de l’Église Apostolique Arménienne
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L’article ci-dessous est d’Armand SAMMELIAN. Nous avons tenu à vous le soumettre car il s’inscrit en droite ligne avec ce que nous avons décrit dans notre dernier livre, Arménie, la Croix et la Bannière, sachant qu’il n’hésite pas à aller bien au-delà des thèses que nous y développions. Qu’on ne s’y trompe pas, ce texte est le cri d’une souffrance, et là où il y a souffrance, il y a forcément un dysfonctionnement qu’il soit d’ordre institutionnel ou qu’il se rapporte à nos traditions. Cet article évoque la mise au pas sournoise et méthodique d’une diaspora aveugle et naïve qui fait de son Eglise l’agent sacré du salut de la nation arménienne. L’instrumentalisation de cette « foi » par ceux-là mêmes qui en tirent les ficelles est une manière de prendre la diaspora arménienne pour un troupeau de montons jusqu’au moment où elle n’aura plus rien à dire sur ce qui fait depuis bientôt cent ans sa douleur et son combat, à savoir le génocide de 1915. C’est à cette mise en garde que nous invitent Armand Sammelian et avec lui les Paroissiens de l’Eglise Apostolique de Nice, aujourd’hui mis au ban par Etchmiadzine. Et pour cause…
Denis Donikian
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Si les événements en soi ne parlent pas, certains ne se privent pas de leur faire dire ce qu’ils désirent entendre.
On ne les changera pas, ils sont de mauvaise foi.
Mais ils auront beau montrer quelques images flatteuses et se gorger de mots, la visite pastorale en terre niçoise de notre Ecclésiaste fut un fiasco d’autant plus cuisant que plus le temps passe et plus c’est du pareil au même sauf que ça empire.
De difformité en sacrilèges, nos ecclésiastiques s’enfoncent dans des impuretés qui gangrènent l’Église Apostolique Arménienne si bien qu’il faudrait une foi sans ride pour laisser plonger le sacré dans l’abîme que lui réservent ses dirigeants.
Descendu en compagnie d’un hôpital de hiérarques dans un des palaces les plus prestigieux au monde, notre vénérable ecclésiaste serait venu apporter la concorde au sein d’une communauté traînée dans la boue et ne sachant plus à quel saint se vouer.
L’échec est patent sauf à admettre que ce fut un voyage d’affaires.
Outre que les autorités politiques et administratives locales lui aient accordé un service minimum et que l’immense majorité des invités de la réception à Villa Masséna fut réduite à quelques brigades volantes de franc-moutons inconnus au bataillon, force est de constater que l’immense majorité des 300 fidèles de la messe dominicale en la basilique Notre-Dame étaient des paroissiens catholiques.
En l’absence remarquée de l’évêque catholique du diocèse des Alpes-Maritimes, chacun aura apprécié la présence stupéfiante du père Vatché venu officier à la droite de notre saint Ecclésiaste au point que le doute n’est désormais plus permis sur l’identité de l’auguste commanditaire de la violence qui prévaut au sein de la communauté arménienne de la Côte d’Azur depuis trois ans.
Cette brutalité sanctifiée, la preuve est ainsi faite qu’il n’avait cure des affres infligées à cette communauté qui vivait dans la quiétude depuis l’exode.
Quant au succès indéniable du dîner du samedi soir dans les salons du Négresco, ce fut pain béni pour les quelques centaines de convives qui n’eurent pas à mettre la main à la poche.
Mais l’affaire niçoise n’est pas simplement la reconnaissance du fripon envers Celui qu’il honore. Croire qu’elle relève d’une simple querelle saint-sulpicienne serait une lourde faute : qui voudra bien décaper le maelstrom apparent pour lui ôter sa couche de macérations découvrirait une mécanique à tiroirs que les plus bornés ne soupçonnent pas.
C’est que l’entreprise d’engourdissement qui s’annonce n’est pas celle que l’on attend.
Tout ce qui pense devrait disparaître pour laisser place au vide sidéral de godillots corvéables à merci, ces picpus diocésains et paroissiaux qui tournent comme des toupies dès que leurs maîtres tirent la ficelle, sans aucune idée du rôle qu’on leur fait jouer, à savoir domestiquer la diaspora, la préparer à de futures échéances politiques et assimiler sa résistance à une opposition à la volonté divine.
Il fallait donc immoler les mécréants niçois sur l’autel de l’hérésie pour brouiller la véritable partie qui se joue en défigurant le vrai visage d’une communauté laquelle, innocente et naïve en ce premier week-end de septembre, attendait encore que l’Ecclésiaste leur montre le chemin de la vérité, fortifie leurs esprits ballotés, soulage le poids de leurs chaînes, bref réconcilie la tribu.
Mais sous ses vêtements de lumière, avec du vent et de la fumée, il n’a fait qu’abaisser ce point cardinal où l’éternel et le temporel se confondent, mêlant malicieusement spiritualité et nation.
En effet, derrière les esprits de travers qui se croient libres de faire le mal impunément, se dissimule comme à la pire époque bolchévique, une parole d’État aguerrie qui prend de nouveau appui sur une politisation croissante du rôle de l’Église Apostolique Arménienne.
Outre le fait que ce pontificat se soldera par une somme de soustractions sans précédent, il restera que les petites mains se déplacent en troupe pour faire du nombre et du bruit au service de maîtres démoniaques qui aspirent à nous refaire le coup du paradis soviétique avec une perfidie consommée.
Nul doute qu’il faudra trancher ce lien qui unit pouvoir spirituel et pouvoir temporel, parce qu’il détruit le dernier filet de vie démocratique qui reste à la République d’Arménie.
Chaque génération ayant ses défis politiques à relever, la mainmise des prêtres sur les associations cultuelles laisse augurer que les paroisses sont les victimes expiatoires d’accords passés par le plus haut dirigeant de notre Sainte Église avec l’État arménien à l’approche du 100e anniversaire du génocide.
En cette circonstance historique, une épreuve glauque dans cette épreuve sacrée attend les Arméniens et notamment ceux de la diaspora qui devraient acquiescer sans mot dire, au motif qu’ils vivent entre deux mondes, les arrangements que les États turc et arménien pourraient passer. C’est que depuis les accords contestés du 9 octobre 2009 de Zurich, il est clair que les 7 millions d’Arméniens diasporiques n’accepteront pas d’être écartés d’un revers de manche de la partie qui se prépare. Plus précisément, il est certain qu’ils refuseront tout principe de négociation et à fortiori tout pacte turco-arménien sans la reconnaissance préalable par la Turquie du génocide des Arméniens perpétré par l’Empire Ottoman.
C’est pourquoi la crise niçoise postule en faveur d’un couvercle que l’hydre à deux têtes étatico-religieux voudrait poser sur cette marmite explosive en berçant de sermons les fidèles au nom de l’intérêt supérieur de la nation, si nécessaire en étatisant les consciences par l’intermédiaire d’une Église devenue un véritable outil de propagande et de répression. Les Niçois qui n’ont aucune prédisposition naturelle aux mortifications en témoigneront.
Pour boucler la boucle, point besoin d’être grand clerc pour observer l’abandon de la communauté niçoise par l’ensemble des institutions représentatives arméniennes de France qui n’ont à ce jour jamais émis aucune critique ou réserve et, encore moins dénoncé aucune des dérives cléricales, qu’il s’agisse du bannissement d’un cortège de prêtres confirmés, de l’élevage en batterie des paroisses ou encore du train de vie luxueux de certains hiérarques et leur proximité avec des milieux peu recommandables.
Rouages pitoyables dans des mains ecclésiales qui bénéficient étrangement du ralliement de nos grands médias nationaux, qu’elles soient culturelles, politiques ou de bienfaisance, ces institutions vassales du monstre bicéphale restent murées dans un silence compromettant qui ressemble, à s’y méprendre, à une capitulation en rase campagne ou à une collusion occulte, ce qui les place ipso-facto hors-jeu.
À ce stade de subordination institutionnelle, gageons que chaque Arménien de la dispersion ne se résignera jamais au mutisme. D’autant que c’est cette voix qui les aidera à guérir du déracinement et à exorciser le grand mal qui les frappe depuis un siècle, cet héritage indivis que nous ont légué nos anciens et que rien ne parviendra à rompre.
Car leur patrie est celle de leur âme ancestrale, celle qui se transmet de père en fils, celle qui est enchaînée à leurs racines, celle maitresse du temps qui mettra en échec tous ceux qui voudraient leur donner mauvaise conscience en les dénonçant comme ennemis de la nation et de leur Église.
Nous soutenons que personne, aucun pouvoir, aucun Ecclésiaste, aucun chef d’État et aucune diplomatie ne fera jamais taire la voix impérieuse des enfants des rescapés du génocide des Arméniens, parce que cette voix est celle de la douleur qui coule dans leurs veines.
Tout le monde aura maintenant compris que le catalogage, le saucissonnage et la diabolisation des fidèles, qu’ils soient Niçois, Anglais, Roumains, Belges ou Américains, s’inscrivent dans le cadre de grandes manœuvres qui relèvent du jeu de Bonneteau dans le but de fabriquer des associations cultuelles serviles, aux dépens de la filiation et des défis qui nous commandent.
À tout le moins, l’échéance du centenaire du génocide nous apprendra beaucoup sur nous-mêmes, nos tropismes, nos tares et nos insuffisances, sur ce que nous sommes et voulons devenir ensemble, nous les fruits abandonnés d’un peuple décimé que le monde ignore et dédaigne.
Que l’État arménien seul se mette, comme par le passé, hors la diaspora, à la table des négociations sans la reconnaissance préalable du génocide, serait un mal, une anomalie, une trahison faite à nos martyrs.
Il va de soi que la diaspora refusera ce statut colonial que le monstre voudra lui imposer au nom de la raison d’État.
C’est l’entière nation arménienne, le peuple d’en bas, seul souverain, qui aura le fin mot et non les chapeaux à plumes.
Armand SAMMELIAN
Novembre 2012.