31 janvier 2012
28 janvier 2012
Une loi pour l’humanité
Pour Georges Khayiguian,
créateur du Centre d’Etudes Arméniennes,
à l’origine des premières manifestations
en vue de la reconnaissance du génocide de 1915.
*
La loi en faveur d’une pénalisation de la négation des génocides, dont celui des Arméniens, a été un révélateur des mentalités à nul autre pareil. Brusquement les événements de 1915 ont littéralement explosé dans le champ médiatique français, après un siècle de silence, dont la moitié fut consacrée par les Arméniens au combat contre l’oubli et pour leur dignité. L’arrogance désespérée d’une Turquie aux abois, soucieuse de son image, n’a étonné que les naïfs. Quant aux salauds, ils ont préféré défendre des intérêts stratégiques, économiques, juridiques ou privés plutôt que la morale universelle.
En effet, le tapage qu’a suscité cette loi a montré, à ceux qui l’ignoraient, qu’il y avait une bêtise de l’intelligence. Une bêtise à se montrer intelligent. Un aveuglement au sein même d’un vœu de lucidité. Nous savons bien que l’esprit français a l’art de ratiociner à l’envi sur les questions de droit ou de philosophie, de douter de tout, de tout remettre en question et surtout de s’opposer pour s’opposer. Dire non serait un acte d’intelligence française. Et plus vite vous deviendrez rebelle, plus grande sera l’estime que vous porterez à vous-même. Loin de moi, l’idée de m’inscrire en faux contre cette attitude philosophique. Mais en l’occurrence, ceux qui l’ont pratiquée dans le cadre des débats autour de cette loi ont pour une fois mal joué leur rôle. Car il est des moments où l’homme, malgré l’avalanche des raisons, doit s’empêcher de les entendre. Comme dirait Camus, dont se réclament certains détracteurs de cette loi, un homme ça s’empêche… Pourquoi ? Comment ? C’est à la conscience de le dire.
Si les Français d’origine arménienne ont parfois eu du mal à se faire comprendre, c’est qu’ils défendaient le cœur de la chose même, alors qu’on leur opposait des débats situés dans les entours de la question. On les abreuvait de problèmes techniques – constitutionalité ou non, vocation du parlement, rôle des historiens, etc. – tandis qu’ils tentaient vainement de ramener cette question en son centre. C’était pour eux une grande douleur à devoir supporter ces discours périphériques aux dépens de l’essentiel. Quelques intellectuels ayant pignon sur rue ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Ils n’ont pas cherché les poux de cette loi comme certains l’ont fait. Leur pensée n’étant altérée par aucun intérêt, ils ont jugé la chose en conscience. C’est tout à l’honneur de Bernard-Henri Lévy, de Michel Onfray et d’autres d’avoir d’emblée pris en compte le sujet en son noyau. Ils auraient eu honte de tergiverser alors que cette loi relative à la pénalisation des génocides est d’abord et avant tout une loi qui préserve la dignité des victimes et l’avenir de l’Europe. Ils ont su tout de suite que le négationnisme était une gangrène qui fait obstacle aux avancées de l’humanisme européen et à l’humanisation des rapports interpersonnels. Que le génocide des Arméniens doit être défendu par une loi, enseigné dans les écoles pour la simple et bonne raison que l’oublier serait une défaite des valeurs qu’il faut sans cesse promouvoir, sans cesse préserver contre ceux qui tentent de les pervertir.
(Qui n’a vu que la Turquie négationniste, dans sa grande monstruosité morale, a opposé valeur contre valeur pour enrayer le vote du sénat ? En effet, rien ne marche plus dans ce genre de débat que de brandir une menace à la liberté d’expression. Les médias français, soucieux de défendre leur pré carré, ont vite fait de tomber dans le piège, oubliant que ce qui était dénoncé en France par les Turcs était largement pratiqué chez eux. Mais qui n’a vu aussi que cette loi était un coup de semonce à l’adresse d’une Turquie qui depuis des années veut entrer armée de son histoire sanglante dans une Europe qui ne la « sent » pas ? Les sénateurs opposés à cette loi ont usé de tous les arguments sauf à dire que le négationnisme ne pouvait pas avoir de place sur tout le territoire européen. Or, la Turquie veut tout : l’Europe et son propre nationalisme, l’Europe et sa propre invasion de Chypre, l’Europe et sa fermeture des frontières avec l’Arménie, l’Europe et ses propres massacres de Kurdes, L’Europe et son mausolée à Talaat, l’Europe et l’emprisonnement de ses propres intellectuels… Cette persistance à user de la force nous conduit à rire de la naïveté des Verts qui croient que l’Etat turc puisse être contaminé par les valeurs européennes et se purger de ses démons unionistes. D’ailleurs, qui n’a vu que les Turcs de France, brandissant leurs drapeaux devant le Sénat, étaient d’abord turcs avant d’être français ?)
Dans le fond, que réclament les Arméniens de France par le biais de cette loi ? Leur humanité. Leur appartenance au monde des hommes. Car aujourd’hui en France comme hier en Turquie, les Arméniens ont le sentiment d’être niés comme êtres humains à part entière par d’autres hommes. (Hrant Dink ne fut-il pas écarté de la rédaction du journal « Birgun » du fait de ses origines arméniennes ?).
L’humanité je vous dis.Encore elle. Le centre. Le coeur du débat.
Denis Donikian
18 janvier 2012
Oui, j’accuse le peuple turc… ou le négationnisme par ignorance
( Article paru dans Yevrobatsi.org en juillet 2006 et dans le recueil Vers l’Europe. Du négationnisme au dialogue arméno-turc)
L’impossible dialogue abîme le temps qui sépare les Arméniens et les Turcs selon le degré de conscience et de connaissance que les uns et les autres ont des événements de 1915. Les uns et les autres sont les produits de paroles entendues sur cette période de leur histoire. Ce que les Arméniens ont reçu de leurs parents comme un déluge monstrueux, les Turcs l’ont rendu invisible par ce désir d’innocence et de force qui anime les gouvernements faisant table rase de leurs crimes.
Or, à l’évidence, la douleur ne ment pas et les gouvernements manipulent.
Les rescapés de 1915 ne pouvaient en aucune manière lutter contre les images de mort accumulées dans leur mémoire. Quand bien même auraient-ils pu sciemment en contenir le flot pour en préserver leurs enfants, leur silence aurait parlé pour eux. Et il est un fait que tout Arménien d’origine ayant connu de près ou de loin un parent rescapé reste marqué à jamais par une mémoire impersonnelle de la Catastrophe. C’est que la douleur ne s’invente pas. Elle pourrait être feinte, jouée, simulée un temps par quelques centaines de personnes agissant selon des intérêts politiques, mais nullement feinte, jouée ou simulée toute une vie par chaque membre d’un peuple. Cette douleur qui ne cesse de se répercuter de génération en génération, qui torture les esprits et les cœurs et que les plus salauds des hommes regardent comme de la haine. De fait, le deuil revendicatif des Arméniens d’aujourd’hui, on ne le dira jamais assez, naît de la honte même qu’ils éprouvent à devoir le déclarer comme une marque de leur identité et à ne recevoir en retour qu’indifférence, scepticisme ou mépris. Les humiliés de l’histoire savent qu’ils ont tort d’encrasser de leurs cris le désir d’avenir des hommes, alors qu’ils sont la voix la plus nécessaire à cet avenir-là.
Quand les Arméniens écrasés par la Catastrophe étaient sans voix, des hommes ont parlé pour eux, ont publié des livres pour les défendre, ont donné leur vie pour les aider à vivre. Aujourd’hui ces paroles, ces livres, ces actions restent. Les hommes peuvent inventer des histoires un temps, ils ne peuvent inventer l’histoire tout le temps. Le génocide arménien n’est une fiction que pour ceux qui font de l’histoire une dissection de cadavre amaigri, mutilé, éventré, gangrené, en oubliant qu’il fut une femme enceinte, un enfant brûlé vif, un vieillard décharné, une mère devenue folle, une jeune fille violée, violée, violée mille fois… Mille fois depuis 90 ans, les Arméniens sont violés dans leur chair. Et ces choses-là mille fois ont été dites, écrites, transmises et ressassées, mémorisées et archivées, les morts nommés, les lieux désignés, les actes dénoncés…
Contre cette marée accusatrice nourrie en permanence de témoignages directs, d’études scientifiques, de conférences de toutes sortes, les Turcs n’ont eu à opposer que des livres non scientifiques, des demi-vérités, des procès, des ratiocinations, des propagandes, des faits sans commune mesure avec l’évidence du vide dont ils ont été les artisans. Concernant le génocide arménien, l’historiographie du négationnisme ne pèse d’aucun poids sérieux au regard de celle qui constitue le génocide.
Aujourd’hui la Turquie est une forteresse assiégée par les indignations de la conscience universelle. Au sein même de cette forteresse, pas un jour où des articles ne s’écrivent sur le génocide perpétré contre les Arméniens. Et pas un Turc ou si peu pour se dire : Voyons voir… Voyons voir… Tout Turc voulant s’informer peut le faire. L’éditeur Ragib Zarakoglu aurait de quoi servir le moindre appétit de qui chercherait à éclairer sa lanterne. Sans compter le livre Neige d’Oran Pamük, les procès multiples qui se déroulent sous ses yeux… Tout est là pour lui mettre la puce à l’oreille.
Hors de la Turquie, les jeunes générations ayant appris la langue de leur pays d’accueil, que ce soit l’allemand, le français, l’anglais, l’italien… ont l’embarras du choix pour s’informer. Nul doute que certains ne le fassent. Nul doute que ces mêmes ne se taisent auprès de leurs coreligionnaires. Or, le plus dur à affronter est cette forteresse intérieure fondée sur la peur qui empêche la vérité de secouer les murailles de la conscience. Car le négationnisme est un obscurantisme et l’obscurantisme, s’il est l’instrument d’un régime fasciste et autoritaire, ne résiste pas aux coups de boutoir d’une démocratie fondée sur la libre circulation des idées.
Il en découle que trop longtemps, le désir de comprendre a conduit les Arméniens à porter l’accusation de négationnisme contre le seul État turc. Avec les événements de Valence, de Lyon, de Berlin, et dernièrement de Valentigney, nous avons tout lieu de croire que les Turcs eux-mêmes, baignant dans tel ou tel pays d’Europe, auxquels est donné le droit à l’information, demeurent résolument imperméables à la vérité et lui préfèrent le songe et le mensonge collectifs.
Nul n’est censé ignorer son histoire, c’est une loi de la conscience. Et s’il vrai qu’il existe des Ragib Zarakoglu, Ali Ertem, Ayse Günaysu, Fatma Goçek, Elif Shafak ou Oran Pamuk, et d’autres qu’anime le même devoir de savoir, on peut dire qu’ils représentent l’exception confirmant la règle absolue de l’ignorance, de l’arrogance, de la foi en la force contre l’humanité.
Dès lors, oui, en tant qu’Européen, j’accuse le peuple turc de vouloir ignorer son histoire et de refuser le risque d’assumer les conséquences de la vérité, comme l’ont fait et le font chaque jour Ragib Zarakoglu, Ali Ertem, Ayse Günaysu, Fatma Goçek, Elif Shafak ou Oran Pamuk, et quelques autres.
Denis Donikian
16 janvier 2012
Lettre à Paris Match à propos de Vidures.
Monsieur le rédacteur en chef,
Dans votre dernier numéro, le chroniqueur Gilles Martin-Chauffier a bien voulu évoquer mon livre Vidures. Pour le moins, je me serais attendu à une critique d’ordre littéraire. Mais faisant fi de toute considération esthétique, Monsieur Martin-Chauffier a pris plaisir à traiter mon roman comme un simple document sur l’Arménie. En ce sens, en tant qu’auteur, j’aurais préféré qu’il évite ce genre de manipulation et même qu’il n’en parle pas du tout. Je tiens à préciser toutefois que cet article écrit par un amoureux de la Turquie, comme c’est son droit, profère des confusions grossières qui sont indignes d’un journaliste. Comme celle de prétendre que la loi pour la pénalisation de la négation du génocide implique interdiction à quiconque de s’exprimer sur la Turquie. Pour ce qui est de la liberté d’expression à laquelle semble justement attaché Monsieur Martin-Chauffier, il serait bon qu’il demande leur avis à tous les journalistes et intellectuels turcs emprisonnés depuis quelques mois et dont on aimerait qu’ils soient défendus par les journaux français, quitte à fâcher ce pays cher à votre chroniqueur. Par ailleurs, concernant la pauvreté dont parle mon livre, il faut savoir que la fermeture des frontières depuis 1994, à l’initiative de la Turquie, n’est pas étrangère aux énormes difficultés économiques dans lesquelles se débat l’Arménie aujourd’hui. La Turquie, qu’affectionne tant Monsieur Martin-Chauffier, et qui se dit européenne, semble encore obéir à des réflexes d’un autre âge. Enfin, partisan actif du dialogue arméno-turc, j’ai toujours exonéré les Turcs d’aujourd’hui de toute responsabilité directe dans les actes génocidaires accomplis par leurs grands-parents. Mais que penser de ceux qui nient les exactions anti-arméniennes de 1915, sinon qu’ils parachèvent le fait génocidaire par une parole et des comportements négationnistes. Libre à Monsieur Martin-Chauffier de l’oublier dans sa monstrueuse démonstration d’amour.
Denis Donikian
« On va tous vous brûler… »
( Article paru dans Yevrobatsi.org en novembre 2004 et dans le recueil Vers l’Europe. Du négationnisme au dialogue arméno-turc)
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Nous autres Arméniens, nous savons que la vérité n’est jamais assez vraie pour donner droit à la justice, ni le crime jamais suffisamment monstrueux pour condamner le criminel. Que la haine raciste n’est pas soluble dans l’humanisme européen. Que l’esprit démocratique a un devoir de vigilance impératif et catégorique s’il veut se garder de ses ennemis. Car les moins démocratiques des pays sont prêts à tous les déguisements pour exercer leur prédation sur les biens de leurs voisins acquis au fil d’une lente et raisonnée conscience de l’histoire.
Pourquoi l’entrée de la Turquie dans l’Europe inspire-t-elle dégoût et rejet aux Arméniens de France plus qu’aux Français eux-mêmes ? C’est qu’un siècle d’impunité durant lequel la Turquie a masqué son forfait à coups de mensonges, de menaces, de chantages et de ruses, a donné aux Arméniens, toutes générations confondues, une sensibilité particulière qui les rend aptes à dire le vrai, quitte à se faire passer pour les rabat-joie d’une Europe en marche.
Non, messieurs les démocrates, le négationnisme n’est pas soluble dans l’esprit européen. Et la Turquie négationniste n’est pas soluble dans la démocratie. Et si elle n’est pas européenne, c’est pour la seule raison qu’elle a tracé elle-même ses frontières idéologiques par la pratique de la discrimination et du crime. La Turquie veut engrosser l’Europe en la payant comme une putain. Et cette Europe est prête à saborder sa dignité en se laissant imposer un désir économique qui utilise toutes les voies pour aboutir à ses faims.
Pour nos démocrates, dire non serait faire preuve de repliement sur soi. Le rejet a mauvaise presse et donnerait mauvaise conscience. Et voilà comment le candidat controversé ruse avec ce mythe très bergsonien de l’ouverture pour forcer les portes européennes. Les Arméniens qui disent le vrai sont les fous d’une Europe assez imbue d’elle-même pour croire que ses idéaux humanistes ont le don d’assimiler la criminalité négationniste. Disant le vrai, ils sont effarés par l’aptitude à l’ignorance dont font preuve les hommes de presse ou de la politique, qui raccourcissent l’histoire massivement monstrueuse par des mots inadéquats, des guillemets honteux ou des doutes incongrus au seul profit de leur ivresse d’avenir ou de leurs intérêts mercantiles. Car les médias français qui font volontairement le jeu d’une propagande négationniste sont ni plus ni moins eux-mêmes négationnistes.
Certes, le peuple turc n’est pas assimilable à la Turquie. D’aucuns, parmi les nôtres, cédant à leur propension à dire non au non, défendent avec justesse cette raison démocratique qui point dans le paysage politique d’un pays croissant sous la botte. Préalable ou pas préalable que cette reconnaissance du génocide ? Or, l’expérience montre que les États de la Turquie ont affiché leur constance à toujours compter avec le temps pour que les Crimes fondateurs du pays disparaissent dans la conscience du monde occidental et se diluent dans la résignation des Arméniens eux-mêmes. Si l’intention du crime fonde le crime, que dire de l’intention de le nier ? Il n’est pas pensable que la Turquie lâche prise après avoir fait un si long chemin dans le déni et ne tienne la barre négationniste jusqu’à l’extinction du dernier des Arméniens. Mieux, son arrogance demain s’exercera en terre européenne pour harceler jusqu’au bout dans leur chair, leur histoire et leurs monuments les ultimes gardiens de la mémoire arménienne.
Ce qui, à Valence, a pu frapper un observateur sensible à ces questions, c’est la violence des propos (« Nos parents ont massacré vos parents et on va finir le travail », « Sales Arméniens, on va tous vous brûler et on va brûler votre centre »), la jeunesse des agresseurs et des agressés, l’impunité manifeste dont ont joui les premiers (pour deux d’entre eux, deux heures de retenue au commissariat avant d’être libérés sous la pression de jeunes Turcs venus en nombre), la minimisation de l’affaire par la police (qui n’est pas intervenue malgré un coup de téléphone dès les premières échauffourées et qui a assimilé l’agression à une rixe), la volonté de ne donner aucune suite pénale à l’affaire (aucun jour d’arrêt maladie pour un bras cassé), et pour finir, le déni qui conduit à semer le doute dans l’esprit des journalistes et à faire de la victime un coupable par provocation.
Les événements de Valence sont les prémices des affrontements qui attendent l’Europe, que la Turquie y entre ou non. Pour commencer, entre les jeunes générations de Turcs sous-informés, éduqués dans le nationalisme, et les jeunes générations d’Arméniens profondément affectés par le négationnisme ambiant. Les signes avant-coureurs étaient lisibles dans la dégradation des monuments dédiés aux victimes de 1915. Permanentes en Turquie où l’on s’exerce au tir sur les vieilles églises arméniennes, épisodiques en France à Alfortville et sur le socle de la statue de Komitas recouvert d’un drapeau turc, ces formes d’humiliation ne montrent rien d’autre que la volonté d’effacer l’homme arménien de l’humanité même. Déjà ont lieu dans les écoles françaises où est enseigné le génocide, des querelles entre adolescents turcs et adolescents arméniens. Comme il a été dit dans l’une d’elles, les hommes reprocheront toujours à d’autres hommes d’être vivants… encore vivants. Trop vivants.
Novembre 2004
12 janvier 2012
A propos de VIDURES (9) in Paris Match
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Réponse à Paris Match
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10 janvier 2012
Les hommes naissent égaux en droit
Les hommes naissent égaux en droit. Mais ils ne naissent pas tous au meilleur endroit.
D’ailleurs, les hommes égaux en droit ne font rien pour améliorer l’endroit des autres.
Ou plutôt, nous dirons qu’ils ne sont que quelques-uns à aider les autres qui sont trop nombreux pour être tous aidés.
Le combat humanitaire pour une justice plus grande est inégal. C’est désespérant.
Parmi ces autres, qui sont trop nombreux, si nombreux, il en est qui naissent dans la famine, et il en est qui naissent dans la guerre.
Certains dans la famine et dans la guerre.
Mais je plains aussi ceux qui naissent dans l’humiliation et le dépouillement.
Oui. Les uns dépouillent les autres de leurs biens pour que le leur s’accroisse d’autant.
Les uns dépouillent les autres de leurs terres pour que leurs terres s’accroissent jusqu’à la dispersion ou l’étouffement des dépouillés.
Il en est qu’on jette dans l’abîme ou qu’on disperse de par le monde pour que d’autres aient de quoi habiter leur monde.
Qu’importe. Les humiliés d’hier peuvent devenir les dominateurs d’aujourd’hui.
Les écrasés d’hier devenir les écraseurs d’aujourd’hui.
Les massacrés d’hier peuvent devenir les massacreurs d’aujourd’hui.
Or, celui qu’on humilie et qu’on dépouille n’a plus d’autre recours que de devenir lui-même homicide.
N’ayant plus rien à perdre que sa vie, il n’a d’autre recours que de recouvrer sa dignité dans le meurtre des autres par la mort de soi-même.
L’extrême dépouillement conjugué à une non moins extrême humiliation conduit au recours de moyens extrêmes pour recouvrer sa dignité.
L’extrémité de l’humiliation est le foyer de tout extrémisme.
Mais on ne tue pas et on ne se tue pas sans mystique.
Les missionnaires de la terre perdue ou de la terre promise se laissent toujours guidés par Dieu.
La terre devient sacrée dès lors qu’on vous la prend.
Or, tous ceux qui se battent pour une même terre, le font au nom de cette terre qu’ils considèrent comme sacrée.
Et pour rendre sacrée cette terre, quoi de plus naturel que de la défendre au nom de Dieu ?
Quand les hommes deviennent les ennemis des hommes et que les uns et les autres en appellent également à Dieu, Dieu se dédouble pour se battre à mort contre Lui-même.
Certes, tout est possible à Dieu.
Sauf d’être le jouet des hommes.
Sauf d’être la haine qui les anime.
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Juillet 2006
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Texte repris et publié dans notre ouvrage Vers L’Europe, du négationnisme au dialogue arméno-turc (Actual Art, Erevan, 2008)