la configuration géopolitique du Sud Caucase fait émerger plus que jamais des lignes nouvelles de fracture et de tension selon le jeu des alliances, l’intérêt des puissances et la voracité des loups. Pour le moins, cette guerre aura permis à l’Arménie de mesurer à quelle hauteur et à quelles bassesses s’est située l’amitié de son voisinage géographique et de son cousinage idéologique, la haine qui vous saute aux yeux et à la gorge étant forcément plus facile à reconnaître. S’il est clair que la Turquie et l’Azerbaïdjan font front commun contre l’Arménie dans le but de la dévorer, il s’est avéré que des pays qu’on n’attendait pas ont néanmoins révélé leur véritable visage, à commencer par Israël. (A force de négocier avec le diable on finit toujours par devenir diabolique, sachant que, pour tester ses nouvelles armes et les utiliser le cas échéant pour se défendre, tout n’est pas permis, à commencer par le fait de contribuer au massacre de ses « frères en génocide »). Sans parler de ces démocraties qui, en sous-mains, sinon en sourdine, n’ont pas hésité à coucher avec le monstre Aliev au nom de leurs intérêts économiques ou stratégiques. Comme François Hollande, juste après ses visites en Arménie, en mai 2014 et avril 2015, vendant à Aliev des satellites à usage militaire. (A force de commercer avec le monstre, on finit toujours par devenir monstrueux). Pour l’Iran, on pourrait admettre qu’il avait ses raisons pour ne pas reconnaître sciemment le droit du Haut-Karabagh à l’autodétermination, craignant d’enflammer sa minorité azérie. Quant à la Géorgie, en laissant passer l’armement turc sur son territoire, elle a bel et bien montré que le racisme anti arménien qui se décline en injures dans sa société n’était pas un vain mot même dans son gouvernement. Pour ce qui est de l’Europe, elle s’en est tenue à respecter envers l’Arménie le « minimum syndical » auquel elle se croyait obligée en envoyant du secours humanitaire aux Arméniens – mais aussi, comme la France, à l’Azerbaïdjan pour faire acte de neutralité – lourdement éprouvés par le Covid 19 et la guerre. (Comme nous l’avons rappelé, demander à la France d’intervenir militairement en marchant sur les pieds de la Russie poutinienne relève de l’impensable, sinon du ridicule). Dès lors, ne restait à l’Arménie pour respirer que de consentir à se faire prendre dans les filets du frère russe plutôt que de se faire pendre par leurs bourreaux de toujours.
Cela dit, ces jeux d’échange et de cache-cache vont avoir de graves conséquences sur l’avenir de cette région. On jurerait que le grand méchant loup turc va devoir un jour ou l’autre faire payer son aide à l’Azerbaïdjan au prix fort, à savoir par une soumission planifiée et par une invasion rampante. Au début, tout commence avec des mots de fraternité, lesquels se concrétisent en une aide militaire, avant de se diluer dans une mise sous tutelle sournoise puis déclarée. Certes, on peut admettre qu’Aliev sorte de cette pseudo victoire renforcé auprès d’une population fanatique et servile. Mais on est en droit de douter que les élites, en leur for intérieur, attribuent ce triomphe aux seuls Azéris. Les officiers de l’armée azerbaïdjanaise ont dû être passablement humiliés d’avoir été mis sur la touche au profit des instructeurs turcs. Certains n’en voulaient pas qui craignaient un jour d’avoir à donner leurs femmes après avoir cédé sur leurs galons. Or, rien n’est plus insupportable que l’humiliation, laquelle finit souvent en rébellion.
Pour l’heure, l’entente entre les deux ogres de barbarie est d’autant plus cordiale qu’elle répond à un même objectif, celui de serrer en étau une Arménie qui fait obstacle au déroulement du tapis rouge qu’on voudrait voir courir des rives Bosphore jusqu’aux confins de la Chine. Prévues en février 2021, les prochaines manœuvres des deux pays dans la région de Kars semblent rejouer le scénario gagnant de septembre-octobre 2020 qui a permis des avancées considérables dans leur ambition de comprimer le territoire arménien. A telle enseigne, qu’en Arménie, la population vit dans la hantise d’une nouvelle guerre, sans trop savoir de quel côté elle va surgir. En tout cas, ces exercices ont pour fonction de produire chez les Arméniens le sentiment d’un pays ouvert à tous les vents de l’envahissement et de leur inspirer ce délire obsidional qui les ramène aux plus brûlantes réalités de leur vie.
Or, notons que l’Arménie n’ayant pas agressé la Turquie et restant ouverte au dialogue avec l’Azerbaïdjan, cette guerre, plutôt que d’être défensive, a eu tous les aspects d’une attaque de type ethnique. On en voudra toujours aux Arméniens, non pas pour ce qu’ils font (quitte à propager des mensonges les plus noirs), mais pour ce qu’ils sont. Le comportement des soldats azéris envers les vivants et les morts arméniens, contraire au droit international et au respect humain, témoigne de motivations purement racistes. Les Arméniens ont donc à affronter non des hommes mais des Orques venus tout droit du « Seigneur des Anneaux ». Car loin de répondre aux critères les plus classiques, cette guerre n’avait d’autre but que l’effacement de l’autre et aurait été menée à son terme par nos deux crocodiles experts en extermination si la Russie n’était intervenue à temps pour préserver ses intérêts.
Et donc, à considérer ses quatre frontières, il ne serait pas exagéré d’affirmer que le beau pays arménien étant ce qui reste de l’épée ottomane ne s’apparente à rien d’autre qu’à une île coincée par deux requins à l’est et à l’ouest, et par deux coquins au nord et au sud. Les Russes jouant le rôle de pacificateur colonisateur, les Arméniens, s’ils ont encore une voix, chanteront leur passé dans leur langue quelque temps encore en espérant la sauvegarder contre les caresses hégémoniques d’une autre, aussi gloutonnes que les ventouseries d’une pieuvre.
Mais comme le malheur arménien ne vient jamais seul, ce sont les Arméniens eux-mêmes qui, cette fois encore, prouvent qu’ils ont le génie d’en rajouter. Soucieuse d’affronter des ennemis extérieurs ouvertement offensifs ou sinistrement sournois, l’Arménie subit de plein fouet une contestation plus primaire que démocratique, faisant remonter des relents de racisme interne qui n’ont rien à envier à ses voisins, le mot « Turc » devenant une injure ici à l’instar du mot « Arménien » en Turquie (voir à ce propos l’excellent article de Sahag Sukiasyan sur le site Armenews du 24 janvier). Plus vindicatifs que préoccupés par le bien public, ces chantres de la revanche et du renouveau national faisant fi des réalités politiques contraignantes du moment haussent le ton et brandissent leur baguette magique en annonçant qu’ils vont diluer l’humiliation de la défaite par on ne sait au juste quels moyens, sinon un programme où l’utopie le dispute à la connerie… Oubliant que dans un moment aussi crucial, ils affaiblissent le pays non seulement en croyant retrouver une confiance populaire perdue par trente années de fraude et de mépris mais surtout en sapant le sacro saint principe d’une union sacrée devant un ennemi qui use de toutes les coalitions pour mener à bien ses ambitions d’annihilation de la nation arménienne. Mais pire encore, ils font de la basse politique à un moment où la population arménienne est plus vulnérable que jamais à cause de l’épidémie du Covid-19.
D’où l’on peut voir que, dans le contexte brûlant actuel, n’est pas si folle que ça la métaphore qui fait de l’Arménie une île menacée tant par ses propres voisins que par les plus salauds de ses citoyens, comme si elle avait le génie de nourrir en son sein de ces montres qui n’ont rien à envier aux requins et coquins qui l’entourent.
Ainsi donc, au moment où les optimistes obsessionnels parlent d’espoir, d’unité, de force, l’Arménie semble condamnée à une triple peine : la menace de deux dictatures génocidaires, la guerre sanitaire contre le Covid-19 et cette coalition d’opposants véreux qui instrumentalisent la démocratie au profit de leurs propres affaires.
Denis Donikian
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10/A LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE
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10/I LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE
17 janvier 2021
10/J : « Où je meurs renaît la patrie » : Les ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE.
( Photographie : Jean-Bernard Barsamian, copyright)
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J
Le cas Pachinian est d’autant moins facile à examiner qu’une grande partie des informations restent cachées qui permettraient de comprendre les causes les plus chaudes de la défaite. Cependant, même si on pouvait adopter une approche plurielle qui consisterait à s’appuyer sur les données politiques, historiques et géographiques, d’autres feraient toujours défaut tant la complexité du sujet rend fou. Et comme la passion patriotique interfère à des titres divers dans ce genre d’analyse, l’exploration de ces causes ainsi exposées à l’aune des émotions nous laisserait encore sur notre faim. Bien sûr, les pages de notre tentative d’explication n’échappent pas à ce défaut.
De toute évidence, Nikol Pachinian nous semble décrié à tort si on le tient comme l’unique responsable de ces accords dommageables pour les Arméniens. Rappelons qu’il est l’homme à qui le peuple arménien a accordé sa confiance et qui a insufflé l’esprit du renouveau à toute la diaspora. En réalité, porté par une trentaine d’années d’humiliations, il vient au bout d’une longue chaîne de corruptions et de négligences qu’il a eues à charge de résoudre dans un moment critique pour la nation. Deux années de gouvernance sur plus d’une trentaine ne permettent pas de faire de lui « un cas pendable », même si parapher un document qui assombrit toute la nation est loin de constituer une peccadille et si Pachinian a dû se soumettre le couteau sur la gorge, tandis qu’il avait à choisir entre la peste et le choléra : continuer la guerre en perdant des vies humaines ou signer une défaite en perdant de l’indépendance.
Tout d’abord, retenons que les provinces rendues à l’Azerbaïdjan étaient considérées au départ comme une barrière de protection et une monnaie d’échange et qu’elles étaient destinées à renforcer le statut du Karabagh proprement dit. Or, ceux qui font un procès à Pachinian ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, ces provinces constituaient un acquis territorial (voir à ce propos l’analyse de Libaridian). Le premier malentendu se trouve dans cette interprétation erronée, sachant que les accords de paix ont tout de même permis de sauver l’essentiel, même si cet essentiel est en équilibre instable aujourd’hui et le sera plus que jamais demain.
Comme nous l’avons déjà signalé, les contempteurs de Pachinian ont beau jeu de lui chercher des poux, on sait trop bien qu’ils auraient été aussi embarrassés que lui s’ils avaient été à sa place. Être aux responsabilités est une chose, donner des leçons sans avoir à en assumer les conséquences en est une autre.
Par ailleurs, rappelons aussi que les contempteurs de Pachinian ne représentent qu’eux-mêmes, alors que lui est le seul qui ait été désigné aussi largement et aussi légalement par la confiance populaire. L’écœurement nous vient à entendre des personnalités morigéner le Premier ministre comme si les élections n’avaient pas eu lieu ou avaient été truquées pour le rendre illégitime. De fait, cet appel à la démission constitue un déni de démocratie par des gens dont les réflexes sont ceux d’une caste qui se place au-dessus du peuple et qui doivent leur place à des magouilles honteuses et anachroniques.
Cela dit, même si le bon sens et la retenue devraient nous abstenir de toute critique, disons-le tout net, de toute évidence Pachinian s’est trop tardivement préparé la guerre. Le pouvait-il d’ailleurs sachant qu’il avait un programme économique à mettre en place et une corruption à combattre, que les nababs de l’ancien régime ne se laissant pas défaire, une guerre sourde était lancée entre les tenants de leurs intérêts propres et les partisans d’une société plus transparente.
Tout d’abord, que je sache, Pachinian ne pouvait prendre de décisions d’ordre militaire sans s’appuyer sur l’avis des spécialistes. En ce sens, ces spécialistes auront certainement failli en faisant acheter à l’Arménie des avions de chasse qui sont restés cloués au sol pendant le conflit. Ces mêmes experts ont-ils ignoré le type d’armement dont s’était dotée l’Azerbaïdjan ? On le suppose puisque les drones ennemis ont créé la surprise et décimé les soldats arméniens. Dès lors, on peut s’interroger sur la qualité des services de renseignement en se demandant même s’ils ont jamais existé ou s’ils ont été d’une certaine efficacité.
Tout le monde savait qu’Aliev tablait sur l’achat d’armements modernes et que le budget militaire de son pays était décuplé pour mener sa revanche à son terme. L’objection selon laquelle l’Arménie n’a pas de pétrole ne doit pas faire oublier qu’elle a une diaspora puissante et des spécialistes dans tous les domaines. Si la priorité avait été donnée à la défense du pays, solliciter la diaspora eût été la moindre des choses. Mais Pachinian s’est embourbé dans les réformes démocratiques au point de mettre au second plan les menaces qui planaient sur le pays. Certes, tout le monde savait que « ça » finirait par arriver un jour, mais chacun avait les yeux tournés ailleurs. Dès lors, le système de défense, s’il répondait à quelque chose, c’était moins à des critères d’efficacité qu’à ceux d’un « minimum syndical », destiné à entretenir l’illusion d’une puissance défensive réelle.
De son côté, le dictateur Aliev, n’étant pas occupé à améliorer le bonheur de ses gens ni à leur permettre l’accès à une démocratie réelle, a mis toute sa haine anti arménienne au service d’un programme de reconquête. Et pour satisfaire cette obsession, il était prêt aux alliances les plus compromettantes, aux violences les plus barbares et aux violations de toutes les règles. Voilà pourquoi quand une démocratie est en danger, les principes démocratiques doivent être tenus en retrait au profit de l’urgence sécuritaire. Mais le peuple arménien l’aurait-il compris qui a élu Pachinian pour des changements dans leur vie immédiate, oubliant l’épée de Damoclès qu’Aliev avait suspendue sur leur tête ? A quoi bon le bonheur quand le ciel est plombé par des bombes ?
L’autre erreur de Pachinian aura été, semble-t-il, de croire que les démocraties aident les démocraties, que l’Europe ou même la France étaient en mesure d’apporter un soutien logistique à l’Arménie sous prétexte que ce conflit était avant tout d’ordre civilisationnel. Outre le fait qu’il peut paraître humiliant, sinon honteux, de demander aux autres ce que l’on n’a pas su faire soi-même, on voit mal, en l’absence d’accord militaire, les pays d’Europe envoyer leurs hommes au casse-pipe dans une zone que la Russie considère comme son pré carré. Le plus qu’aura pu faire la France pour démontrer son amitié sera l’envoi de secours humanitaires, une fois que le mal aura été fait.
D’où l’on voit que, dans ces jeux d’alliances, c’est la Russie autoritaire qui se sera engagée à sauver la jeune démocratie arménienne d’un désastre complet, sachant que des accords existaient qui permirent à l’Arménie d’échapper aux menaces d’extension déclarées par ses ennemis de toujours. Par ailleurs, deux dictatures se seront alliées pour mener à bien cette guerre au mépris de toutes les retenues possibles, quitte à inviter des djihadistes au nez et à la barbe des nations policées qui n’ont fait qu’assister aux effets de leur impuissance et de leur neutralité.
Or, il fallait être plutôt réaliste qu’idéaliste pour comprendre les tenants et les aboutissants d’un tel conflit. Même si on ne peut accuser Pachinian d’être un imbécile, on doit admettre, aux résultats désastreux obtenus, qu’il aura finalement joué la mauvaise carte.
(à suivre)
9 janvier 2021
10/I : « Où je meurs renaît la patrie » : Les ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE.
(Photographie : Jean-Bernard Barsamian, copyright)
I
De fait, tout porte à croire que le génocide, loin de n’inspirer que du génie aux Arméniens, leur aurait aussi inoculé quelque poison relevant du démoniaque. Comme si cette catastrophe en avait déréglé plus d’un, et non des moindres, au point qu’elle les aurait conduits à « suicider » les Arméniens. A croire que le fait d’avoir été impunément massacrés par les fielleux ottomans aurait transformé nos « malades de la raison patriotique » en massacreurs symboliques ou physiques de leur propre peuple. A moins qu’en voulant inconsciemment compenser l’humiliation subie, sinon cette déshumanisation extrême à laquelle les Arméniens ont été poussés, ils aient perdu tout sens de la mesure, tout sens de l’empêchement moral en donnant libre cours à une mentalité de prédation identique à celle de nos bourreaux. (Pas étonnant d’ailleurs que Kotcharian ait été souvent traité de Turc). Tant il semblerait que, marqué au sceau d’un génocide, le peuple arménien nourrirait en son sein comme un panier de crabes où les uns, généreux par leur ingénierie salvatrice, batailleraient contre les autres, pernicieux, habiles en mille diableries. Enfin, c’est à se demander si cette catastrophe n’aurait pas exercé en chacun comme une alchimie secrète orientant les premiers vers des réactions de survie et les seconds vers des profits meurtriers, les uns réparant et les autres détruisant. Eternel combat entre éros et thanatos dont les Arméniens ne sont pas épargnés.
Dans cet ordre d’idées, on peut dire que les ex-présidents et leurs affidés, en braconnant impunément sur les terres de la nation arménienne, ont contribué à l’avènement de Pachinian. Dès lors, quel autre devoir sanitaire pour notre petit Hercule que celui de consacrer l’un des douze travaux de son programme politique au nettoyage des écuries de nos insanes et infâmes Augias, tant leur « merde arménienne », qu’ils ont répandue impunément pendant trente ans, a fini par empuantir l’Arménie tout entière ?
Aujourd’hui, les chamailleries que les Arméniens exposent aux yeux du monde entier sont d’autant plus catastrophiques qu’elles ajoutent du désastre au désastre. Après avoir donné aux démocraties une image de combattants magnifiques, dotés d’une foi rougie à blanc au dernier stade du désespoir, voici que les Arméniens montrent l’envers sombre de leur nature, celui d’une passion destructrice mâtinée de fanatisme patriotique sous l’illusoire prétexte de vouloir corriger une débâcle que les circonstances auraient déjà soldée comme irréversible. En fait, ceux qui veulent la peau de Pachinian au nom de l’intérêt national ne font rien d’autre que de dévoyer le principe démocratique de la contestation dans le sens où les animent des arrière-pensées purement claniques. Légitime en tant de paix, cette contestation qui se décline aujourd’hui en violences physiques et verbales sape l’urgence de faire bloc au nom du principe qui exige l’unité de la nation quand sa survie est menacée. Or, les gourmandises inassouvies d’un ennemi impatient de bouffer nos frontières, malgré la présence de soldats russes, pourraient bien profiter du chaos arménien pour grignoter du terrain sur l’Arménie même. Au vrai, les vieilles ganaches qui se sont maintenues au pouvoir en pervertissant les principes démocratiques et qui ont été balayées par la révolution de velours tentent de revenir dans le jeu politique en cherchant à gonfler la contestation anti-Pachinian par l’usage impudique des ruses véreuses qui avaient contribué à leurs succès électoraux. Tout est bon pour ces pirates du pire qui voudraient pousser la nouvelle gouvernance à rendre des comptes à la nation. Dès lors, quoi de plus expéditif que d’accuser de traître leur adversaire politique pour avoir paraphé des conditions dommageables que leurs propres forfaitures avaient programmées de longue date ? Et pourquoi ne pas exploiter le deuil de ceux qui ont perdu un fils ou un frère à la guerre afin qu’ils consentent à grossir leurs rangs et ainsi à démolir le pelé, le galeux, le maudit animal de Pachinian d’où viendrait tout le mal de la nation arménienne.
De fait, la Peste qui se répand aujourd’hui en Arménie pousse tous les gens querelleurs à dévouer au sacrifice l’âne le moins suspect d’entre eux dans l’espoir d’obtenir la guérison commune. Mais Pachinian a le souci du droit, même s’il a une part de responsabilité dans cette déconfiture contre l’Azerbaïdjan. Or, ceux qui aujourd’hui exigent sa démission n’ont juridiquement aucun mandat populaire pour le faire étant donné qu’ils ont tous été balayés par les urnes lors des législatives de 2018.
Les trois présidents ne devraient-ils pas d’ailleurs avoir la décence de se taire en souvenir de leurs magouilles pour accéder au pouvoir et s’y maintenir ? Mais non ! Ils s’acharnent sur le Premier ministre qui a réussi ce qu’ils n’ont jamais obtenu eux-mêmes, à savoir la confiance de la plus grande partie du peuple arménien. Tous ont violé les Arméniens par les urnes, qui aujourd’hui veulent faire voler en éclats le vote de 2018 : Levon Ter Pétrossian, mais surtout Robert Kotcharian, homme de safaris, qui prend l’Arménie pour son terrain de chasse, et Serge Sarkissian qui perd au casino ce qu’il vole à son pays. En réalité, le plus grotesque est que les grossiers accusateurs de Pachinian cherchent à profiter d’une défaite dont ils le rendent responsables pour faire oublier leur propre culpabilité et par le même coup diluer ou annuler les procès en cours ou à venir quant à leur illégitimité ou leurs propres turpitudes.
Quant au Président Armen Sarkissian, on ne se demande pas qui l’a choisi car on sait qui l’a nommé dans un tour de passe-passe dont il est coutumier, aux yeux et à la barbe de tous les Arméniens. Président honorifique, si honorifique d’ailleurs que chacun ignore les contours de son honorable fonction, à commencer par lui-même qui préfère passer les fêtes de fin d’année à Londres auprès de ses petits-enfants, dans une Angleterre covidisée à mort, au lieu de se tenir au chevet de nos soldats blessés qui n’ont pas l’opportunité de se faire soigner à l’étranger.
Mais le pompon revient à Karékine II, le moins vénérable des Arméniens, dont aucun ne voudrait comme modèle de sainteté, plus mystificateur que mystique, plus prévaricateur que prieur, plus oligarchique qu’anagogique. Celui qui, au dire de l’archevêque de Moscou Tiran Gyureghian, aurait été abusivement nommé par Vazgen Sargsyan et devrait être démis pour que notre Église retrouve propreté et dignité. De fait, après un sommeil politique de vingt ans et complice d’un pouvoir fait à son image, probablement pour mieux se protéger et épaissir en douce son magot suisse, manger bon et vivre propre, le voici qu’il secoue les saintes poussières de sa soutane pour l’ouvrir : « Pachinan dehors ! » Forcément, vu que Pachinian sait à qui le catholicos HSBC doit sa place. Des fois qu’il lui prendrait l’idée de rendre le siège d’Etchmiadzine à un homme pur, à un saint homme, à un compatissant ! Mieux vaut prendre les devants, en ce cas.
Bref, tous ces grandes gueules, qui l’ouvrent pour dévorer le seul qui ait été normalement élu par la nation arménienne depuis presque trente ans, sont des gens que les Arméniens subissent et que leurs voix n’a pas portés pour les représenter, leur donner du bonheur et des droits et pour sauvegarder la nation.