Ecrittératures

29 juillet 2015

La Communauté arménienne d’Istanbul

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 6:20
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1 – L’essai (Éditions SIGEST, 2012) de Rouben Melkonyan, professeur à la Chaire des études turques de l’université d’Erevan, sur les Arméniens de la Turquie républicaine de 1920 à nos jours, montre qu’ils n’ont cessé d’y être persécutés comme minorité. En effet, de 67 000 en 1927, les Arméniens n’étaient plus que 33 000 en 1965, quittant leurs villes et exilés de force à Istanbul. La mobilisation sans dérogation des 20 classes (1941-1942) fut, selon les récits des survivants, un projet d’épuration ethnique. En 1942, l’impôt sur la fortune qui taxait les non-musulmans 40 fois plus que les musulmans aura réussi à ruiner les Arméniens et à turciser l’économie. Quant aux « pogroms » d’Istanbul et d’Izmir des 6 et 7 septembre 1955, ils poussèrent Grecs et Arméniens à l’exil.

 

2 – La loi de 1935 sur les Fondations (Vakiflar Kanunu) entraina la confiscation de 400 biens immobiliers grecs et de 30 appartenant aux Arméniens. Si la loi révisée permit un retour de certains biens saisis après 1974, elle ne s’appliquait pas aux cimetières. La politique assimilationniste de l’État, durant les années 1972 à 2010, fit chuter de moitié le nombre d’écoles et d’élèves de la communauté arménienne. Dès 1937, les écoles de minorités nationales devaient avoir un directeur adjoint turc veillant à une éducation dans l’esprit de la culture turque. Des matières comme l’Histoire, la Géographie et l’Instruction civique devaient obligatoirement être enseignées par des professeurs turcs. Enfin seulement 18% des membres de la communauté pratiquent aujourd’hui l’arménien occidental.

 

3 – Dernier patriarche de l’époque ottomane, l’archevêque Zaven Der-Yeghivian s’efforça de sauver ses ouailles durant le génocide (1913-1916). Fermé en 1916, le patriarcat transféra ses archives à Jérusalem et Mgr Zaven fut exilé à Bagdad avant de retrouver son siège en 1918. Jusqu’à son expulsion par les Kémalistes en 1922, le patriarche réussit à affranchir de leurs familles musulmanes des milliers d’Arméniens, tandis qu’environ 63 000 orphelins y restèrent. Mesrop Moutafian, élu en 1998 à la quasi-unanimité des Arméniens, fut ensuite contesté pour son allégeance aux positions officielles turques. Aujourd’hui, parallèlement à l’endogamie traditionnelle se développent les mariages mixtes, sauf chez les crypto-Arméniens.

 

4 – Communauté divisée, les Arméniens d’Istanbul se composent de différentes générations d’Arméniens venus des provinces au fil des années, mais aussi d’Arméniens partis d’Arménie pour des raisons économiques. A ce particularisme d’origine s’ajoute un particularisme des classes sociales qui empêche les contacts entre différents groupes d’Arméniens. Par ailleurs, les biens arméniens saisis durant et après le génocide ont permis l’émergence d’une bourgeoisie et de constituer aujourd’hui la base de grandes entreprises turques. Il faudra attendre l’année 1950 pour que le Parti démocrate au pouvoir favorise le développement économique des Arméniens.

 

5 – Si quelques périodiques ont commencé à paraître dans les années 20, aujourd’hui se distinguent le journal Jamanak (tirage à 1 500 ex.), Nor Marmara (1 500 ex.) et Agos (5 000 ex.), hebdomadaire bilingue fondé en 1996 par Hrant Dink et adressé aussi aux Turcs. Après le vide laissé par la rafle du 24 avril 1915, la vie littéraire de la communauté reprend le dessus avec des écrivains comme Zahrat, Zaven Biberian et, pour la jeune génération, Makrouhi Hakobian, Jaklin Celik, Karin Karakasli… La musique, dans laquelle excelle la communauté arménienne, contribue même au développement de l’opéra turc. Dans le domaine de la photographie, Ara Güler est le plus célèbre.

Les Arméniens aiment-ils les Arméniens ?

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 5:02

Extrait de La communauté arménienne d’Istanbul de Rouben Melkonyan, ( Editions SIGEST, 2012)

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« L’évêque Sebouh Chouldian, le Primat du Diocèse de Gougark de l’Eglise apostolique arménienne, qui est originaire de Malatya, nous a raconté l’exemple de sa famille qui illustre en profondeur les différentes discriminations répandues parmi les Arméniens. Ainsi selon lui : « Les musulmans dans notre milieu à Malatya nous appelaient des Arméniens « gyavour », quand nous avons déménagé à Istanbul nos camarades de classe à l’école nous appelaient des « Kurdes ». Quelques années plus tard, nous nous sommes installés en Arménie où on nous appelait des « aghpar ». Par la suite quand une partie de ma famille s’est installée aux Etats-Unis, on les appelait des « hayastantsi » (Arméniens d’Arménie).

28 juillet 2015

La retraite sans fanfare

Filed under: GENOCIDE ARMENIEN — denisdonikian @ 11:37

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1 – Le roman de Chahan Chahnour (alias Armen Lubin), sous-titré Histoire illustrée des Arméniens à leur arrivée à Paris suite au génocide de 1915-1916, paru en arménien en 1929, et traduit en français sous la direction de Krikor Beledian (Éditions L’ACTEMEM, 2009), se présente comme l’histoire du conflit entre assimilation et préservation auquel l’identité cultuelle des survivants en exil devait être confrontée. La retraite sonne donc comme une seconde défaite des Arméniens : après celle qu’ils subirent avec le génocide survient celle qui consiste « à reculer, à oublier, à renier ».

2 – À une première partie narrative du roman relatant l’histoire d’une passion amoureuse succède son pendant théorique où se pose la question de «l’esprit national», même si l’une et l’autre se pénètrent mutuellement. Photographe travaillant chez un certain Lescure, le jeune Arménien Pierre/Bédros découvrira que sa maîtresse Nénette/Jeanne dont il tombe amoureux lui a servi de modèle pour des nus destinés aux soldats. Apprenant qu’elle a un enfant nommé Bibi confié à des paysans normands, Bédros dégoûté, va retrouver ses compatriotes dont Sourên, l’intellectuel et Lokhoum, le fils de curé qui sombrera dans la folie. Lescure meurt dans un accident et Nénette, qui en sort infirme, se met en couple avec Bédros. Enceinte, Nénette se suicidera après l’enlèvement de Bibi par son ancien amant.

3 – Sans parvenir au degré de réussite esthétique, comme le reconnaîtra l’auteur lui-même, La retraite sans fanfare est d’autant plus intéressant qu’il décrit la ligne de partage entre les mondes passé et présent où se déchire l’exilé arménien. Étranger dans un environnement qui lui devient de plus en plus familier et dans lequel il rentre par le sexe, il éprouve dans sa chair le chemin de sa propre dilution. Ainsi les photos de nus découvertes par Bédros et sa tentative de dénoncer Lescure jouent dans le roman comme lutte entre « fascination de l’Autre » (K.B.) et réprobation par le soi. Le cas d’un Lokhum, perdu faute de repères traditionnels, montre que le refus de toute soumission à l’aliénation socio-culturelle conduit nécessairement à l’aporie de l’aliénation mentale.

4 – Tandis que Bédros cherche à « être l’Arménien d’avant, beau dans sa gaucherie, sublime dans sa simplicité » en fuyant Paris et en s’engagent dans l’usine Renault, Sourên déconstruit les faiblesses des Arméniens collectivement « empoisonnés » par « leur livre le plus mauvais, le plus répugnant, le plus faux, le plus malsain et le plus immoral : le Narek ». Il accuse l’Arménien dont l’âme est émoussée par son indifférence envers la collectivité, qui « croit moins à l’indépendance » et qui « hait moins le Turc », internationaliste, esthète, admirant les valeurs de l’étranger. Critique envers son peuple, son âme «frémit à l’idée d’une allégeance ». Et de fait, cette « mollesse maladive » est le signe d’une retraite des Arméniens dans leur combat pour être une nation. Sourên avoue : « J’ai pêché contre l’Ararat ».

5 – Roman d’un amour qui se dégrade, La retraite sans fanfare est aussi l’histoire d’une dégradation collective des Arméniens en exil. Moraliste, Pierre/Bédros préconise une sorte de désaliénation volontaire pour échapper à l’affrontement entre « l’individu pensant et le corps physique », tous deux régis par des lois impérieuses. Ainsi, pour connaître l’allégresse, il faudrait « être maître de son âme, déchirer la chair, briser l’étroite carapace, dépasser le corps, transcender le champ d’activité du physique, s’élever toujours, plus haut ».

27 juillet 2015

Deux génocides : Hereros et Namas

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 3:34
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Survivants hereros revenant du desert de Omaheke, 1907

Survivants hereros revenant du désert de  l’Omaheke

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1 – Entre 1904 et 1907, dans le cadre des guerres tribales de l’actuelle Namibie, les Hereros et les Namas subirent une campagne d’extermination de la part des colons du second Reich allemand. Trop longtemps ignoré, ce crime fut plus tard reconnu comme l’un des deux premiers génocides du XXe siècle. Quand, vers 1903, le chef herero Samuel Maharero forme le souhait de créer de nouvelles réserves dans l’Afrique du Sud-Ouest allemande (actuelle Namibie), des colons vont de leur côté chercher à agrandir leur territoire. Profitant de l’absence du gouverneur allemand Leutwein, les Hereros vont mener une rébellion dirigée par Samuel Maharero.

2 – Tout en épargnant femmes, enfants et missionnaires, les Hereros parviendront à réoccuper le centre de la Namibie, sans pour autant investir les bases fortifiées allemandes. Tandis que l’opinion allemande se partageait entre modérés et radicaux désirant supprimer les Hereros, le Gouverneur Leutwein fut remplacé par le Lieutenant Lothar von Trotha, coupable d’actes inhumains en Chine et en Afrique de l’Est. Son objectif fut alors d’exterminer les tribus rebelles par la terreur. La victoire des Allemands le 11 août 1904 dans le Waterberg et la poursuite des survivants dans l’Omaheke donnèrent l’occasion au Lieutenant von Trotha de lancer l’ordre de chasser les fugitifs hors des « frontières allemandes» et de tuer femmes et enfants sans distinction.

3 – Les Hereros en fuite dans le désert de l’Omaheke moururent de soif ou de maladie. Mais la rébellion des Namas, conduite par leur leader Hendrik Witbooi, nécessitant des troupes, l’ordre d’extermination des Hereros fut levé pour qu’ils soient placés dans des camps de concentration aux conditions inhumaines. Les Allemands vinrent à bout de la résistance des Namas dont le leader Hendrik Witbooi fut tué en octobre 1905. Eux aussi furent internés dans des camps. Selon les archives coloniales, les Hereros passèrent de 80 000 en 1903 à 15 130 en 1911, les Namas de 20 000 à 9781. Les derniers internés furent libérés en 1908 pour l’anniversaire de l’empereur.

4 – De fait le traitement des Hereros et des Namas répond à la définition du génocide selon les Nations Unies, à savoir « un certain nombre d’actes accomplis avec intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il s’agit du second génocide du XXe siècle, après celui des Boers par les Britanniques, qui devait servir de matrice à celui du Troisième Reich à l’encontre des populations juives, tsiganes et homosexuelles. En 2004, le gouvernement allemand de Gerhard Schröder admit cette réalité sans pour autant consentir une compensation financière aux descendants des victimes.

5 – Le détail des atrocités aura été consigné depuis 1918 dans le Blue Book (« Report on the Natives of South-West Africa and their Treatment by Germany »), rapport à charge commandé par le Parlement anglais et dont une copie se trouve à Westminster. Les deux ordres d’extermination (Vernichtungsbefehl) des 2 octobre 1904 et 22 avril 1905 prouvent une volonté de génocide. Les descendants des survivants, venus plaider leur cause à Berlin, début juillet 2015, demandaient reconnaissance du génocide, excuses officielles, rapatriement des restes humains et négociations sur la question des réparations. Le 10 juillet 2015, le gouvernement d’Angela Merkel a tenu à préciser qu’il considérait que « la guerre d’extermination menée en Namibie entre 1904 et 1908 était un crime de guerre et un génocide ».

22 juillet 2015

L’apatrie

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 8:48
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1 – À l’instar d’autres héritiers du génocide, Jean Kéhayan raconte les destins croisés de ses parents, Sétrak et Guldéné, depuis leur enfance plongée dans l’horreur des massacres jusqu’à leur installation et leur mariage en France. De fait, L’apatrie (Éditions Parenthèses, 2000) donne de précieux renseignements sur la manière dont les rescapés allaient reprendre goût à la vie après les harcèlements de la haine turque et malgré leur exploitation obligée dans les usines françaises. En filigrane de cet itinéraire d’apatrides, partagé par bien des déracinés arméniens, se dessinent, sur fond de génocide, la nécessité impérieuse de se reconstruire, les retrouvailles avec la vie et la conscience d’une perte progressive d’identité.

2 – L’enfance de Sétrak à Kharpout se brisera au spectacle de ses parents sauvagement assassinés. Au terme de sa fuite, il sera recueilli par des missionnaires américains qui lui apprendront la foi en Christ, « purificatrice des haines ». Pendant ce temps, enterrée à demi-morte par sa mère, Guldéné, née à Karagakoup quelques mois avant leur déportation, sera sauvée elle aussi par des missionnaires, confiée à une famille kurde avant de rejoindre un orphelinat quaker à Alep. Formé à l’obéissance et muni d’un passeport Nansen, Sétrak se retrouve à Marseille, accumulant les travaux difficiles et se consolant avec la Bible. De son côté, Guldéné sera employée dans une usine de filature à Aubenas. C’est là qu’elle consentira à devenir l’épouse de l’orphelin Sétrak.

3 – Contrairement aux survivants d’un génocide qui s’enferment sur leur traumatisme, Bédros, un ami de la famille, fait parler sa mémoire dans l’espoir que son témoignage empêchera de nouveaux drames. Natif de Trébizonde, séparé des siens, il devra assister aux supplices et aux meurtres perpétrés par de cyniques gendarmes. À Erzindjan, s’échappant du cimetière où sont parqués les notables arméniens, Bédros s’étonnera de voir « les étranges soldats du Kaizer » servir de conseillers aux barbares turcs. Devenu « animal, vivant de cueillette et de rapines », il sera recueilli par un paysan, Nouri Mustapha, avant de retrouver ses errances et d’être repêché par des missionnaires américains qui le conduiront à Marseille.

4 – Fidèle aux vœux de son père lui recommandant le pardon envers les Turcs, Varoujan se rendra en Turquie pour y disperser ses cendres. Le sentiment d’être moins étranger à Istanbul qu’à Erevan le conduit à faire la part entre une émotion de familiarité et une impression de terreur, toutes deux héritées de l’histoire paternelle. Plus tard, voyageant en Turquie, il se heurtera moins au négationnisme de ses interlocuteurs turcs qu’à leur désinformation. Son guide kurde Nazim, militant communiste, incapable de « se confronter aux impasses de l’histoire », réveillera en lui son hostilité envers toute révolution violente.

5 – Co-auteur, avec sa femme Nina, de plusieurs livres sur le régime communiste, Jean Kéhayan tente de déconstruire les conflits du Caucase, justifiant la logique de sécession du Karabagh dans un contexte de génocide potentialisé, où Moscou joue le rôle de décideur. Pour autant, des « deux côtés on s’acharne à détruire et à flatter les pulsions de mort, là où tout est à construire ». De fait, grâce à une diaspora servant de « relais d’opinion », l’Arménie aurait toujours été un cas à part dans l’échiquier caucasien. Cependant, cette « exception arménienne » resterait minée par un pouvoir utilisant  « les détestables mais efficaces recettes totalitaires ».

Eau

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 5:47

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L’eau que tu as

Bois-la

L’eau qui te manque

Cherche-la

Avec l’eau qui te vient

Lève-toi

20 juillet 2015

Nuages

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 4:54

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Encombré

D’ors et de nombres

Tandis qu’au-dessus

Vont les nuages

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19 juillet 2015

Mains

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 5:24

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Ton cœur soit l’œil

De l’aveugle dans les labyrinthes

Soleil du triste

Manne pour le transi

Et tes mains vers leur nuit

fleurissent

16 juillet 2015

Route

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 3:04

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Route

Noire de doutes

De pas et de peines

Mais sa fin lointaine

Argentée

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(Photo Denis Donikian)

15 juillet 2015

Les éclairs signés d’Alain Barsamian.

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 5:40

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A première vue, ces graphismes relèvent de la fulgurance pure. On les perçoit comme les projections mentales de foudres faisant éclater sur la toile l’éphémère signe de leur énergie. Ici, le travail n’est que préparatoire, mise en train, quête du rythme jusqu’au moment où le geste devient mûr, où la chose advient, tourne à plein régime. Comme dirait Picasso, peindre, c’est découvrir ce qu’on est en train de chercher. A peine la machine créatrice a-t-elle trouvé sa voie, que le courant passe entre l’homme émetteur et la toile réceptrice. Une affaire de couple en somme. Mais une affaire plus électrique qu’esthétique. Plutôt geste primitif qu’acte conscient. On est au cœur battant de l’instinct. Au moment où l’apprentissage se perd, où l’artiste s’oublie, où l’homme extrait de son fonds obscur un éclat flagrant de sa joie. Fulgurance pure, car Alain Barsamian a la chance d’être aujourd’hui toujours aussi ignoré des circuits classiques de l’art qu’en ses débuts. Son travail n’est pas perverti par une cote à maintenir ou à conquérir. Son geste n’est pas troublé par la répétition d’un tic esthétique qui plaît et qui se vend ou se prostitue. Il n’est d’aucune école, ne se réclame d’aucun maître, n’est le suiveur de personne. Bien sûr, ses toiles peuvent renvoyer à Hans Hartung, à Mathieu, à l’abstraction lyrique. Mais alors, appliquer ce genre de grille sur du Barsamian, c’est troubler la pureté d’une démarche quasi paléolithique, d’avant les figurations académiques. Car ce peintre est fou qui déploie pour nous en figures fugaces et figées, les irruptions pressantes surgies de nos profondeurs.

Né en 1947, Alain Barsamian a toujours alterné exercices et silences, dessinant, peignant, usant de la plume ou de l’appareil photographique pour rester éveillé, ouvert, actif.

Avec un grand-père et un père faisant carrière comme chirurgiens dentistes, sa vie semblait toute tracée. Mais ce même grand-père ayant la passion de la photographie, vers l’âge de 10 ans, le jeune Alain s’essaie à la prise de vue et baigne dans la chambre noire. Avec lui, la photographie fait œuvre de révélation, à la lueur des ampoules inactiniques d’un laboratoire de fortune installé dans un cagibi au fond du couloir de leur appartement parisien. A l’école, seul le dessin l’intéresse. Puis vient la gouache et le papier qu’il achète chez un marchand du quartier dont il devient le plus fidèle client. La patronne lui laisse carte blanche pour  fouiner dans les moindres recoins du magasin. Il est constamment à la recherche d’un nouvel outil ou d’un ingrédient digne d’être mis à l’épreuve.

En 1965-66, réussissant à contrer les exigences paternelles, Barsamian se prépare au concours d’entrée des Arts décoratifs de Paris à l’atelier Guillaume Met  de Penninghen, dans le quartier de St Germain des Prés. Son échec l’oblige à suivre la voie voulue par le père. Malgré tout, il restera marqué par son année d’atelier. Et pour conjurer, le sort il court chez son papetier pour acquérir toiles et tubes de peinture à l’huile. De retour, utilisant le chevalet sur lequel il a vu son père s’essayer à des peintures figuratives, il vide ses tubes et remplit sa toile au couteau et à l’automatisme. D’autres suivront, comme s’il habitait enfin la gestuelle et la spontanéité qui n’allaient plus le quitter. Esprit du temps, il fait de l’abstraction lyrique sans le savoir et sans même connaître ce mouvement. Il dira à ce propos : « Ces lignes que je traçais d’une façon naturelle et purement instinctive devenaient avec le temps de plus en plus stylisées, et puisque ce graphisme me convenait, je l’ai adopté comme une écriture ».

En 1980, sa rencontre avec le peintre Guy Bertholon sera déterminante. Elle coïncide avec l’opportunité d’une première exposition personnelle à Cergy Pontoise prévue pour mai 1982. Barsamian s’y prépare assidûment et réussit son pari. A cette occasion, Guy Bertholon écrira : «  Alain Barsamian est à l’aube d’une carrière de peintre authentique, s’il ne gaspille pas son talent ». Mais l’année suivante, Barsamian s’expatrie en Bretagne avec sa famille. Installé dans le Morbihan, il intègre le cercle des peintres professionnels qu’il côtoie, cherchant un juste équilibre entre exigences esthétiques et nécessités du quotidien. Après quelques expositions ici ou là de vingt années de travail, vient le trou noir, avec le manque, des reprises incertaines et le décès de son épouse.

Il refait surface dans le sud, se remarie puis devient veuf pour la seconde fois. Mais Barsamian se sauve dans la peinture. Et s’il s’expose depuis septembre 2014 dans une galerie à  Saint Paul de Vence, c’est montrer que son geste toujours aussi fulgurant est le gage d’une jeunesse intacte.

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