On dit que chaque époque a son fou diseur de vérité.
Mais on dit moins qu’il peut parfois arriver que soient fous ceux-là mêmes qui prenaient pour fou ce fou qui disait des vérités.
Vahé Avétian pour Ara Baliozian
On dit que chaque époque a son fou diseur de vérité.
Mais on dit moins qu’il peut parfois arriver que soient fous ceux-là mêmes qui prenaient pour fou ce fou qui disait des vérités.
Vahé Avétian pour Ara Baliozian
La gargote ottomane offrait ce mercredi
Le meilleur fait maison des manti.
Voulant en mon palais ressusciter ma mère,
De ce plat suprême cuisinière,
J’entrai dans la popote avec grand appétit
Au bras de mon amante à la chair de manti.
Bientôt, l’un face à l’autre assis,
Deux assiettées nous sont servies.
Viande en robe de pâte,
En un bain de yaourt et d’huile,
Parfums de menthe et d’aromates,
Philtre aux sens érectiles.
Je mange et regarde la bouche
Qui mange en moi à grande louche,
Et moi en elle émerveillé
Par ce goût de lait persillé.
Et tant son rire est beau que je m’y noie,
Et dans ses mots d’amour ma chair se broie…
Doux suicide de ma substance,
Tandis qu’en elle est mon essence.
Et me voici tout dilué
Par des sucs voulant me tuer.
Je glisse au long de l’œsophage,
Conscient de cet heureux naufrage
Dans l’estomac aromatique
De mon amoureuse érotique,
Baignant ainsi dans ses acides,
Plongé dans ma douce Atlantide.
Mais brusquement l’intestin bée,
Gouffre où je suis absorbé,
Tohu-bohu dans les tuyaux
Et bruits de bulle et de boyau.
Où fuir ? Où ? dans quel coin propice ?
Quel refuge ou quel appendice ?
Rien. Nuit obscure. Enfer dantesque.
À trop aimer on pue ou presque.
Car me voici pris dans la merde
Moi qui voulus que je me perde
En mon amante en appétit
De manti.
L’ange pourpre de Milo Dias
*
Entre la rose et la noisette rien qui nuise ou qui pose
Rien qu’un zéta sans zizanie qu’un zeste de zéphyr
*
Un zutiste grand zélateur de vie zazou
Zingaro zététique à cheval sur un zain
Un jour vient reposer sous un zamier qui zinzinule
Et tandis qu’il se rase il zieute une gonzesse
Gazelle du désert en zéphyrine aux lèvres zinzolin
Et des anneaux aux bras aussi ronds qu’un zéro
Zigzagante aguicheuse dans son corps de zonure
La danseuse aux allures d’experte en zapatéado
Zèbre en les embrasant les yeux du zigomar
En fusée zoolâtre le zinzin du zozo s’exorbite
Sitôt qu’une lézarde invitant aux hymens
Se présente au zélote d’inspections zénithales
*
Mais la rose a ses ruses à casser nos noisettes
La zélée musulmane zonait aux zénanas
*
D.Donikian, extrait de Erotophylles et végétaliennes
dessin de Mkrtitch Matévossian
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( Cliquer sur les mots en rouge. Attention! Âme patriotique s’abstenir…)
Au matin, nous quittons l’hôtel. Et la ville. Sissian’. Et nous marchons à pas heureux vers l’inconnu. Le dos chargé, mais l’espace au-devant qui appelle est si fort. Les gens vont à leur tâche. Et nous allons vers rien. Ils se hâtent pour accomplir un devoir. Et nous n’avons d’autres limites que notre souffle. Ils ne voient rien d’avoir déjà tout vu. Et nous savourons d’insouciance le temps qui s’offre à nous. On nous regarde, insolites, libres, presque frénétiques à l’idée d’échapper à la ville pour habiter des moments que nous savons uniques. Les arbres sous lesquels nous marchons maintenant ont des joies de danseurs immobiles. Bientôt les dernières demeures. La route monte dans les déchirements de sa robe. Un âne solitaire, triste comme un âne solitaire, semble aussi scellé à son pré qu’une statue à son socle. Et bientôt toute la ville sous nos pieds. Ville végétale dans l’été finissant. Qui prend ses aises dans toute l’immense vallée, comme une large traîne dont les plis coulent depuis le cône de son église forte de plusieurs siècles. Encore plus haut, et la voilà qui disparaît. Et devant nous maintenant la route qui sinue dans le silence, troué rarement par des voitures que les ornières rendent folles.
Crédit photo : Denis Donikian
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Tous les intervenants sont arrivés ; Denis a prévu de donner des forces à chacun : rien ne manque ! (Nous avions déjà pas mal grignoté grâce aux « amuse-bouche » à l’attrait desquels il était impossible de résister !) Notre Denis a préparé de ses blanches mains une marmite pleine de dolmas, un plat rempli de beureks, et son épouse, fait dorer de délicieux nems, et réalisé pour dessert un crumble aux fruits rouges qui a enthousiasmé, bien plus qu’il n’est décent de l’avouer, nos papilles ! Gérard Torikian, Bénédicte Flatet et George Festa Anh-Dao, l’épouse de Denis, discrète mais efficace nous a abreuvés de café – totalement nécessaire pour retrouver un peu de vivacité après de telles libations ! Gérard Torikian cherche l’inspiration … … et la meilleure posture pour lire son texte … sous le regard dubitatif du Maître .. .. commence la lecture, par Gérard Torikian, d’un extrait de l’oeuvre-totem extrêmement originale qu’est « Poteaubiographie » histoire d’une vie, celle de l’auteur ; on lit de bas en haut ; aucune ponctuation ne vient en aide au comédien. Il lui appartient de trouver ses repères. autre extrait lu par Bénédicte Flatet préparation de l’interview de Denis En partageant cette journée avec nous, tu nous as confortés dans cette idée que nous avions déjà – ainsi que le développera avec beaucoup d’éloquence George Festa au cours de son interview – celle d’un homme dont la vie et l’oeuvre ont été profondément marquées par un héritage trop lourd. Déchirures, doutes, interrogations, tout est dit pour qui sait voir et lire. |
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Un jour, à une question sur la tolérance, l’intolérant Claudel, spirituel en diable, répondit qu’il y avait des maisons pour ça. Il se trouve que l’inculte et paresseux que je suis, à une question sur la culture arménienne, pourrait répondre sur le modèle claudélien que nous avons pour ça nous aussi des maisons. Et comme toute maison de tolérance est le lieu d’une pratique physique de l’amour, je serais tenté de dire que les maisons de la culture arménienne sont des lieux d’une pratique politique de la culture, c’est-à-dire d’une culture qui, loin de tolérer l’amour de la culture, se définit par le rejet de tout ce qui la contrarie.
Il est vrai que les gardiens du temple de la culture arménienne n’ont pas eu à passer un examen de compétence, ni à répondre à la question du sens de la culture et de son contraire. Il leur suffisait d’être idéologiquement estampillés pour être aussitôt promus vestales à vie de la flamme et du flambeau. C’est que chez nous, comme chez les peuples assignés à la survie, la culture a souvent été fille de la politique, pour ne pas dire sa putain. Ce qui nous conduit à dire qu’en nos culturelles maisons de tolérance, la culture se prête au peuple venu jouir de soi, lui offre une panoplie de positions typiquement arméniennes, sans que ce même peuple parvienne jamais à l’engrosser. Instruments préservatifs de jubilation par quoi le peuple s’autoconsomme en images masturbatoires, nos maisons cultuelles sont les antichambres stériles de la mort culturelle.
Loin de nous l’idée de croire qu’une culture ne doive pas cultiver son particularisme ou marquer sa singularité. Si la culture est la part visible d’une mentalité collective, la culture arménienne montre le bien de ce que nous sommes sans parvenir pour autant à en dissimuler le mal. En ce sens, les maisons de la culture maintiennent une ligne de conduite non négligeable derrière laquelle elles font vivre le passé. Quitte à réduire parfois la culture à un culte orienté de l’histoire, à des revendications politiques et à de grandes bouffes religieusement barbares. Même s’il est vrai que ces maisons, fondées sur des principes de préservation, n’ont montré aucune vocation à accueillir les déshérités venus d’Arménie, elles ont été à la pointe de l’urgence quand le pays appelait au secours. Une culture de l’humanitaire tournée vers la sauvegarde du pays ne saurait être confondue avec un humanisme au service de l’homme quel qu’il soit et quelle que soit sa souffrance. Que non !
Mais ces maisons, comprises comme des musées du ressassement, ne doivent pas nous faire oublier que les cultures narcissiques souffrent d’insuffisance respiratoire. Quand la culture est dominée par ses gardiens au détriment de ses acteurs, elle produit de l’atonie. Quand ces mêmes gardiens sont plus éduqués pour maintenir leurs réponses que pour accueillir les questions, la culture court à son dépérissement. Ce qui revient à dire que si les maisons de la culture arménienne ne sont pas des maisons arméniennes de la culture, c’est bien qu’elles se préoccupent moins de l’Arménien tel qu’il est que de l’Arménien tel qu’elles voudraient qu’il soit. La culture est un projet éducatif inhérent à un programme politique. Dans l’état de survie où nous sommes, quoi de plus normal ? Mais dans la mesure où toutes les maisons de la culture arménienne relèvent d’une même autorité politique, on est en droit de parler d’idéologie. Si la culture vivante déserte ces maisons qui chercheraient sinon à l’y inviter, du moins à la récupérer, c’est bien qu’elle n’y trouve pas matière à s’inventer de nouveaux modes d’expression.
Or, l’idéologie et la culture ne font pas jamais bon ménage. Celle-ci y joue le rôle de la femme instrumentalisée à des fins purement nationales. Dans ce cas de figure, la culture se manifestera sous des formes dangereusement ethnocentriques de repliement sur soi et de reniement des autres. Ceux-ci étant aussi bien les non-Arméniens que les Arméniens qui pensent autrement l’arménité qu’en termes de préservation. Aujourd’hui la culture arménienne en France a atteint les limites du supportable et souffre de cet ostracisme rampant. Les gardiens de la culture, grâce aux pouvoirs médiatiques qu’ils détiennent, sont devenus plus importants que ses acteurs. Aujourd’hui ceux qui questionnent la culture sont tués dans l’œuf par le silence dans lequel les plongent les gardiens, et demain par les menaces qu’on fera peser sur eux. Mais ces mêmes gardiens relaient jusqu’à plus soif les messages de leurs partisans idéologiques ou ceux qu’ils jugent favorables à leur ligne.
Chacun aura compris que les maisons de la culture arménienne ne peuvent se prévaloir de l’objectif de préservation pour devenir des maisons d’intolérance culturelle. Que la meilleure façon de faire de la culture, c’est d’échapper à sa folklorisation, c’est de la confronter aux autres cultures pour qu’elle s’en nourrisse. On constate déjà les effets de ce métissage partout où la culture arménienne fait fi d’une idéologie de la pureté culturelle, en Arménie dans les arts plastiques, en diaspora essentiellement dans les arts musicaux qui ont relevé le défi moderne de l’interculturalité. De la sorte, le message arménien passe mieux et sonne comme un renouveau énergétique et vivant.
Si Paris devait se doter d’un lieu où l’arménité puisse exprimer son humanité pleine et entière, ce n’est pas par une réplique des maisons de la culture arménienne qu’elle y parviendrait, mais par la fondation d’une Maison arménienne de la culture.
Août 2004
In Vers L’Europe ( Actual Art, Erevan, 2009)
Lisse de tes mains l’oeuf de ton ventre
En toi l’autre à l’alpha du voyage
Ta vie nourrissant sa vie
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