J’ai demandé à Haïk Mélikian qui avait bien connu Margot d’introduire un texte qui fut écrit à son propos, à Erevan. Histoire de ne pas jeter dans l’oubli les actes de compassion de cette doctoresse dans un pays où l’altruisme fait souvent défaut. De fait, la compassion est ici une chaine qui aura permis aux personnages de ces deux textes de se rencontrer. Et de mon côté, en publiant ces articles sur mon blog, j’aurais souhaité ajouter mon grain de sel, d’autant que j’ai connu Margot moi aussi et qu’elle approuvait mes livres critiques écrits sur les politiques arméniens. La dernière fois que je suis allé en Arménie, j’avais tenu à la rencontrer à Vanadzor, mais elle n’était pas chez elle. Plus tard, Haïk me rapportera ses derniers moments de vie.
DD
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MARGOT TELLE QUE JE L’AI CONNUE
Sa mère Marie, orpheline du génocide, se retrouve dans un orphelinat en Italie où elle est élevée selon les principes de l’époque : la femme au foyer. Nous l’avons bien connue : c’est d’elle que nous tenons leur histoire, elle parlait bien le français
Un jour on lui présente un monsieur arménien, qui deviendra son mari .Ce dernier est, lui aussi, un rescapé de la tuerie. De l’Italie, ils viennent s’installer à Valence. Ils auront deux enfants : Élise et Margot.
La seconde guerre terminée, les sbires de Staline font de la propagande pour le retour au pays. Yerkir ! Yerkir ! Le chef de famille est de ceux-là, Margot a huit ans. Bien sûr, une fois sur place la déconvenue est totale, mais trop tard pour faire marche arrière. La famille refait sa pauvre vie sur place, plus précisément à Vanadzor où le père décède.
Le rideau qui s’était refermé derrière eux s’entrouvre. Élise et Margot avaient acquis la nationalité française. Élise, son mari et ses deux enfants reviennent en France. Pour Marie, leur mère, la tombe de son mari est là : pas question de les suivre, elle demeure sur place.
Margot a un amour à Vanadzor, un artiste peintre, Carlos qui décèdera en 1992. Cependant elle n’envisage pas de laisser sa mère seule à Vanadzor et de retourner en France, bien que ce fût son plus cher désir.
Une relation nous avait parlé d’elle et de son activité auprès des autres du fait de sa position d’ancien médecin, bien qu’à la retraite. Avec Germaine nous cherchions les meilleurs moyens d’aider le pays à se redresser ; nous voilà donc partis à sa rencontre. Aussitôt l’amitié se noue entre nous.
Au cours d’une discussion, elle nous dit : « Ne donnez rien aux associations. Si vous le souhaitez, je vous indiquerai des familles nécessiteuses à qui vous verserez votre obole ». Comme par hasard la même phrase nous serait faite par un familier à Yerevan. Ce que nous avons fait, à chacun de nos voyages en Arménie.
Quelques années plus tard, sa maman décède. Margot veut mettre son vieux rêve à exécution. Mais voilà que la France a fermé sa frontière aux émigrants. Désormais il lui faut même un visa pour venir voir sa famille en France.
Pour nous, chaque fois que nous nous rendions en Arménie que ce soit en venant de Getavan (Martakert) ou de Gusanagyur (Shirak), elle était notre étape obligée, nous avions là un havre de paix où nous nous ressourcions deux ou trois jours.
La dernière fois ,en 2014, nous avions décidé de l’amener à Odzun (Lori ) où ,à la demande de Carlos , elle avait déposé son cœur. Hélas ce jour là pendant la messe à l’église de Vanadzor elle s’est sentie mal, nous l’avons ramenée chez elle. Là elle est tombée dans le coma, puis s’est éteinte.
Ainsi finit sa pauvre existence à Vanadzor, dans un pays où les dirigeants contre lesquels elle s’insurgeait , laissent leurs concitoyens dans le dénuement .
Gabriel Haïk Mélikian
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NOTRE CHERE MARGOT
La mort est cruelle, c’est peut-être le seul phénomène de notre temps auquel il nous est difficile de nous habituer. Ce que Dieu nous a donné, il le reprend sans nous le rendre. Ne reste que le souvenir. A propos de ma meilleure amie de Vanadzor, Marguerite Almadjian-Abovian, hélas, après le 22 août je dois parler d’elle au passé. Elle a rendu l’âme à l’âge de 74 ans… dans un grand tourment de l’âme mais toujours paisible, sublime, indulgente…
Plusieurs personnes à Vanadzor connaissaient cette femme respectée, douée pour l’art, et qui aimait les livres. En 1960 après avoir terminé ses études à l’Institut de médecine parmi les meilleurs, elle a travaillé près de quarante ans dans le domaine de la santé publique et grâce à ses profondes connaissances, sa sollicitude, elle a obtenu l’estime des habitants qui ont reconnu ses compétences. « Notre chère Margot », « Notre docteur » disaient les gens chaleureusement, et même quand elle prit sa retraite, ils la voyaient pour obtenir des conseils avisés et son aide. Et tout cela bénévolement. Margot savait bien que les temps étaient très difficiles, de sorte que souvent elle leur donnait ses derniers sous pour qu’ils s’achètent des médicaments, allant même jusqu’à les inviter chez elle à manger. Elle traduisait de bon cœur les notices des médicaments du français à l’arménien car elle connaissait aussi à merveille la langue française.
Née en France, elle avait rejoint la patrie avec sa famille à l’âge de 8 ans, et tous s’étaient installés à Kirovakan-Vanadzor.
Quand j’ai fait sa connaissance, pour moi elle n’était pas docteur mais l’épouse (de fait la compagne. NdT) de mon nouvel ami le peintre Karlos Abovian. Un de mes essais a été consacré à la famille Abovian, intitulé « Karlos Abovian » avec des portraits magnifiques de Margot peints par son talentueux mari. Après le décès de Karlos, en décembre 1992, notre amitié entre la famille et Margot ne cessera pas pour autant. Elle n’avait qu’une pensée : faire croître la réputation de Karlos, le sauver de l’oubli. C’est tout à l’honneur de Margot d’avoir réussi à organiser deux expositions individuelles, à promouvoir des manifestations culturelles à Vanadzor et à Erevan, à faire paraître un livre, un film télévisé, des articles pour la presse, une page de site Internet en français et en arménien grâce aux amis car elle n’avait pas de moyens. Elle regrettait de ne pas pouvoir éditer l’album des tableaux de Karlos à cause des difficultés matérielles.
Les relations humaines sont compliquées, parfois incompréhensibles. Elle vivait seule dans la maison paternelle et n’éprouvait aucune animosité envers le monde, au contraire, elle cherchait constamment à tisser des liens.
Margot était pleine de vie et d’humanité. Comme elle s’enthousiasmait, s’émouvait quand elle trouvait un bon livre ou quand elle écoutait un merveilleux concert ! Ses amies la traitaient comme un membre de leur famille et ses voisines qui étaient jusqu’à la dernière minute à ses côtés la soignait avec sollicitude. Ce fut triste de voir Margot sur son lit de mort. J’ai éprouvé une si grande émotion que je l’ai transformée en poème. Que cela reflète ma vénération pour toi, chère Margot.
Manouk Mouradian
Site de Karlos Abovian : http://www.karlosabovyan.am