1 – En 1988, Vladimir Badassian, spécialiste du cinéma, visionna un film en deux parties, censé contenir des images documentaires du génocide et dont l’unique exemplaire se trouvait aux archives cinématographiques d’Erevan. Il identifia ce film de 20 minutes comme étant Deir-es-Zor, probablement tourné en 1926 et basé « sur les souvenirs de la jeune fille que l’on découvre, à la fin, suspendue à une croix ». De fait, à son arrivée en Arménie, Sétian fit un montage du Martyre d’un peuple en y introduisant des séquences de guerre, rédigeant deux prospectus pour les rapatriés, où il évoquait les promesses des Alliés et l’histoire des frontières de l’Arménie. L’affirmation était, à cette époque, sans danger.
2 – Mais l’article paru sur Sétian, en octobre 1988, dans Sovetakan Hayastan, montre qu’il ignorait qu’en réalité Le martyre d’un peuple était la copie rebaptisée de Ravished Armenia et qu’Elise Grayterian n’était autre qu’Aurora Mardiganian. Quand Eduardo Kozanlian, Arménien de Bucarest, émigré en Argentine en 1952, et qui s’était passionné pour le récit d’Aurora Mardiganian, vint en Arménie en 1994, il fut invité à voir le film identifié comme Deir-es-Zor. Kozanlian le reconnut aussitôt aux seules 14 minutes du film appartenant à Ravished Armenia.
3 – A la fin de sa vie, Sétian avait confié à Kozanlian que ses bandes étaient les seuls vestiges du film, les Turcs ayant payé la société de production pour brûler tous les négatifs. Mais pour Kozanlian : « Lorsque Sétian arriva en Arménie, en 1947, il tenta aussi d’apporter ses films. Les services de sécurité ont confisqué la cargaison à Batoumi et ne l’ont pas rendue ». Quant à Aurora Mardiganian, elle devait décéder en 1994, ignorant qu’on venait de découvrir le film. Deux ans après sa mort, une journaliste de Clarin, Matilde Sánchez, dans son essai de trois pages sur le film, en était réduite à des hypothèses par manque d’informations concernant Aurora Mardiganian.
4 – Le texte figurant sur le revers de la vidéocassette mise en vente pour la première fois en 2000, outre qu’il omettait le nom de Kozanlian, prétendait à tort que le fragment survivant fut découvert à cette date et que « les bandes restantes de ce film rare, à base de nitrate, [avaient] été en réalité perdues, probablement noyées avec un navire faisant route vers le port de Batoum ». En effet, on voit mal comment deux fragiles bandes de nitrate auraient survécu au naufrage, tandis que les autres auraient été perdues.
5 – Du reste, la perte de Ravished Armenia n’a rien d’extraordinaire quand on pense que sur les 10 919 films muets, produits aux États-Unis entre 1912 et 1919, et appartenant à la Bibliothèque du Congrès, il n’en reste que 3 313, les autres ayant été soit détruits par dégradation matérielle, soit éliminés avec l’avènement du cinéma parlant. Quant à l’intervention directe ou indirecte de la Turquie, elle relève de la spéculation. Toutefois, comme cela s’est souvent produit dans l’histoire, l’espoir demeure que resurgisse la version filmée de Ravished Armenia, comme la copie intégrale de Métropolis de Fritz Lang, découverte au Musée du Cinéma de Buenos Aires.