Ecrittératures

28 février 2010

Fou de vérité

Filed under: APHORISMES — denisdonikian @ 5:36
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On dit que chaque époque a son fou diseur de vérité.

Mais on dit moins qu’il peut parfois arriver que soient fous ceux-là mêmes qui prenaient pour fou ce fou qui disait des vérités.

Vahé Avétian pour Ara Baliozian

25 février 2010

L’amante et le manti ( érotisme culinaire)

Filed under: CUISINE ARMENIENNE — denisdonikian @ 5:54
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La gargote ottomane offrait ce mercredi

Le meilleur fait maison des manti.

Voulant en mon palais ressusciter ma mère,

De ce plat suprême cuisinière,

J’entrai dans la popote avec grand appétit

Au bras de mon amante à la chair de manti.

Bientôt, l’un face à l’autre assis,

Deux assiettées nous sont servies.

Viande en robe de pâte,

En un bain de yaourt et d’huile,

Parfums de menthe et d’aromates,

Philtre aux sens érectiles.

Je mange et regarde la bouche

Qui mange en moi à grande louche,

Et moi en elle émerveillé

Par ce goût de lait persillé.

Et tant son rire est beau que je m’y noie,

Et dans ses mots d’amour ma chair se broie…

Doux suicide de ma substance,

Tandis qu’en elle est mon essence.

Et me voici tout dilué

Par des sucs voulant me tuer.

Je glisse au long de l’œsophage,

Conscient de cet heureux naufrage

Dans l’estomac aromatique

De mon amoureuse érotique,

Baignant ainsi dans ses acides,

Plongé dans ma douce Atlantide.

Mais brusquement l’intestin bée,

Gouffre où je suis absorbé,

Tohu-bohu dans les tuyaux

Et bruits de bulle et de boyau.

Où fuir ? Où ? dans quel coin propice ?

Quel refuge ou quel appendice ?

Rien. Nuit obscure. Enfer dantesque.

À trop aimer on pue ou presque.

Car me voici pris dans la merde

Moi qui voulus que je me perde

En mon amante en appétit

De manti.

23 février 2010

Z

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 10:42
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L’ange pourpre de Milo Dias

*

Entre la rose et la noisette rien qui nuise ou qui pose

Rien qu’un zéta sans zizanie qu’un zeste de zéphyr

*

Un zutiste grand zélateur de vie zazou

Zingaro zététique à cheval sur un zain

Un jour vient reposer sous un zamier qui zinzinule

Et tandis qu’il se rase il zieute une gonzesse

Gazelle du désert en zéphyrine aux lèvres zinzolin

Et des anneaux aux bras aussi ronds qu’un zéro

Zigzagante aguicheuse dans son corps de zonure

La danseuse aux allures d’experte en zapatéado

Zèbre en les embrasant les yeux du zigomar

En fusée zoolâtre le zinzin du zozo s’exorbite

Sitôt qu’une lézarde invitant aux hymens

Se présente au zélote d’inspections zénithales

*

Mais la rose a ses ruses à casser nos noisettes

La zélée musulmane zonait aux zénanas

*

D.Donikian, extrait de Erotophylles et végétaliennes

C’est pire chez les autres

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 8:35
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dessin de Mkrtitch Matévossian

*

L’Arménie telle que nous l’aimons.

( Cliquer sur les mots en rouge. Attention! Âme patriotique s’abstenir…)

21 février 2010

« La Nuit » d’Elie Wiesel

Publié pour la première fois en 1957 aux Éditions de Minuit, grâce aux efforts de François Mauriac et après des remaniements faits par Jérôme Lindon, puis réédité en 2007, La Nuit est le récit d’un jeune juif originaire de la ville de Sighet, en Transylvanie, déporté avec ses parents à Auschwitz, et libéré à Buchenwald par les Américains. Dans sa préface, l’auteur évoque l’impossibilité de témoigner sur une chose qui se dérobe à une parole « trahie, corrompue, pervertie par l’ennemi », soit déshumanisée. Mais s’il est « difficile sinon impossible de parler », « il est interdit de se taire ». Enfin, s’il peut ignorer « la réponse à Auschwitz », l’auteur sait « qu’il y a une « réponse » dans la responsabilité. »

Moshé-le-Bedeau, qui initiera le jeune Elie Wiesel à la vérité mystique du Zohar, sera un jour expulsé de Sighet avec les Juifs étrangers. Rescapé miraculeux d’une tuerie organisée par la Gestapo dans la forêt de Galicie, près de Kolomaye, Moshé-le-Bedeau reviendra à Sighet pour « raconter [sa] mort », mais sera pris pour fou. Viendra le jour où d’obligation à porter l’étoile jaune à celle de vivre dans un ghetto, les Juifs de Sighet se retrouveront dans des wagons scellés en route pour Auschwitz, nom inconnu de tous les déportés, puis Birkenau, dans une nuit de cheminées crachant des flammes aux odeurs de chair brûlée.

Séparé de sa mère et de sa sœur Tzipora, Elie doit suivre son père dans le groupe des hommes et fait l’apprentissage brutal du «  cauchemar inimaginable » qui attend tout détenu. Puis viendront la tonte, la désinfection, la tenue de bagnard, la boue, les kapos et la « chance » de travailler plutôt que de finir au crématoire. Dès lors, Elie Wiesel perd son nom pour devenir le matricule A-7713, un numéro gravé sur son bras gauche. Comme manœuvre, il sera transféré avec une centaine d’autres au camp de Buna où les conditions seront relativement meilleures qu’à Auschwitz.

L’espoir que la guerre prendra fin hante l’esprit des détenus tandis que les défaites allemandes parviennent à leur connaissance.  Un jour, le camp subit un bombardement américain et détruit plusieurs bâtiments. Mais le raid ne change rien à la discipline imposée : les pendaisons pour l’exemple se succèdent. Par la suite, Elie et son père parviennent à échapper à une « sélection » conduite par le docteur Mengele, mais d’autres non, comme Akiba Drumer, miné par l’épuisement et le sentiment de souffrir l’enfer « dans [son] âme et dans [sa] chair ».

Un jour l’ordre étant donné d’évacuer le camp, chaque détenu se mit à craindre le pire de la part des S.S. tout en espérant l’arrivée des Russes. Tous les blocks sortirent du camp au pas de course durant la nuit, dans le froid et la neige.  Les traînards furent achevés sur place. Installés dans le camp de Gleiwitz, ils y resteront trois jours sans pouvoir manger ni boire, avant de rejoindre une voie ferrée pour monter dans des wagons à bestiaux sans toit. La faim va transformer les déportés en animaux pleins de haine. Beaucoup meurent d’épuisement comme le père d’Elie, au terminus du camp de Buchenwald. Mais le mouvement de résistance empêchera les Allemands de liquider les derniers juifs, le jour même,où apparut le premier char américain aux portes du camp.

(Elie Wiesel dans le camp de Buchenwald. Le cliché a été pris le 16 avril 1945, cinq jours après la libération du camp.)

20 février 2010

Partir

Filed under: MARCHER en ARMENIE — denisdonikian @ 4:37

Au matin, nous quittons l’hôtel. Et la ville. Sissian’. Et nous marchons à pas heureux vers l’inconnu. Le dos chargé, mais l’espace au-devant qui appelle est si fort. Les gens vont à leur tâche. Et nous allons vers rien. Ils se hâtent pour accomplir un devoir. Et nous n’avons d’autres limites que notre souffle. Ils ne voient rien d’avoir déjà tout vu. Et nous savourons d’insouciance le temps qui s’offre à nous. On nous regarde, insolites, libres, presque frénétiques à l’idée d’échapper à la ville pour habiter des moments que nous savons uniques. Les arbres sous lesquels nous marchons maintenant ont des joies de danseurs immobiles. Bientôt les dernières demeures. La route monte dans les déchirements de sa robe. Un âne solitaire, triste comme un âne solitaire, semble aussi scellé à son pré qu’une statue à son socle. Et bientôt toute la ville sous nos pieds. Ville végétale dans l’été finissant. Qui prend ses aises dans toute l’immense vallée, comme une large traîne dont les plis coulent depuis le cône de son église forte de plusieurs siècles. Encore plus haut, et la voilà qui disparaît. Et devant nous maintenant la route qui sinue dans le silence, troué rarement par des voitures que les ornières rendent folles.

Crédit photo : Denis Donikian

15 février 2010

La mariée mise à nu ( ou presque)

Filed under: GALERIE — denisdonikian @ 1:21

UNE JOURNEE dans l’ATELIER DE DENIS DONIKIAN

INCURSION DANS L’UNIVERS FANTASTIQUE
D’UN ARTISTE AUX MULTIPLES FACETTES

par Dzovinar Melkonian ( la déshabilleuse. Qu’elle en soit remerciée)

MOTEUR !

Rencontre matinale et concertation entre
Denis Donikian, vedette du jour et Achkhen, camerawoman

Mise au point du plan de travail qui prévoit : prises de vues, interviews et lecture par des comédiens, de textes extraits des oeuvres de Denis.

J’en profite pour promener mon regard indiscret sur les espaces privés, intimes pourrait-on dire …

sur l’étagère un moulage expressif de la main de la maman de Denis ; plus bas je reconnais le bocal et le cerveau de la couverture du livre « Hayoutioun »

surprenante, la collection d’insectes révélatrice de l’intérêt de notre écrivain- poète-plasticien pour l’univers des coléoptères (coleo qui veut dire étui et pteron : aile. En fait les coléoptères ont des ailes en chitine qui servent à protéger les ailes faites pour voler…)

En bonne place, un fac-simile du fameux  « J’accuse » (Lettre d’Emile Zola au président de la République, écrite à propos de « l’affaire Dreyfus ») avec un portrait de Zola par Ernet Pignon-Ernest ; un très beau tableau offert par un de ses amis, le peintre Der Markarian, des croix (à droite, à peine visible, un khatchkar), sous le portrait de Zola celui de sa mère jeune, à droite une petite fille Moï avec sa soeur rappelant les années vietnamiennes  de Denis …

Humour (grinçant) de Denis : « L’épine dans le pied de l’Arménie »…

Aquarelle « Manifestation », avec à gauche le portrait d’Anna interviewée dans Un Nôtre Pays

Ici, chaque objet raconte une histoire … (au-dessus un autoportrait).
Comme le souligne toujours un de mes amis, il faut prendre le temps de regarder une oeuvre, car l’artiste lui en a consacré beaucoup pour transmettre son message

Le premier Mac sur lequel Denis a travaillé Le Peuple Haï.

« J’offre les couleurs à la toile, je les projette, et c’est elle en fin de compte qui décide, par un travail mystérieux qu’elle réalise, de l’aboutissement de l’oeuvre » explique Denis

Tous les intervenants sont arrivés ; Denis a prévu de donner des forces à chacun : rien ne manque ! (Nous avions déjà pas mal grignoté grâce aux « amuse-bouche » à l’attrait desquels il était impossible de résister !)
Notre Denis a préparé de ses blanches mains une marmite pleine de dolmas, un plat rempli de beureks, et son épouse, fait dorer de délicieux nems, et réalisé pour dessert un crumble aux fruits rouges qui a enthousiasmé, bien plus qu’il n’est décent de l’avouer, nos papilles !

Gérard Torikian, Bénédicte Flatet et George Festa

Anh-Dao, l’épouse de Denis, discrète mais efficace nous a abreuvés de café – totalement nécessaire pour retrouver un peu de vivacité après de telles libations !

Gérard Torikian cherche l’inspiration …

… et la meilleure posture pour lire son texte …

sous le regard dubitatif du Maître ..

.. commence la lecture, par Gérard Torikian, d’un extrait de l’oeuvre-totem extrêmement originale qu’est « Poteaubiographie » histoire d’une vie, celle de l’auteur ; on lit de bas en haut ; aucune ponctuation ne vient en aide au comédien. Il lui appartient de trouver ses repères.

autre extrait lu par Bénédicte Flatet

préparation de l’interview de Denis
commentaires levant un peu le voile sur l’univers torturé de ses oeuvres-totem, sur ses créations picturales

En partageant cette journée avec nous, tu nous as confortés dans cette idée que nous avions déjà – ainsi que le développera avec beaucoup d’éloquence George Festa au cours de son interview – celle d’un homme dont la vie et l’oeuvre ont été profondément marquées par un héritage trop lourd. Déchirures, doutes, interrogations, tout est dit pour qui sait voir et lire.

13 février 2010

Plaidoyer pour une Maison arménienne de la Culture



Un jour, à une question sur la tolérance, l’intolérant Claudel, spirituel en diable, répondit qu’il y avait des maisons pour ça. Il se trouve que l’inculte et paresseux que je suis, à une question sur la culture arménienne, pourrait répondre sur le modèle claudélien que nous avons pour ça nous aussi des maisons. Et comme toute maison de tolérance est le lieu d’une pratique physique de l’amour, je serais tenté de dire que les maisons de la culture arménienne sont des lieux d’une pratique politique de la culture, c’est-à-dire d’une culture qui, loin de tolérer l’amour de la culture, se définit par le rejet de tout ce qui la contrarie.

Il est vrai que les gardiens du temple de la culture arménienne n’ont pas eu à passer un examen de compétence, ni à répondre à la question du sens de la culture et de son contraire. Il leur suffisait d’être idéologiquement estampillés pour être aussitôt promus vestales à vie de la flamme et du flambeau. C’est que chez nous, comme chez les peuples assignés à la survie, la culture a souvent été fille de la politique, pour ne pas dire sa putain. Ce qui nous conduit à dire qu’en nos culturelles maisons de tolérance, la culture se prête au peuple venu jouir de soi, lui offre une panoplie de positions typiquement arméniennes, sans que ce même peuple parvienne jamais à l’engrosser. Instruments préservatifs de jubilation par quoi le peuple s’autoconsomme en images masturbatoires, nos maisons cultuelles sont les antichambres stériles de la mort culturelle.

Loin de nous l’idée de croire qu’une culture ne doive pas cultiver son particularisme ou marquer sa singularité. Si la culture est la part visible d’une mentalité collective, la culture arménienne montre le bien de ce que nous sommes sans parvenir pour autant à en dissimuler le mal. En ce sens, les maisons de la culture maintiennent une ligne de conduite non négligeable derrière laquelle elles font vivre le passé. Quitte à réduire parfois la culture à un culte orienté de l’histoire, à des revendications politiques et à de grandes bouffes religieusement barbares. Même s’il est vrai que ces maisons, fondées sur des principes de préservation, n’ont montré aucune vocation à accueillir les déshérités venus d’Arménie, elles ont été à la pointe de l’urgence quand le pays appelait au secours. Une culture de l’humanitaire tournée vers la sauvegarde du pays ne saurait être confondue avec un humanisme au service de l’homme quel qu’il soit et quelle que soit sa souffrance. Que non !

Mais ces maisons, comprises comme des musées du ressassement, ne doivent pas nous faire oublier que les cultures narcissiques souffrent d’insuffisance respiratoire. Quand la culture est dominée par ses gardiens au détriment de ses acteurs, elle produit de l’atonie. Quand ces mêmes gardiens sont plus éduqués pour maintenir leurs réponses que pour accueillir les questions, la culture court à son dépérissement. Ce qui revient à dire que si les maisons de la culture arménienne ne sont pas des maisons arméniennes de la culture, c’est bien qu’elles se préoccupent moins de l’Arménien tel qu’il est que de l’Arménien tel qu’elles voudraient qu’il soit. La culture est un projet éducatif inhérent à un programme politique. Dans l’état de survie où nous sommes, quoi de plus normal ? Mais dans la mesure où toutes les maisons de la culture arménienne relèvent d’une même autorité politique, on est en droit de parler d’idéologie. Si la culture vivante déserte ces maisons qui chercheraient sinon à l’y inviter, du moins à la récupérer, c’est bien qu’elle n’y trouve pas matière à s’inventer de nouveaux modes d’expression.

Or, l’idéologie et la culture ne font pas jamais bon ménage. Celle-ci y joue le rôle de la femme instrumentalisée à des fins purement nationales. Dans ce cas de figure, la culture se manifestera sous des formes dangereusement ethnocentriques de repliement sur soi et de reniement des autres. Ceux-ci étant aussi bien les non-Arméniens que les Arméniens qui pensent autrement l’arménité qu’en termes de préservation. Aujourd’hui la culture arménienne en France a atteint les limites du supportable et souffre de cet ostracisme rampant. Les gardiens de la culture, grâce aux pouvoirs médiatiques qu’ils détiennent, sont devenus plus importants que ses acteurs. Aujourd’hui ceux qui questionnent la culture sont tués dans l’œuf par le silence dans lequel les plongent les gardiens, et demain par les menaces qu’on fera peser sur eux. Mais ces mêmes gardiens relaient jusqu’à plus soif les messages de leurs partisans idéologiques ou ceux qu’ils jugent favorables à leur ligne.

Chacun aura compris que les maisons de la culture arménienne ne peuvent se prévaloir de l’objectif de préservation pour devenir des maisons d’intolérance culturelle. Que la meilleure façon de faire de la culture, c’est d’échapper à sa folklorisation, c’est de la confronter aux autres cultures pour qu’elle s’en nourrisse. On constate déjà les effets de ce métissage partout où la culture arménienne fait fi d’une idéologie de la pureté culturelle, en Arménie dans les arts plastiques, en diaspora essentiellement dans les arts musicaux qui ont relevé le défi moderne de l’interculturalité. De la sorte, le message arménien passe mieux et sonne comme un renouveau énergétique et vivant.

Si Paris devait se doter d’un lieu où l’arménité puisse exprimer son humanité pleine et entière, ce n’est pas par une réplique des maisons de la culture arménienne qu’elle y parviendrait, mais par la fondation d’une Maison arménienne de la culture.

Août 2004

In Vers L’Europe ( Actual Art, Erevan, 2009)

11 février 2010

Itinéraire avant l’oubli (32)

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 3:18
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Lisse de tes mains l’oeuf de ton ventre

En toi l’autre à l’alpha du voyage

Ta vie nourrissant sa vie

3 février 2010

Magnificat

Filed under: Généralités,MARCHER en ARMENIE — denisdonikian @ 3:21

*

Au dos déambulant de Béatrice sur la route mauve de Vorodnavank.

*

Et tandis que vous marchez dans votre souffrance de marcheur impénitent, pas après pas, sous vos yeux, un tableau prend forme que vous éprouverez plus tard comme unique, semblable à une illumination. (Mais le réel étant trop réel, vous n’embrassez pas à cet instant l’ampleur de votre lecture, votre conscience se contentant de regarder le déroulement des « opérations »).  Chaque chose vient occuper sa place dans la composition. Encore un pas, et c’est l’église qui prend la pose. Puis, c’est au tour des montagnes à s’inscrire dans le décor. Aussitôt après, l’échancrure de la vallée déploie ses vergers pour courir se perdre derrière des collines. Un autre pas fige la route. Vous vous arrêtez. Alors, à travers les arbres qui flamboient dans les verts et les mauves, vous apercevez de dos le corps bien-aimé parti en éclaireur. L’image s’arrête avec vous. Ainsi éternellement marquera-t-elle votre esprit de sa toute-puissance. Vous savez qu’en faisant un pas de plus vous détruirez la joie créée par la convergence minutieuse de tous ces éléments. Et vous faites ce pas parce que vous devez avancer pour entrer dans la suite de votre pérégrination.

(Depuis, cet instant furtif vous hante. Vous ne cessez de l’interroger. De vous en nourrir. Que veut dire ce corps devant et marchant vers l’église ? Cet amour en chemin vers un amour plus extensif ? Chaque jour en secret, vous aviez souhaité qu’il vienne. Et il vous est venu. Vous avez demandé. Et il vous a été donné. Absolu et puissant. Sans entrave et sans trêve. Et malgré les misérables accrocs humains, magnifique comme une musique mentale qui vous accompagnera ce qui vous reste de  vie. Mais en même temps humainement impossible. En même temps tragique, tandis que vous tissiez le parcours vers le final énigmatique et douloureux de cet instantané. De sorte que, subsistera de tous ces débris,  de ces querelles et de ces fatigues, cette image qu’il vous est demandé de lire et de relire sans cesse pour qu’un sens vous vienne, celui qu’aucun mot humain ne saurait renfermer.)

février 2010

Photo Denis Donikian ( copyright)

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