1 – L’essai (Éditions SIGEST, 2012) de Rouben Melkonyan, professeur à la Chaire des études turques de l’université d’Erevan, sur les Arméniens de la Turquie républicaine de 1920 à nos jours, montre qu’ils n’ont cessé d’y être persécutés comme minorité. En effet, de 67 000 en 1927, les Arméniens n’étaient plus que 33 000 en 1965, quittant leurs villes et exilés de force à Istanbul. La mobilisation sans dérogation des 20 classes (1941-1942) fut, selon les récits des survivants, un projet d’épuration ethnique. En 1942, l’impôt sur la fortune qui taxait les non-musulmans 40 fois plus que les musulmans aura réussi à ruiner les Arméniens et à turciser l’économie. Quant aux « pogroms » d’Istanbul et d’Izmir des 6 et 7 septembre 1955, ils poussèrent Grecs et Arméniens à l’exil.
2 – La loi de 1935 sur les Fondations (Vakiflar Kanunu) entraina la confiscation de 400 biens immobiliers grecs et de 30 appartenant aux Arméniens. Si la loi révisée permit un retour de certains biens saisis après 1974, elle ne s’appliquait pas aux cimetières. La politique assimilationniste de l’État, durant les années 1972 à 2010, fit chuter de moitié le nombre d’écoles et d’élèves de la communauté arménienne. Dès 1937, les écoles de minorités nationales devaient avoir un directeur adjoint turc veillant à une éducation dans l’esprit de la culture turque. Des matières comme l’Histoire, la Géographie et l’Instruction civique devaient obligatoirement être enseignées par des professeurs turcs. Enfin seulement 18% des membres de la communauté pratiquent aujourd’hui l’arménien occidental.
3 – Dernier patriarche de l’époque ottomane, l’archevêque Zaven Der-Yeghivian s’efforça de sauver ses ouailles durant le génocide (1913-1916). Fermé en 1916, le patriarcat transféra ses archives à Jérusalem et Mgr Zaven fut exilé à Bagdad avant de retrouver son siège en 1918. Jusqu’à son expulsion par les Kémalistes en 1922, le patriarche réussit à affranchir de leurs familles musulmanes des milliers d’Arméniens, tandis qu’environ 63 000 orphelins y restèrent. Mesrop Moutafian, élu en 1998 à la quasi-unanimité des Arméniens, fut ensuite contesté pour son allégeance aux positions officielles turques. Aujourd’hui, parallèlement à l’endogamie traditionnelle se développent les mariages mixtes, sauf chez les crypto-Arméniens.
4 – Communauté divisée, les Arméniens d’Istanbul se composent de différentes générations d’Arméniens venus des provinces au fil des années, mais aussi d’Arméniens partis d’Arménie pour des raisons économiques. A ce particularisme d’origine s’ajoute un particularisme des classes sociales qui empêche les contacts entre différents groupes d’Arméniens. Par ailleurs, les biens arméniens saisis durant et après le génocide ont permis l’émergence d’une bourgeoisie et de constituer aujourd’hui la base de grandes entreprises turques. Il faudra attendre l’année 1950 pour que le Parti démocrate au pouvoir favorise le développement économique des Arméniens.
5 – Si quelques périodiques ont commencé à paraître dans les années 20, aujourd’hui se distinguent le journal Jamanak (tirage à 1 500 ex.), Nor Marmara (1 500 ex.) et Agos (5 000 ex.), hebdomadaire bilingue fondé en 1996 par Hrant Dink et adressé aussi aux Turcs. Après le vide laissé par la rafle du 24 avril 1915, la vie littéraire de la communauté reprend le dessus avec des écrivains comme Zahrat, Zaven Biberian et, pour la jeune génération, Makrouhi Hakobian, Jaklin Celik, Karin Karakasli… La musique, dans laquelle excelle la communauté arménienne, contribue même au développement de l’opéra turc. Dans le domaine de la photographie, Ara Güler est le plus célèbre.