31 décembre 2020
30 décembre 2020
29 décembre 2020
10/F – « Où je meurs renaît la patrie » : LES ARMÉNIENS et le GÉNIE du GÉNOCIDE (suite)
F
On pourrait dire que le malheur arménien aura sans cesse balancé entre le pôle fatidique de la catastrophe et le pôle magnétique de la survivance. Une histoire faite d’assiègements au cœur d’une géographie en forme de couloir maléfique et morcelée de vallées vulnérables, poussant à la chute et au devoir de se remettre en vie. Ainsi, rasés à même leurs terres, parfois partiellement éradiqués, les Arméniens ont chaque fois repoussé plus drus, plus forts, plus vifs. Comme si le génie du peuple arménien lui avait été donné pour avoir frôlé ou traversé des enfers jusqu’à son achèvement par un génocide de la plus radicale cruauté.
Comme si la géographie qui dessert un peuple serait aussi capable de le fortifier.
Pour exemple, les Vietnamiens du Nord, soumis aux typhons, auront su développer une nature combative telle qu’elle aura très probablement joué sa part dans leur reconquête d’un Sud alangui par les clémences du climat. Et de fait, l’inverse eût été impossible dans la mesure où seuls les hommes du Nord avaient une âme assez ferme pour se dépasser et unifier le pays en bousculant des tracés injustifiés à leurs yeux. Nul doute aussi que les séismes et les tsunamis qui harcèlent régulièrement leurs îles n’aient contribué à aguerrir les Japonais (même à les doter d’agressivité conquérante), pétris de mystique dans le sacrifice, assujettis aux humeurs d’une terre capricieuse, mais toujours soucieux de s’y éterniser par la conscience du geste travailleur, en développant cette sorte de géométrie esthétique inspirée d’une nature qui donne abondamment et qui prend abondamment.
La terre fait l’homme tant que l’homme l’écoute. Et s’il entend sa chair, s’il entend ses reliefs, s’il entend ses colères, s’il entend sa beauté, mais aussi son insularité idéologique, il saura la cultiver pour se nourrir, l’exploiter pour son confort, la contempler pour se recueillir, l’adopter pour se défendre. En ce sens, on ne peut pas dire de la terre insatiable et vorace qui échoit à un peuple qu’elle lui soit hostile. Non. Seule permettra à ce peuple de survivre la conscience qu’il aura des intelligences, des subtilités et des humeurs que recèle sa terre.
Or, il se trouve que durant la guerre du Karabagh, les Arméniens n’ont pas su entendre leur terre.
Il fut un temps où par une sorte d’alchimie avec leur milieu, les Arméniens réussirent à résister aux coups de boutoir de l’armée turque. De fait, pour être juste, entre les fatalités de l’histoire et leur volonté de restructuration, les Arméniens ont également développé une telle ardeur à s’insurger qu’elle aura réussi à forger leur foi dans la préservation et la défense de leur identité. Durant le génocide, et en dépit du fait qu’ils aient été décapités, on ne peut dire qu’ils aient failli, jusqu’au moment où, outrageusement animalisés, ils ne pouvaient produire assez d’énergie pour survivre au désastre qu’on leur imposait. D’ailleurs, en diaspora où cette passion batailleuse se poursuit par la dénonciation inlassable du négationnisme turc et par l’esprit de bienfaisance et de solidarité, c’est comme si leur terre d’origine inspirait encore les Arméniens pour « sauver les restes » et se maintenir debout.
Malheureusement, les trente dernières années de l’histoire arménienne auront montré que les efforts de résilience nécessaires après six ans de guerre (1988-1994) auront pris le pas sur les impératifs de résistance. Cette longue résilience, à laquelle une diaspora servile a généreusement contribué, aura installé les Arméniens dans une forme d’insouciance coupable et d’irresponsabilité aveugle alors que l’Azerbaïdjan fomentait ouvertement sa revanche. On aura donc vu les Arméniens se comporter comme si le statu quo était déjà la paix. Et tandis que la caste des nantis menait grand train, le gros du peuple déléguait à ses enfants à peine sortis de l’adolescence et déguisés en soldats le devoir de protéger le pays. Pauvres soldats d’un peuple génial condamnés d’avance par l’impréparation et un équipement militaire anachronique.
Non, la terre arménienne n’est pas hostile aux Arméniens. Hier, de ses pierres, ils ont fait des églises. Mais aujourd’hui, ils n’auront su ni reconnaître, ni lire les opportunités de son relief pour inspirer leur combat. Contempler l’Ararat n’est qu’une paralysie paranoïaque quand il y a des terres à défendre. On ne défend pas la beauté de sa terre par la contemplation, mais par des armes appropriées au terrain et qui soient au minimum à la hauteur de ses prédateurs. Il est vrai que de catastrophe en catastrophe, de résilience en résilience, quand la résistance se perdait, c’était qu’une chose se perdait et qu’une autre se gagnait. Aujourd’hui, au terrain abandonné, aux soldats morts ou blessés, au désespoir et à l’humiliation, aux colères et aux divisions, fait suite, et à juste titre, une résilience en pleine activité. Les organisations caritatives de la diaspora, des plus organisées aux plus inventives, se donnent à fond pour apporter du soutien à une Arménie tombée au fond du trou. Elles ont le temps du savoir-faire et les Arméniens du monde entier ont du cœur à donner. De telle manière que ces Arméniens étrangers expriment ainsi une citoyenneté de la conscience arménienne plus haute et plus forte qu’une citoyenneté de papier.
Mais se confiner dans la résilience est une faiblesse dans la mesure où les Arméniens se fragilisent de plus en plus d’une tragédie à une autre tragédie plus destructrice, se liquéfient dans le sanitaire et l’humanitaire tandis que l’ennemi se fortifie dans sa violence. Or, quelle autre image donnent au monde les Arméniens que celle d’une litanie où aux tragédies hors normes succèdent des résiliences forcément admirables. Quelle autre image sinon d’un peuple dont le génie en est réduit à appeler à son secours des nations sœurs impossibles et impassibles ?
(à suivre)
Aphorisme du jour (58)
*
Les fumées de l’usine me rendant asthmatique, j’ai acheté des bonbons thérapeutiques que faisait cette fabrique.
28 décembre 2020
Aphorisme du jour ( 57)
Bonheur :
Toute fille présentant un casier vaginal inviolé pourra seule se porter candidate pour un homme aux 400 coups capable d’en tirer encore plus et même d’allumer onze mille vierges de son cierge éteint.
27 décembre 2020
2021 : Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
*
L’affiche rouge
de Louis Aragon
Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant