Consacrant plusieurs pages à la destruction des vestiges arméniens par le gouvernement turc, William Dalrymple déplore, lors d’un second passage à Sivas, en 1988, la disparition de monuments funéraires arméniens qui côtoyaient des pierres tombales grecques et ottomanes (in Dans l’ombre de Byzance , Phébus éditions, Libretto, Paris, 2011, pp118-125). Un ami lui racontera que des stèles à croix arméniennes (ou khatchkars) dans la région de Maydanlar avaient été détruites et évacuées par des fonctionnaires d’Erzerum.
Dalrymple avait déjà amassé quantité de témoignages sur la vitesse alarmante avec laquelle s’évanouissaient les églises arméniennes. L’inventaire du Patriarcat de Constantinople, en 1914, fait état de 210 monastères, 700 églises abbatiales, 1639 églises paroissiales. En 1974, sur 913 bâtiments connus, 464 avaient disparu, 252 étaient en ruines, 197 étaient en état. Si certains avaient souffert des secousses sismiques, d’autres avaient été détruits pour l’utilisation de leurs matériaux, ou pâti des forages pratiqués par des paysans à la recherche de « l’or d’Arménie ».
Pendant de longues années, les autorités turques laisseront les édifices arméniens s’écrouler tandis qu’elles restauraient ou consolidaient les bâtiments seldjoukides ou ottomans. En outre tout chercheur, turc ou non, travaillant sur les sites archéologiques arméniens ou devant rédiger des ouvrages historiques sur cette communauté était empêché sous divers prétextes. Le faire sans autorisation pouvait vous valoir un procès en justice, comme ce fut le cas pour Jean-Michel Thierry en 1975.
Le cas du barrage de Keban, près d’Elazig, est significatif du désintérêt délibéré de la Turquie concernant les monuments arméniens puisque deux églises du Xe siècle ont été submergées, alors que deux mosquées ottomanes furent reconstruites dans un autre lieu. Par ailleurs, en 1986, Madame Hilda Hulya Potuoglu a été arrêtée pour avoir évoqué le royaume arménien de Cilicie dans une note de l’Encyclopœdia Britannica. Dès lors cette encyclopédie rejoindra les ouvrages mis à l’index comme l’Atlas mondial du Times et l’Atlas mondial du National Geographic.
Tous les spécialistes arméniens restent convaincus qu’une campagne délibérée orchestrée par les autorités turques vise à éradiquer la présence séculaire des Arméniens en Anatolie orientale. La disparition avancée des églises par quelque cause que ce soit rejoint le fait que tous les villages arméniens ont été systématiquement rebaptisés.