Ecrittératures

23 juin 2011

Bye-bye France

Filed under: LES GESTES ONT LA PAROLE — denisdonikian @ 3:57

 

Le prurit migratoire aidant,

l’auteur va prendre de la hauteur

durant 4 heures 30

pour atterrir dans la grand merdier patriotique.

Le temps de s’encrasser les oreilles

mais aussi de couritser la belle saison

et de brûler sous les soleils

de la grande fournaise arménienne.

( Comme si y avait pas mieux à voir )

Retour le 15 prochain

Enfin…

Dieu sait comme.

17 juin 2011

LETTRE A MON AMI TURC

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 7:20
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Par LEVON ANANIAN, Président de l’Union des Ecrivains d’Arménie

En 2015, l’humanité tournera une page honteuse de l’histoire, le centenaire du premier génocide perpétré au XXème siècle. En 1915, la Turquie ottomane expulsa de leur territoire historique, en les exterminant sur les chemins mêmes de leur migration, près d’un million et demi d’Arméniens. Le génocide des Arméniens a été reconnu et condamné par une vingtaine de pays, comme la Fédération de la Russie, la France, la Grèce, l’Argentine… Pour quelques pays européens toute tentative de négation de ce génocide est reconnue comme un crime. Si le processus relatif à sa condamnation ne cesse de se développer, la République turque actuelle maintient pour sa part une position politique négationniste envers le génocide des Arméniens.

Cette lettre ouverte qui figure en plusieurs langues dans divers journaux du monde entier, est un appel lancé par un  écrivain arménien à l’adresse de la société turque afin de surmonter les tabous politiques et de rejeter le stéréotype du reniement.

* * *

« Quoique je rende témoignage de moi-même,

mon témoignage est vrai, car je sais

d’où je suis venu et où je vais. »

 

EVANGILE SELON JEAN, 8, 14

 

  « O toi, prophète, fais la guerre sainte…

                                                                                                                       contre les falsificateurs et sois sévère

avec eux, leur place est l’enfer… »

 

CORAN, SOURAH AL-TOBEH », 73

Nous avons fait connaissance par hasard durant les journées consacrées au festival international de littérature. Au cours d’une conversation nous avons appris que tu étais un écrivain turc et moi un écrivain arménien. A ce moment-là, (mais aussi durant nos rencontres ultérieures) je n’ai pas réussi à dire les choses que je souhaitais, et les non-dits étant restés bloqués dans ma gorge, j’écris maintenant cette lettre comme un aveu et comme une invitation au dialogue. J’écris pour secouer la haine que m’impose la mémoire, afin de jeter aux orties le postulat, vieux d’environ cent ans, qui consiste à regarder chaque Turc comme l’ennemi de mon peuple… Depuis tout ce temps, notre présent, nous le vivons dans le passé, et il faut avoir une certaine largeur d’esprit pour réussir à libérer notre avenir du cauchemar que constitue ce même passé.

Tu sais déjà que mon nom est Ananian, un nom qui au regard de l’étymologie se décompose en an-Ani-ian, autrement dit Ani perdu, Arménien sans Ani. En 1319, mes ancêtres, à la suite du grand séisme qui a secoué la 11ème capitale du Royaume arménien,  ont quitté le berceau de leur naissance, abandonnant les mille et une églises de cette somptueuse cité, pour venir s’installer dans le village de Goght, au nord-ouest de l’Arménie. Mon arbre généalogique prend racine dans la lignée des princes Bagradouni d’Arménie et aboutit à ma petite-fille d’un an.  Et chaque fois que l’occasion m’est donnée de me trouver devant la frontière close arméno-turque, je ne manque pas de chercher à travers les barbelés les ruines de la maison ancestrale… avec une longue vue. Regardant avec envie le berger kurde insouciant et, à l’ombre des remparts en ruines de la ville, ses moutons qui y paissent en toute innocence.

Non ! Tu ne m’as pas bien compris, car tout cela n’est que la fumée nostalgique des braises qui couvent dans nos gênes et que le français nomme « Force majeure ». Et ce n’est en rien une revendication qui, depuis 90 ans, vive ou en sommeil, hante l’âme d’un million et demi d’Arméniens, victimes du génocide, (qui dépasseraient à présent, s’ils avaient pu naturellement se reproduire,  les cinq millions), mais aussi celle des émigrés dispersés de par le monde et qui attendent une juste résolution.

Quant à toi, de grâce,  au moins ne reprends pas la rengaine officielle de la Turquie, selon laquelle, de 1893 à 1923, il n’y aurait pas eu de génocide contre les Arméniens, mais seulement de pitoyables massacres  et que, (cynisme absolu) profitant du chaos de la Première Guerre mondiale, les Arméniens eux-mêmes auraient exterminé les Turcs « sans défense.»… Ajoutant même qu’il faut s’en remettre à une commission formée d’historiens pour que la vérité soit établie.

L’histoire a rendu depuis longtemps son verdict en s’appuyant sur des tonnes de documents, d’épouvantables récits de témoins oculaires, arméniens et étrangers, des documents filmés, des bâtiments saccagés ou annexés, des  territoires dépeuplés, des églises converties.

Aujourd’hui encore en Syrie, dans le désert de Der-Zor, le phosphore des squelettes des exilés sans sépulture aveugle les visiteurs.

Le monde entier connaît depuis longtemps la vérité irrécusable, de même que ne l’ignorent ni Erdogan, ni Obama, et j’en suis certain, ni toi-même. Madame Clinton, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, la connaît aussi cette vérité, qui dépose d’une main de pharisienne, des fleurs au monument du génocide à Tsitsernakaberd, et de l’autre, celle de la Maison Blanche, « citadelle de la démocratie », formule des clichés équivoques, avouant dans un moment de sincérité : « Je suis désolée, souvent les intérêts d’un Etat priment sur la vérité. »

Le Congrès américain et le Sénat la connaissent bien aussi, qui jouent aux osselets avec cette vérité, soufflant sur un peuple le chaud et le froid, comme si ce jeu politique et amoral consistait à inscrire à l’ordre du jour la cause du génocide  des Arméniens… Jeu de masques, doubles, triples ou multiples.

Peut-être faudrait-il en rester là avec cette traditionnelle mascarade ? Comme quand, pour faire illusion, on restaure à Van l’église Sourb Khatch d’Akhtamar en la privant de sa croix et d’une messe, et que dans le même temps, dans un édifice chrétien d’Ani, le muezzin appelle ses fidèles à la prière. Une véritable injure jetée à la face d’un pays qui fut le premier à adopter officiellement le christianisme (301). Il est temps d’appeler les choses par leur nom. Il est temps non pas de chercher à donner des leçons de morale, mais de vivre selon des principes moraux. C’est cette conception propre à « Conjurer le crime du génocide par des conventions pénales » qui est à la base de l’Assemblée Générale des Nations Unies (1948), portant d’ailleurs la signature de la République turque et qui semble avoir été rédigée en s’appuyant sur l’exemple du génocide des Arméniens.

Mais la raison de cette lettre que je t’adresse n’est pas à chercher dans les vérités générales déjà bien connues de toi. Quand tu es venu à Erevan, il y a quelques mois sur mon invitation, tu m’as posé la question suivante :

– La haine est si profondément ancrée dans le cœur de l’Arménien que je me demande s’il ne serait pas possible, en ce XXIème siècle civilisé, de sanctifier la tragédie du passé maintenant que vous avez un nouveau pays indépendant et une si belle capitale ?

Comme ta question coïncidait bien avec l’étonnement du correspondent du journal « Hürriyet » !

– Comment comprendre que le mont Ararat, qui se trouve en territoire étranger, soit glorifié par quasiment tous vos poètes comme si c’était la montagne-mère des Arméniens.

Je lui ai répondu :

– Le mont Ararat, c’est notre être même, personne ne peut nous l’aliéner. L’Ararat, c’est la mémoire de notre identité et un symbole de résurrection. Et si nous voulons rester sincères, la lune non plus ne vous appartient pas mais elle est perchée comme un yatagan crochu sur le drapeau turc…

Je connais une vérité incontestable qui se transmet de génération en génération. Je la connais par cœur, aussi bien que le vieil alphabet mesropien (405). Tous les Arméniens la connaissent, du simple paysan jusqu’au Président. Le génocide est imprescriptible de même que le souvenir de notre douleur nationale ne peut se dissiper sous l’effet d’aucune perspective.  Et voilà qu’à présent vous venez nous exhorter d’oublier le passé !

Comment oublier 1, 5 million de victimes innocentes et les caravanes de l’exode, dont les héritiers ne perdent ni l’espoir ni la foi de réintégrer leur patrie historique ?

Oublier la Saint-Barthélemy de la nuit du 24 avril 1915 lorsque d’un coup de hache xénophobe on a décapité la crème des intellectuels de l’Arménie occidentale : Siamanto, Daniel Varoujan, Rouben Sevak, et plus tard, Grigor Zohrab ?

Oublier le religieux et témoin oculaire des massacres, Grigoris Balakian avec son «  Golgotha arménien » (1924), un titre qui nous informe de son sujet ?

Oublier la compassion du peuple arabe qui a hébergé les pauvres survivants et qui a partagé son pain avec son prochain, l’étranger ?

Oublier le grand humaniste norvégien Fridtjof Nansen qui grâce à un décret de la Société des Nations (1924) a remis des « Passeports Nansen », aux 320 mille Arméniens survivants du génocide devenus apatrides et désireux d’entrer dans divers pays ?

Oublier « Les quarante jours de Musa Dagh » (1934) du romancier autrichien Franz Werfel, dans lequel il décrit les combats d’autodéfense héroïques d’Arméniens acculés au désespoir contre l’armée turque ?

Oublier Adolf Hitler qui a lancé une directive insolente à propos des massacres juifs : « Mettez-vous au travail ! Qui se souvient encore du génocide  des Arméniens (1938) ?

Et quoi d’autre évoquer ?

Je me rappelle, j’étais tout jeune enfant, quand je toussais ma grand-mère Anouche qui était la bonté même, la compassion, disait aussitôt :

– A ta santé ! Que tousse le petit du Turc !

Un jour je lui ai demandé :

– Grand-mère, qu’est-ce qu’il t’a fait de mal le petit du Turc ? Nous ne le connaissons même pas, mais toi tu le maudis tout le temps à tort et à travers ?

Ma grand-mère était une Arménienne d’Arménie orientale et n’avait pas connu le génocide. Sans dire un mot, elle a baissé les yeux, mais une fois tandis qu’elle donnait à manger à Mihran, émigrant de Trébizonde, elle m’a raconté son horrible histoire. Mihran était tellement maigre qu’on lui avait réduit le prénom en Mran. Il avait traversé les affres de l’enfer. En 1915, on avait, devant ses yeux, sauvagement torturé avec une fourche ses six enfants, tué sa femme d’un coup de baïonnette, et tiré sur lui, tandis qu’on pillait sa maison avant d’y mettre le feu…Son voisin kurde avait caché Mihran gravement blessé dans sa grange à foin, l’avait soigné, et ainsi, l’amenant en été dans les pâturages, lui avait sauvé la vie.

Aujourd’hui encore, après des décennies passées, Mran, avec sa peau sur les os, hante mes rêves, avec son sac de mendiant et dedans l’urne contenant les cendres de sa maison incendiée, et sa manière de dire :

– Tu me donnes un bout de pain ?

Les larmes coulaient dans ses rides et avec lui gémissait le lac perdu de Van.

S’il était possible de changer son voisin, mon peuple ramasserait tous ses biens, la culture qu’il a transmise à la civilisation mondiale et s’éloignerait aussi loin que possible. Mais le pays n’est pas comme une maison que tu quittes ou que tu remplaces à ta guise.

Si vous saviez quelle torture c’est de voir chaque matin comme une blessure ouverte le mont Ararat et se souvenir, se souvenir !… Peut-être que vous l’auriez depuis longtemps démolie avec des bulldozers et transférée ailleurs, cette montagne biblique, en la rasant…

Si…

Mais l’histoire ne supporte pas le mode conditionnel.

Dernièrement, sur l’un des sites turcs, le défenseur des droits Eroz Eulcoray avait fait une curieuse observation. Il se demandait pourquoi le génocide arménien était encore un tabou politique étant donné que la Turquie actuelle en la personne du fondateur de la République, Kemal Ataturk, n’est pas responsable du crime commis par les Jeunes Turcs au pouvoir dans l’Empire ottoman ? Vraiment, pourquoi ?…

Il énumère trois raisons qui rattachent par un cordon ombilical la Turquie du début du siècle passé à nos jours. La première, c’est le programme  « La Turquie aux Turcs » qui a servi à nettoyer l’Anatolie des présences arménienne, grecque, juive, chrétienne et autre. Selon lui, durant ces dernières 96 années,  ont été commis dix  génocides (dont quatre contre les Kurdes), le plus massif et le plus organisé ayant été le génocide des Arméniens.

La deuxième raison est liée à la guerre de libération, financée et armée par la Russie, mais aussi menée à son terme grâce aux bien confisqués aux Arméniens.

Enfin la troisième raison vient de ce que les criminels qui ont pris part au génocide, et dont les mains avaient trempé dans le sang innocent, figuraient dans la liste des élites gouvernementale et diplomatique de la république nouvellement formée. Voilà pourquoi aujourd’hui l’Etat héritier de la Turquie cherche à faire échouer toute tentative de résolution du problème.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais cet intellectuel turc impartial qui ajoute que l’Etat turc n’a qu’un moyen de sortir de l’impasse obscure de son négationnisme, à savoir  d’avoir recours aux lumières de la repentance. Sinon chaque fois qu’il entendra l’expression génocide des Arméniens il oubliera son sang-froid, et se sentira perdu. Et un Etat égaré de la sorte, avec ses hypocrites déclarations démocratiques, même s’il frappe des mains et des pieds les portes de l’ Union européenne, ne pourra jamais s’y inscrire de façon permanente.

Les Allemands ont eu le courage de reconnaître l’holocauste juif et les Russes, 70 ans après, ont reconnu le massacre de Katyń contre les Polonais. Votre tour est venu. Donc, dépêchez-vous de reconnaître le fait historique incontestable du génocide des Arméniens !

Mais laissons la politique aux politiciens et aux hommes d’Etat, nous sommes écrivains, et cela nous oblige de faire connaître par l’écrit et la parole à nos sociétés respectives que le fait d’admettre le génocide, loin d’humilier la nation turque, l’ennoblira. Comme en chacun de nous le Nuremberg du génocide des Arméniens ne s’est pas accompli, il reste qu’en falsifiant le crime ou en le taisant, nous participons involontairement à cet acte.

Pendant la présentation de ton livre, tu as parlé de franchir les seuils. C’était très bien dit. Tu as déclaré qu’il y avait aussi des seuils entre les peuples et les pays qui ne devaient pas être des obstacles mais des points de passage. La frontière  arméno-turque est encore fermée et ça t’a pris beaucoup de temps pour rejoindre Erevan depuis Ankara. Et pourtant, tu aurais voulu arriver par vol direct en empruntant la voie qui va « du cœur vers le cœur » et dont vous faites l’éloge dans vos chansons nationales et nous, dans nos chants populaires. Parfois sur les seuils il y a du feu, tu l’as dit aussi, et si, une fois sur le seuil on hésite trop longtemps, la souffrance de l’aliénation peut se transformer en vice ou en maladie.

Hélas ! pour franchir le seuil il faut une porte ouverte et vous, vous avez opiniâtrement fermé toutes les portes devant l’âme, le foyer et le pays…

Ce qui est vrai, c’est que si demain les Etats Unis reconnaissaient aussi le fait génocidaire, comme les autres nations qui feignent d’être sourdes et muettes, alors Turcs et Arméniens se réuniront autour d’une table pour engager des négociations, car c’est justement à la société turque que reviendra le dernier mot.

Heureusement le mur épais du négationnisme a des fissures. Orhan Pamouk, lauréat du prix Nobel, l’historien éminent Taner Aktçam, l’éditeur Raguip Zarakolou… et ces centaines d’individus courageux qui ont reconnu publiquement le génocide pour la bonne raison qu’ils ne désirent pas vivre en étant complice d’un mensonge et d’une arnaque.

Le meurtre de Hrant Dink a bouleversé le monde entier  – qu’est-ce qui aura vraiment changé depuis l’époque de Mihran, l’émigrant ? –  et le jour de son enterrement a vu naître le mouvement civique « Je suis Dink, je suis Arménien ». Dans l’une des gares d’Istanbul (d’où en 1915 sont partis pour l’exil les intellectuels arméniens) a eu lieu une manifestation de protestation au cours de laquelle on a allumé des bougies. Et puis dernièrement des intellectuels turcs ont lancé sur leur site une collecte de signatures pour la reconnaissance du génocide.

Le dialogue a déjà commencé, et la dénonciation du crime exige que montent au créneau de nombreuses voix publiques.

Une autre voix encore.

La tienne.

Pour l’amour de la vérité historique.

Pour l’amour de ceux qui vont hériter du fardeau de l’histoire et défier l’avenir avec une conscience pure et des mains propres.

Pour l’amour de nos enfants qu’éclaire un même soleil, sans distinction de nation, de couleur de peau, de langue et de choix moral.

( Traduction Yvette Vartanian)

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