Ecrittératures

31 janvier 2012

Einsame Straße im Sangesur

Filed under: LIVRES,Route solitaire au Zanguezour — denisdonikian @ 9:59

« Route solitaire au Zanguezour »

vient d’être traduit en allemand par Christa Nitsch

et publié par Hay media Verlag

( Photo de couverture : Jean Bernard Barsamian)

28 janvier 2012

Une loi pour l’humanité

Filed under: GENOCIDE ARMENIEN — denisdonikian @ 9:35

 

Pour Georges Khayiguian,

créateur du Centre d’Etudes Arméniennes,

à l’origine des premières manifestations

en vue de la reconnaissance du génocide de 1915.

*

La loi en faveur d’une pénalisation de la négation des génocides, dont celui des Arméniens, a été un révélateur des mentalités à nul autre pareil. Brusquement les événements de 1915 ont littéralement explosé dans le champ médiatique français, après un siècle de silence, dont la moitié fut consacrée par les Arméniens au combat contre l’oubli et pour leur dignité. L’arrogance désespérée d’une Turquie aux abois, soucieuse de son image, n’a étonné que les naïfs. Quant aux salauds, ils ont préféré défendre des intérêts stratégiques, économiques, juridiques ou privés plutôt que la morale universelle.

En effet, le tapage qu’a suscité cette loi a montré, à ceux qui l’ignoraient, qu’il y avait une bêtise de l’intelligence. Une bêtise à se montrer intelligent. Un aveuglement au sein même d’un vœu de lucidité. Nous savons bien que l’esprit français a l’art de ratiociner à l’envi sur les questions de droit ou de philosophie, de douter de tout, de tout remettre en question et surtout de s’opposer pour s’opposer. Dire non serait un acte d’intelligence française. Et plus vite vous deviendrez rebelle, plus grande sera l’estime que vous porterez à vous-même. Loin de moi, l’idée de m’inscrire en faux contre cette attitude philosophique. Mais en l’occurrence, ceux qui l’ont pratiquée dans le cadre des débats autour de cette loi ont pour une fois mal joué leur rôle. Car il est des moments où l’homme, malgré l’avalanche des raisons, doit s’empêcher de les entendre. Comme dirait Camus, dont se réclament certains détracteurs de cette loi, un homme ça s’empêche… Pourquoi ? Comment ? C’est à la conscience de le dire.

Si les Français d’origine arménienne ont parfois eu du mal à se faire comprendre, c’est qu’ils défendaient le cœur de la chose même, alors qu’on leur opposait des débats situés dans les entours de la question. On les abreuvait de problèmes techniques – constitutionalité ou non, vocation du parlement, rôle des historiens, etc. – tandis qu’ils tentaient vainement de ramener cette question en son centre. C’était pour eux une grande douleur à devoir supporter ces discours périphériques aux dépens de l’essentiel. Quelques intellectuels ayant pignon sur rue ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Ils n’ont pas cherché les poux de cette loi comme certains l’ont fait. Leur pensée n’étant  altérée par aucun intérêt, ils ont jugé la chose en conscience. C’est tout à l’honneur de Bernard-Henri Lévy, de Michel Onfray et d’autres d’avoir d’emblée pris  en compte le sujet en son noyau. Ils auraient eu honte de tergiverser alors que cette loi relative à la pénalisation des génocides est d’abord et avant tout une loi qui préserve la dignité des victimes et l’avenir de l’Europe. Ils ont su tout de suite que le négationnisme était une gangrène qui fait obstacle aux avancées de l’humanisme européen et à l’humanisation des rapports interpersonnels. Que le génocide des Arméniens doit être défendu par une loi, enseigné dans les écoles pour la simple et bonne raison que l’oublier serait une défaite des valeurs qu’il faut sans cesse promouvoir, sans cesse préserver contre ceux qui tentent de les pervertir.

(Qui n’a vu que la Turquie négationniste, dans sa grande monstruosité morale, a opposé valeur contre valeur pour enrayer le vote du sénat ? En effet, rien ne marche plus dans ce genre de débat que de brandir une menace à la liberté d’expression. Les médias français, soucieux de défendre leur pré carré, ont vite fait de tomber dans le piège, oubliant que ce qui était dénoncé en France par les Turcs était largement pratiqué chez eux. Mais qui n’a vu aussi que cette loi était un coup de semonce à l’adresse  d’une Turquie qui depuis des années veut entrer armée de son histoire sanglante dans une Europe  qui ne la « sent » pas  ? Les sénateurs opposés à cette loi ont usé de tous les arguments sauf à dire que le négationnisme ne pouvait pas avoir  de place sur tout le territoire européen. Or, la Turquie veut tout : l’Europe et son propre nationalisme, l’Europe et sa propre invasion de Chypre, l’Europe et sa fermeture des frontières avec l’Arménie, l’Europe et ses propres massacres de Kurdes, L’Europe et son mausolée à Talaat, l’Europe et l’emprisonnement de ses propres intellectuels… Cette persistance à user de la force nous conduit à rire de la naïveté des Verts qui croient que l’Etat turc puisse être contaminé par les valeurs européennes et se purger de ses démons unionistes. D’ailleurs, qui n’a vu que les Turcs de France, brandissant leurs drapeaux devant le Sénat, étaient d’abord turcs avant d’être français ?)

Dans le fond, que réclament les Arméniens de France par le biais de cette loi ? Leur humanité. Leur appartenance au monde des hommes. Car aujourd’hui en France comme hier en Turquie, les Arméniens ont le sentiment d’être niés comme êtres humains à part entière par d’autres hommes. (Hrant Dink ne fut-il pas écarté de la rédaction du journal « Birgun » du fait de ses origines arméniennes ?).

L’humanité je vous dis.Encore elle. Le centre. Le coeur du débat.

Denis Donikian

18 janvier 2012

Oui, j’accuse le peuple turc… ou le négationnisme par ignorance

Filed under: GENOCIDE ARMENIEN — denisdonikian @ 1:33

 ( Article paru dans Yevrobatsi.org en juillet 2006 et dans le recueil Vers l’Europe. Du négationnisme au dialogue arméno-turc)

L’impossible dialogue abîme le temps qui sépare les Arméniens et les Turcs selon le degré de conscience et de connaissance que les uns et les autres ont des événements de 1915. Les uns et les autres sont les produits de paroles entendues sur cette période de leur histoire. Ce que les Arméniens ont reçu de leurs parents comme un déluge monstrueux, les Turcs l’ont rendu invisible par ce désir d’innocence et de force qui anime les gouvernements faisant table rase de leurs crimes.

Or, à l’évidence, la douleur ne ment pas et les gouvernements manipulent.

Les rescapés de 1915 ne pouvaient en aucune manière lutter contre les images de mort accumulées dans leur mémoire. Quand bien même auraient-ils pu sciemment en contenir le flot pour en préserver leurs enfants, leur silence aurait parlé pour eux. Et il est un fait que tout Arménien d’origine ayant connu de près ou de loin un parent rescapé reste marqué à jamais par une mémoire impersonnelle de la Catastrophe. C’est que la douleur ne s’invente pas. Elle pourrait être feinte, jouée, simulée un temps par quelques centaines de personnes agissant selon des intérêts politiques, mais nullement feinte, jouée ou simulée toute une vie par chaque membre d’un peuple. Cette douleur qui ne cesse de se répercuter de génération en génération, qui torture les esprits et les cœurs et que les plus salauds des hommes regardent comme de la haine. De fait, le deuil revendicatif des Arméniens d’aujourd’hui, on ne le dira jamais assez, naît de la honte même qu’ils éprouvent à devoir le déclarer comme une marque de leur identité et à ne recevoir en retour qu’indifférence, scepticisme ou mépris. Les humiliés de l’histoire savent qu’ils ont tort d’encrasser de leurs cris le désir d’avenir des hommes, alors qu’ils sont la voix la plus nécessaire à cet avenir-là.

Quand les Arméniens écrasés par la Catastrophe étaient sans voix, des hommes ont parlé pour eux, ont publié des livres pour les défendre, ont donné leur vie pour les aider à vivre. Aujourd’hui ces paroles, ces livres, ces actions restent. Les hommes peuvent inventer des histoires un temps, ils ne peuvent inventer l’histoire tout le temps. Le génocide arménien n’est une fiction que pour ceux qui font de l’histoire une dissection de cadavre amaigri, mutilé, éventré, gangrené, en oubliant qu’il fut une femme enceinte, un enfant brûlé vif, un vieillard décharné, une mère devenue folle, une jeune fille violée, violée, violée mille fois… Mille fois depuis 90 ans, les Arméniens sont violés dans leur chair. Et ces choses-là mille fois ont été dites, écrites, transmises et ressassées, mémorisées et archivées, les morts nommés, les lieux désignés, les actes dénoncés…

Contre cette marée accusatrice nourrie en permanence de témoignages directs, d’études scientifiques, de conférences de toutes sortes, les Turcs n’ont eu à opposer que des livres non scientifiques, des demi-vérités, des procès, des ratiocinations, des propagandes, des faits sans commune mesure avec l’évidence du vide dont ils ont été les artisans. Concernant le génocide arménien, l’historiographie du négationnisme ne pèse d’aucun poids sérieux au regard de celle qui constitue le génocide.

Aujourd’hui la Turquie est une forteresse assiégée par les indignations de la conscience universelle. Au sein même de cette forteresse, pas un jour où des articles ne s’écrivent sur le génocide perpétré contre les Arméniens. Et pas un Turc ou si peu pour se dire : Voyons voir… Voyons voir… Tout Turc voulant s’informer peut le faire. L’éditeur Ragib Zarakoglu aurait de quoi servir le moindre appétit de qui chercherait à éclairer sa lanterne. Sans compter le livre Neige d’Oran Pamük, les procès multiples qui se déroulent sous ses yeux… Tout est là pour lui mettre la puce à l’oreille.

Hors de la Turquie, les jeunes générations ayant appris la langue de leur pays d’accueil, que ce soit l’allemand, le français, l’anglais, l’italien… ont l’embarras du choix pour s’informer. Nul doute que certains ne le fassent. Nul doute que ces mêmes ne se taisent auprès de leurs coreligionnaires. Or, le plus dur à affronter est cette forteresse intérieure fondée sur la peur qui empêche la vérité de secouer les murailles de la conscience. Car le négationnisme est un obscurantisme et l’obscurantisme, s’il est l’instrument d’un régime fasciste et autoritaire, ne résiste pas aux coups de boutoir d’une démocratie fondée sur la libre circulation des idées.

Il en découle que trop longtemps, le désir de comprendre a conduit les Arméniens à porter l’accusation de négationnisme contre le seul État turc. Avec les événements de Valence, de Lyon, de Berlin, et dernièrement de Valentigney, nous avons tout lieu de croire que les Turcs eux-mêmes, baignant dans tel ou tel pays d’Europe, auxquels est donné le droit à l’information, demeurent résolument imperméables à la vérité et lui préfèrent le songe et le mensonge collectifs.

Nul n’est censé ignorer son histoire, c’est une loi de la conscience. Et s’il vrai qu’il existe des Ragib Zarakoglu, Ali Ertem,  Ayse Günaysu, Fatma Goçek, Elif Shafak ou Oran Pamuk, et d’autres qu’anime le même devoir de savoir, on peut dire qu’ils représentent l’exception confirmant la règle absolue de l’ignorance, de l’arrogance, de la foi en la force contre l’humanité.

Dès lors, oui, en tant qu’Européen, j’accuse le peuple turc de vouloir ignorer son histoire et de refuser le risque d’assumer les conséquences de la vérité, comme l’ont fait et le font chaque jour Ragib Zarakoglu, Ali Ertem, Ayse Günaysu, Fatma Goçek, Elif Shafak ou Oran Pamuk, et quelques autres.

Denis Donikian

16 janvier 2012

Lettre à Paris Match à propos de Vidures.

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 1:47

Monsieur le rédacteur en chef,

Dans votre dernier numéro, le chroniqueur Gilles Martin-Chauffier a bien voulu évoquer mon livre Vidures. Pour le moins, je me serais attendu à une critique d’ordre littéraire. Mais faisant fi de toute considération esthétique, Monsieur Martin-Chauffier a pris plaisir à traiter mon roman comme un simple document sur l’Arménie. En ce sens, en tant qu’auteur, j’aurais préféré qu’il évite ce genre de manipulation et même qu’il n’en parle pas du tout. Je tiens à préciser toutefois que cet article écrit par un amoureux de la Turquie, comme c’est son droit, profère des confusions grossières qui sont indignes d’un journaliste.  Comme celle de prétendre que la loi pour la pénalisation de la négation du génocide implique interdiction à quiconque de s’exprimer sur la Turquie. Pour ce qui est de  la liberté d’expression à laquelle semble justement attaché Monsieur Martin-Chauffier, il serait bon qu’il demande leur avis à tous les journalistes et intellectuels turcs emprisonnés depuis quelques mois et dont on aimerait qu’ils soient défendus par les journaux français, quitte à fâcher ce pays cher à votre chroniqueur. Par ailleurs, concernant la pauvreté dont parle mon livre, il faut savoir que la fermeture des frontières depuis 1994, à l’initiative de la Turquie, n’est pas étrangère aux énormes difficultés économiques dans lesquelles se débat l’Arménie aujourd’hui. La Turquie, qu’affectionne tant Monsieur Martin-Chauffier, et qui se dit européenne, semble encore obéir à des réflexes d’un autre âge. Enfin, partisan actif du dialogue arméno-turc, j’ai toujours exonéré les Turcs d’aujourd’hui de toute responsabilité directe dans les actes génocidaires accomplis par leurs grands-parents. Mais que penser de ceux qui nient les exactions anti-arméniennes de 1915, sinon qu’ils parachèvent le fait génocidaire par une parole et des comportements négationnistes. Libre à Monsieur Martin-Chauffier de l’oublier dans sa monstrueuse démonstration d’amour.

Denis Donikian

« On va tous vous brûler… »

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 2:14


 ( Article paru dans Yevrobatsi.org en novembre 2004 et dans le recueil Vers l’Europe. Du négationnisme au dialogue arméno-turc)

*

Nous autres Arméniens, nous savons que la vérité n’est jamais assez vraie pour donner droit à la justice, ni le crime jamais suffisamment monstrueux pour condamner le criminel. Que la haine raciste n’est pas soluble dans l’humanisme européen. Que l’esprit démocratique a un devoir de vigilance impératif et catégorique s’il veut se garder de ses ennemis. Car les moins démocratiques des pays sont prêts à tous les déguisements pour exercer leur prédation sur les biens de leurs voisins acquis au fil d’une lente et raisonnée conscience de l’histoire.

Pourquoi l’entrée de la Turquie dans l’Europe inspire-t-elle dégoût et rejet aux Arméniens de France plus qu’aux Français eux-mêmes ? C’est qu’un siècle d’impunité durant lequel la Turquie a masqué son forfait à coups de mensonges, de menaces, de chantages et de ruses, a donné aux Arméniens, toutes générations confondues, une sensibilité particulière qui les rend aptes à dire le vrai, quitte à se faire passer pour les rabat-joie d’une Europe en marche.

Non, messieurs les démocrates, le négationnisme n’est pas soluble dans l’esprit européen. Et la Turquie négationniste n’est pas soluble dans la démocratie. Et si elle n’est pas européenne, c’est pour la seule raison qu’elle a tracé elle-même ses frontières idéologiques par la pratique de la discrimination et du crime. La Turquie veut engrosser l’Europe en la payant comme une putain. Et cette Europe est prête à saborder sa dignité en se laissant imposer un désir économique qui utilise toutes les voies pour aboutir à ses faims.

Pour nos démocrates, dire non serait faire preuve de repliement sur soi. Le rejet a mauvaise presse et donnerait mauvaise conscience. Et voilà comment le candidat controversé ruse avec ce mythe très bergsonien de l’ouverture pour forcer les portes européennes. Les Arméniens qui disent le vrai sont les fous d’une Europe assez imbue d’elle-même pour croire que ses idéaux humanistes ont le don d’assimiler la criminalité négationniste. Disant le vrai, ils sont effarés par l’aptitude à l’ignorance dont font preuve les hommes de presse ou de la politique, qui raccourcissent l’histoire massivement monstrueuse par des mots inadéquats, des guillemets honteux ou des doutes incongrus au seul profit de leur ivresse d’avenir ou de leurs intérêts mercantiles. Car les médias français qui font volontairement le jeu d’une propagande négationniste sont ni plus ni moins eux-mêmes négationnistes.

Certes, le peuple turc n’est pas assimilable à la Turquie. D’aucuns, parmi les nôtres, cédant à leur propension à dire non au non, défendent avec justesse cette raison démocratique qui point dans le paysage politique d’un pays croissant sous la botte. Préalable ou pas préalable que cette reconnaissance du génocide ? Or, l’expérience montre que les États de la Turquie ont affiché leur constance à toujours compter avec le temps pour que les Crimes fondateurs du pays disparaissent dans la conscience du monde occidental et se diluent dans la résignation des Arméniens eux-mêmes. Si l’intention du crime fonde le crime, que dire de l’intention de le nier ? Il n’est pas pensable que la Turquie lâche prise après avoir fait un si long chemin dans le déni et ne tienne la barre négationniste jusqu’à l’extinction du dernier des Arméniens. Mieux, son arrogance demain s’exercera en terre européenne pour harceler jusqu’au bout dans leur chair, leur histoire et leurs monuments les ultimes gardiens de la mémoire arménienne.

Ce qui, à Valence, a pu frapper un observateur sensible à ces questions, c’est la violence des propos (« Nos parents ont massacré vos parents et on va finir le travail »,  « Sales Arméniens, on va tous vous brûler et on va brûler votre centre »), la jeunesse des agresseurs et des agressés, l’impunité manifeste dont ont joui les premiers (pour deux d’entre eux, deux heures de retenue au commissariat avant d’être libérés sous la pression de jeunes Turcs venus en nombre), la minimisation de l’affaire par la police (qui n’est pas intervenue malgré un coup de téléphone dès les premières échauffourées et qui a assimilé l’agression à une rixe), la volonté de ne donner aucune suite pénale à l’affaire (aucun jour d’arrêt maladie pour un bras cassé), et pour finir, le déni qui conduit à semer le doute dans l’esprit des journalistes et à faire de la victime un coupable par provocation.

Les événements de Valence sont les prémices des affrontements qui attendent l’Europe, que la Turquie y entre ou non. Pour commencer, entre les jeunes générations de Turcs sous-informés, éduqués dans le nationalisme, et les jeunes générations d’Arméniens profondément affectés par le négationnisme ambiant. Les signes avant-coureurs étaient lisibles dans la dégradation des monuments dédiés aux victimes de 1915. Permanentes en Turquie où l’on s’exerce au tir sur les vieilles églises arméniennes, épisodiques en France à Alfortville et sur le socle de la statue de Komitas recouvert d’un drapeau turc, ces formes d’humiliation ne montrent rien d’autre que la volonté d’effacer l’homme arménien de l’humanité même. Déjà ont lieu dans les écoles françaises où est enseigné le génocide, des querelles entre adolescents turcs et adolescents arméniens. Comme il a été dit dans l’une d’elles, les hommes reprocheront toujours à d’autres hommes d’être vivants… encore vivants. Trop vivants.

Novembre 2004

12 janvier 2012

A propos de Vidures (10) in France-Arménie

Filed under: TOUT sur VIDURES — denisdonikian @ 6:28

Pour lire d’autres critiques sur le livre, cliquer sur la catégorie  : Tout sur Vidures

A propos de VIDURES (9) in Paris Match

Filed under: TOUT sur VIDURES — denisdonikian @ 4:17

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Réponse à Paris Match

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Pour lire d’autres critiques sur le livre, cliquer sur la catégorie  : Tout sur Vidures

10 janvier 2012

Les hommes naissent égaux en droit

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 5:09

 

Les hommes naissent égaux en droit. Mais ils ne naissent pas tous au meilleur endroit.

D’ailleurs, les hommes égaux en droit ne font rien pour améliorer l’endroit des autres.

Ou plutôt, nous dirons qu’ils ne sont que quelques-uns à aider les autres qui sont trop nombreux pour être tous aidés.

Le combat humanitaire pour une justice plus grande est inégal. C’est désespérant.

Parmi ces autres, qui sont trop nombreux, si nombreux, il en est qui naissent dans la famine, et il en est qui naissent dans la guerre.

Certains dans la famine et dans la guerre.

Mais je plains aussi ceux qui naissent dans l’humiliation et le dépouillement.

Oui. Les uns dépouillent les autres de leurs biens pour que le leur s’accroisse d’autant.

Les uns dépouillent les autres de leurs terres pour que leurs terres s’accroissent jusqu’à la dispersion ou l’étouffement des dépouillés.

Il en est qu’on jette dans l’abîme ou qu’on disperse de par le monde pour que d’autres aient de quoi habiter leur monde.

Qu’importe. Les humiliés d’hier peuvent devenir les dominateurs d’aujourd’hui.

Les écrasés d’hier devenir les écraseurs d’aujourd’hui.

Les massacrés d’hier peuvent devenir les massacreurs d’aujourd’hui.

Or, celui qu’on humilie et qu’on dépouille n’a plus d’autre recours que de devenir lui-même homicide.

N’ayant plus rien à perdre que sa vie, il n’a d’autre recours que de recouvrer sa dignité dans le meurtre des autres par la mort de soi-même.

L’extrême dépouillement conjugué à une non moins extrême humiliation conduit au recours de moyens extrêmes pour recouvrer sa dignité.

L’extrémité de l’humiliation est le foyer de tout extrémisme.

Mais on ne tue pas et on ne se tue pas sans mystique.

Les missionnaires de la terre perdue ou de la terre promise se laissent toujours guidés par Dieu.

La terre devient sacrée dès lors qu’on vous la prend.

Or, tous ceux qui se battent pour une même terre, le font au nom de cette terre qu’ils considèrent comme sacrée.

Et pour rendre sacrée cette terre, quoi de plus naturel que de la défendre au nom de Dieu ?

Quand les hommes deviennent les ennemis des hommes et que les uns et les autres en appellent également à Dieu, Dieu se dédouble pour se battre à mort contre Lui-même.

Certes, tout est possible à Dieu.

Sauf d’être le jouet des hommes.

Sauf d’être la haine qui les anime.

*

Juillet 2006

*

Texte repris et publié dans notre ouvrage Vers L’Europe, du négationnisme au dialogue arméno-turc (Actual Art, Erevan, 2008)

9 janvier 2012

La culture ? Il y a des maisons pour ça.

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 5:40

(Plaidoyer pour une Maison arménienne de la Culture)

Un jour, à une question sur la tolérance, l’intolérant Claudel, spirituel en diable, répondit qu’il y avait des maisons pour ça. Il se trouve que l’inculte et paresseux que je suis, à une question sur la culture arménienne, pourrait répondre sur le modèle claudélien que nous avons pour ça nous aussi des maisons. Et comme toute maison de tolérance est le lieu d’une pratique physique de l’amour, je serais tenté de dire que les maisons de la culture arménienne sont des lieux d’une pratique politique de la culture, c’est-à-dire d’une culture qui, loin de tolérer l’amour de la culture, se définit par le rejet de tout ce qui la contrarie.

Il est vrai que les gardiens du temple de la culture arménienne n’ont pas eu à passer un examen de compétence, ni à répondre à la question du sens de la culture et de son contraire. Il leur suffisait d’être idéologiquement estampillés pour être aussitôt promus vestales à vie de la flamme et du flambeau. C’est que chez nous, comme chez les peuples assignés à la survie, la culture a souvent été fille de la politique, pour ne pas dire sa putain. Ce qui nous conduit à dire qu’en nos culturelles maisons de tolérance, la culture se prête au peuple venu jouir de soi, lui offre une panoplie de positions typiquement arméniennes, sans que ce même peuple parvienne jamais à l’engrosser. Instruments préservatifs de jubilation par quoi le peuple s’autoconsomme en images masturbatoires, nos maisons cultuelles sont les antichambres stériles de la mort culturelle.

Loin de nous l’idée de croire qu’une culture ne doive pas cultiver son particularisme ou marquer sa singularité. Si la culture est la part visible d’une mentalité collective, la culture arménienne montre le bien de ce que nous sommes sans parvenir pour autant à en dissimuler le mal. En ce sens, les maisons de la culture maintiennent une ligne de conduite non négligeable derrière laquelle elles font vivre le passé. Quitte à réduire parfois la culture à un culte orienté de l’histoire, à des revendications politiques et à de grandes bouffes religieusement barbares. Même s’il est vrai que ces maisons, fondées sur des principes de préservation, n’ont montré aucune vocation à accueillir les déshérités venus d’Arménie, elles ont été à la pointe de l’urgence quand le pays appelait au secours. Une culture de l’humanitaire tournée vers la sauvegarde du pays ne saurait être confondue avec un humanisme au service de l’homme quel qu’il soit et quelle que soit sa souffrance. Que non !

Mais ces maisons, comprises comme des musées du ressassement, ne doivent pas nous faire oublier que les cultures narcissiques souffrent d’insuffisance respiratoire. Quand la culture est dominée par ses gardiens au détriment de ses acteurs, elle produit de l’atonie. Quand ces mêmes gardiens sont plus éduqués pour maintenir leurs réponses que pour accueillir les questions, la culture court à son dépérissement. Ce qui revient à dire que si les maisons de la culture arménienne ne sont pas des maisons arméniennes de la culture, c’est bien qu’elles se préoccupent moins de l’Arménien tel qu’il est que de l’Arménien tel qu’elles voudraient qu’il soit. La culture est un projet éducatif inhérent à un programme politique. Dans l’état de survie où nous sommes, quoi de plus normal ? Mais dans la mesure où toutes les maisons de la culture arménienne relèvent d’une même autorité politique, on est en droit de parler d’idéologie. Si la culture vivante déserte ces maisons qui chercheraient sinon à l’y inviter, du moins à la récupérer, c’est bien qu’elle n’y trouve pas matière à s’inventer de nouveaux modes d’expression.

Or, l’idéologie et la culture ne font pas jamais bon ménage. Celle-ci y joue le rôle de la femme instrumentalisée à des fins purement nationales. Dans ce cas de figure, la culture se manifestera sous des formes dangereusement ethnocentriques de repliement sur soi et de reniement des autres. Ceux-ci étant aussi bien les non-Arméniens que les Arméniens qui pensent autrement l’arménité qu’en termes de préservation. Aujourd’hui la culture arménienne en France a atteint les limites du supportable et souffre de cet ostracisme rampant. Les gardiens de la culture, grâce aux pouvoirs médiatiques qu’ils détiennent, sont devenus plus importants que ses acteurs. Aujourd’hui ceux qui questionnent la culture sont tués dans l’œuf par le silence dans lequel les plongent les gardiens, et demain par les menaces qu’on fera peser sur eux. Mais ces mêmes gardiens relaient jusqu’à plus soif les messages de leurs partisans idéologiques ou ceux qu’ils jugent favorables à leur ligne.

Chacun aura compris que les maisons de la culture arménienne ne peuvent se prévaloir de l’objectif de préservation pour devenir des maisons d’intolérance culturelle. Que la meilleure façon de faire de la culture, c’est d’échapper à sa folklorisation, c’est de la confronter aux autres cultures pour qu’elle s’en nourrisse. On constate déjà les effets de ce métissage partout où la culture arménienne fait fi d’une idéologie de la pureté culturelle, en Arménie dans les arts plastiques, en diaspora essentiellement dans les arts musicaux qui ont relevé le défi moderne de l’interculturalité. De la sorte, le message arménien passe mieux et sonne comme un renouveau énergétique et vivant.

Si Paris devait se doter d’un lieu où l’arménité puisse exprimer son humanité pleine et entière, ce n’est pas par une réplique des maisons de la culture arménienne qu’elle y parviendrait, mais par la fondation d’une Maison arménienne de la culture.

Août 2004

Texte repris et publié dans notre ouvrage Vers L’Europe, du négationnisme au dialogue arméno-turc (Actual Art, Erevan, 2008)

8 janvier 2012

Je suis un enfant du mensonge

Filed under: CHRONIQUES à CONTRE-CHANT — denisdonikian @ 2:28

Je suis une vie que je n’ai pas voulue. On peut choisir des choses, un mode d’existence, mais on n’échappe pas à cette chose qui est la cause souterraine de tout, de nos mythes intimes et de nos folies récurrentes.

Qu’est-ce qui me fait aller et venir en Arménie depuis des années, enchanté de m’y rendre, aussitôt écœuré de voir trahi mon propre enchantement ? On cherche à respirer, on ne rencontre que l’asphyxie.

Comme Arménien de la diaspora, je suis la création d’un mensonge. Enfant de parents dépossédés de leur enfance, brutalement et sans retour, de ce vert paradis qu’ils surajoutèrent ou substituèrent à l’enfance même de leurs propres enfants. Mes parents m’ont dépossédé de ma propre enfance au profit de la leur, plus merveilleuse que la mienne, d’autant plus merveilleuse qu’elle fut brutalement perdue et sans retour.

Ma mère me vantait les abricots de Malatia en faisant le geste d’en tenir un, gros comme ça. Pour un enfant de survivants, ce geste vous ouvrait aux images de l’Eden. L’Eden, l’Eden… L’Eden dont on vous chasse est l’Eden qui vous hantera toute votre vie, la vôtre et celle de toutes les générations qui naîtront de vous.

Mais s’ils avaient une saveur particulière, une grosseur peu commune, une couleur à nulle autre pareille, ces abricots de Malatia restaient des abricots. Ceux décrits par ma mère m’étaient racontés pour que je les cherche sans que me soit donné l’espoir de les trouver jamais.

Depuis, ma tête est tout entière cette quête-là. Je vais, je viens, je voyage pour assouvir une nostalgie qui n’est pas la mienne et qui m’a été inoculée au plus vif de mes images du monde en formation dans mon esprit.

Plus de cinquante ans après que mes parents l’avaient quittée, je me suis rendu à Malatia, la ville même où ils étaient nés, forcément pour toucher des yeux et reconnaître à pleine bouche les abricots de ma mère. La place où mon père aurait été apprenti boulanger n’était qu’une minable petite place, leur rue, si c’était encore leur rue, qu’une ruelle étroite et poussiéreuse, et leur chapelle avait été transformée en dépotoir…

Or, poursuivant ma quête, c’est en Arménie que j’ai cru toucher des yeux et reconnaître avec ma bouche ces abricots, les meilleurs au monde, dans le verger d’un cousin. En Arménie, loin de Malatia, mais dans une Arménie quand même. Ces abricots qui étaient censés m’ouvrir toutes sortes de portes sur le paradis arménien. Mais dans cette Arménie, c’est l’enfer de l’enfermement que j’ai retrouvé, la bêtise politique, la concurrence animale des hommes. Dans une Arménie, soviétique puis indépendante, j’ai vu des Arméniens asservis aux démences d’une démocratie falsifiée, citoyens d’une république de l’arbitraire et du mensonge.

C’est en Arménie que, agressé dans mon sommeil mythologique, j’ai compris qu’être arménien, c’était être fou et que j’étais moi-même perdu pour la raison.

On m’aura donc menti sur le monde. Et ce sont les miens qui m’auront fait ce que je suis. C’est leur folie héritée de l’histoire qui m’aura à mon tour rendu fou. Que pouvaient-ils faire d’autre ? Mais pas seulement eux. Par le silence qu’il faisait peser sur le génocide de 1915, sur le saccage de l’Eden, sur la déportation et la fuite de ceux qui y furent nés, le monde lui-même m’avait entretenu dans l’idée que rien n’avait eu lieu. Depuis cette date, tous sans exception, chacun à sa manière, les Arméniens se débattent comme des fous pour obtenir du monde le retour de la lumière.

Oui, ce fut un long silence et ce fut un temps de mensonge. Pendant des années, on a menti sur l’histoire et l’histoire a menti sur les Arméniens. Déjà, la folie des bourreaux avait rendu fous les survivants, d’une folie qui vous rend sourd au monde et muet sur votre monde. Durant cinquante années, ces Arméniens n’ont fait que murmurer entre eux sans oser dire au monde ce qu’ils savaient de ce monde-là. Ils y vivaient mais ne l’habitaient pas. Ils ne cessaient d’en être chassés.

Mes années d’enfance ont entendu ces murmures de massacres et ma jeunesse a fermenté dans ce meurtre de la mémoire arménienne. Mais, à la longue, plus éhonté devenait le mensonge du monde, plus fous devenaient les Arméniens. Cette folie arménienne, je la reconnais comme mienne aujourd’hui, au moment où le mensonge perpétue sa logique de l’effacement des Arméniens.

Si, comme Arménien de la diaspora, je suis en proie au désenchantement chaque fois que je me rends en Arménie, que dire du désenchantement des Arméniens qui y habitent, en proie aux folies de leur propre pays ? Venu en ce pays pour que viennent à moi ces merveilles qui sont les mensonges dont sont faits mes rêves d’Arménie, je suis envahi par l’absurde et le chaos. Venu avec mes folies pour m’en guérir, me voici plongé dans un pays de fous. Enfant d’un mensonge, je rencontre des enfants d’un autre mensonge, celui de leur histoire au quotidien. Eux et moi, frères floués, troués par d’insondables trahisons. Venu pour habiter enfin le monde le temps de quelques jours en Arménie, je me retrouve parmi des Arméniens qui n’habitent plus l’Arménie, sinon comme des fantômes ou des pantins manipulés, tant la politique du pays arménien a trahi la mystique des Arméniens pour leur pays.

Comme mienne aussi, je reconnais la folie qui habite les Arméniens d’Arménie, chaque jour plus impuissants à enrayer les logiques politiques de l’absurde qui sévissent en toute impunité contre leur humanité même.

Ma vie n’est vraiment pas la vie que j’aurais voulue, elle est restée celle d’une démence de l’histoire qui frappe encore, toujours et de toutes parts tout Arménien. Mais ce chaos qui m’habite et qui anime tout Arménien, qu’il soit de la diaspora ou d’Arménie, refusant de mourir de la mort même où on voudrait l’emmurer, est de ces chaos actifs qui condamnent les hommes à fabriquer leur humanité. Si, comme Arménien de la diaspora ou comme Arménien d’Arménie, je suis en lutte contre la surdité et l’absurdité du monde, c’est que je tiens les Arméniens, à l’égal d’autres hommes impliqués dans d’autres causes, pour des acteurs de la conscience qui habite ce monde-là.

Dans ce sens, si ma vie n’est vraiment pas la vie que j’ai voulue, c’est peut-être que la vie m’a voulu comme ça pour quelque chose qui serait « moi-même plus moi-même que moi ».  

Amen !

Octobre 2006

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Texte repris et publié dans notre ouvrage Vers L’Europe, du négationnisme au dialogue arméno-turc (Actual Art, Erevan, 2008)

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