Ecrittératures

25 avril 2010

Bibliothèque vivante de Turquie

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 1:53
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EBRU, superbe livre d’Attila Durak sur les minorités en Turquie

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La Bibliothèque Vivante de Turquie espère combattre les préjugés grâce à des livres « humains »

par Dorian Jones

Voice of America News.com, 23.02.2010

La Turquie prend un tournant nouveau dans le domaine des bibliothèques traditionnelles : au lieu d’emprunter des livres, vous avez recours à des personnes incarnant des stéréotypes, lesquelles sont souvent la cible de préjugés ou de haine. Dorian Jones s’est récemment rendu pour Voice of America à Istanbul pour visiter la Bibliothèque Vivante de Turquie, rencontrant sa directrice, Meri Izrail, qui espère que son projet aidera à faire prendre de plus en plus conscience de la diversité de population de ce pays.

  • Meri Izrail : « Voici l’entrée de la Bibliothèque Vivante, où les lecteurs rencontreront les bibliothécaires et choisiront le livre qu’ils veulent emprunter à partir du catalogue. Ils seront alors mis en présence du livre. Ils auront une demi-heure pour lire ce livre. En fait, ça fonctionne plus ou moins comme une véritable bibliothèque, excepté le fait que les livres que nous possédons sont des êtres humains et que les gens figurant ici en tant que livres sont des gens discriminés pour toute une série de raisons. Des gens à propos desquels nous nourrissons des préjugés. »
  • Dorian Jones : « Pouvez-vous me montrer quels sont ces livres ? »
  • Meri Izrail : « Voici notre catalogue. Bon, différents titres sont disponibles : nous avons les gays ; nous avons les Grecs ; nous avons les schizophrènes, les bisexuels, les handicapés, les Arabes, les travailleurs dans les ONG, les femmes qui portent le foulard, les transsexuels, les Arméniens, les Kurdes et les Alévis. »

La première Bibliothèque Vivante a ouvert lors d’un Festival de la Jeunesse au Danemark en 2000. Visant à combattre le racisme, le concept s’est depuis diffusé à travers le monde.

Avec des centaines de gens faisant la queue pour réserver un livre vivant, il y a tout un climat d’espoir et d’excitation. Dans la queue, Anol Celick, 21 ans : « On veut connaître d’autres gens, des gens qui ont un style de vie différent, dit-il. Avec un ami j’ai choisi un Arménien, parce que c’est un gros problème ici. Je veux juste rencontrer un Arménien parce que je n’en ai jamais rencontré avant et qu’ils forment une communauté très fermée. Bien qu’il y en ait 60 000 en Turquie, nous ne les voyons jamais. Et nous n’avons aucune idée de la façon dont ils vivent, comment ils parlent et ressentent tous ces problèmes. Alors je viens ici pour rencontrer quelqu’un de Turquie, avec des origines arméniennes. »

L’Arménie et la Turquie restent profondément divisées au sujet du destin que connurent les Arméniens sous le régime turc ottoman. L’Arménie affirme que les dirigeants ottomans de la Turquie d’alors ont commis un génocide contre sa population arménienne en 1915, accusation réfutée par Ankara. Conséquence de ces divergences, les minorités arméniennes rencontrent fréquemment des difficultés dans leur vie quotidienne en Turquie.

Le livre vivant le plus populaire de cette bibliothèque est une jeune Turque d’origine arménienne nommée Bagsi. En prenant le thé, elle me dit son étonnement de voir un tel intérêt pour les Arméniens : « Je suis très étonnée par tous ces gens qui viennent me voir et me disent qu’ils veulent me comprendre, dit-elle. Car habituellement les idées des gens sont formées par les médias et le système éducatif, qui nous déforme souvent et est rempli de préjugés. Mais ce qui est merveilleux, c’est que peu de temps après, la conversation se change en une discussion agréable. Quand on parle aux gens, on se rend compte que les préjugés ne sont pas de marbre, et après une demi-heure d’entretien, on sort de là en ayant partagé tant de choses, pas seulement la question des Arméniens. »

Bagsi me quitte pour sa prochaine séance avec Celick et son ami.

Une fois la séance achevée, je demande à Celick comment ça s’est passé.

« On a juste eu une super discussion pendant 20 minutes, me dit-il. J’ai appris qu’elle ressent les mêmes choses que moi pour la Turquie. Donc c’est vraiment super ! Elle ressent pratiquement les choses comme une personne turque ! »

La directrice de la bibliothèque, Meri Izrail, écoute Celick et lui dit que tel est le sens de la Bibliothèque Vivante. Mais elle reste ferme quant à ses objectifs : « La plupart des gens aimeraient présenter ce projet comme un projet qui supprimera vraiment les préjugés. Naturellement, il est impossible de supprimer les préjugés en une demi-heure ! Mais je pense qu’il s’agit d’un signe positif si nous pouvons faire revenir les lecteurs. Certains lecteurs qui sont, par exemple, allés à une Foire du Livre, reviennent à cette Bibliothèque Vivante avec leurs amis. Pour nous, c’est un signe de réussite. »

Briser les stéréotypes, les peurs et les préjugés : tel est l’objectif de la Bibliothèque Vivante. Avec des observateurs disant que la société turque demeure profondément polarisée, beaucoup reste à faire, apparemment. Mais avec des gens qui font la queue pour entrer dans cette bibliothèque, il existe apparemment au moins une volonté d’ouvrir son esprit chez beaucoup.

Source : http://www1.voanews.com/english/news/lifestyle/Turkeys-Living-Library-Hopes-to-Battle-Prejudice-With-Human-Books-85140032.html

Traduction : © Georges Festa pour Denis Donikian – 04.2010.

Illustration : http://www.melvillecity.com.au/facilities/libraries/living-library-catalogue/available-titles

4 commentaires »

  1. C’est bien. Mais pas d’angélisme, car nos aïeux l’ont payé fort cher.
    Quant au livre Ebru, c’est une merveille d’intelligence.
    Chabouh

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    Commentaire par kibarian — 25 avril 2010 @ 9:03

  2. Très belle démarche, qui mise sur l’ouverture d’esprit. Faut-il s’en méfier ? Je ne crois pas ; les temps et les êtres surtout changent ; s’ils ne sont pas encore unanimes dans cette voie, ils initient un mouvement qui ne peut que s’amplifier, n’est-ce pas Denis ?

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    Commentaire par Dzovinar — 26 avril 2010 @ 8:43

  3. La reconnaissance d’une diversité en Turquie, telle qu’en témoigne l’initiative de la bibliothèque vivante d’Istanbul et la création du livre « Ebru » est certes louable. Il ne faudrait cependant pas oublier que la Turquie moderne s’est construite précisément sur l’éradication de la diversité culturelle par la destruction ou la répression des minorités (arméniens, grecs, assyro-chaldéens, kurdes), et jusqu’à ce jour par le martelage dès l’école d’une idéologie raciste, négationniste et paranoïaque consacrant la supériorité de la race turque(*), et la répression légalisée (article 301) ou non (meurtre de Hrant Dink, intimidation des intellectuels) des tentatives de contestation de cette idéologie. L’existence d’un livre ou d’une bibliothèque vivante sur la diversité culturelle ne signifie pas que la majorité des turcs admettent et/ou soutiennent l’existence de cette diversité en Turquie, ni non plus qu’il s’agit d’une initiative de l’État turc inscrite dans un plan d’action sérieux visant à modifier en profondeur les mentalités et à assurer le respect des droits des minorités. On peut donc se demander à quoi sert la diffusion du livre et de l’exposition « Ebru » En France et ailleurs en Europe, si ce n’est pour contribuer à ramollir une opinion publique majoritairement opposée à l’intégration de la Turquie à l’UE. En revanche, cette diffusion aurait bien plus de sens en Turquie même, et à une échelle massive, pour aider une majorité de turcs à faire évoluer leurs représentations mentales imprégnées du fascisme originel de cette république turque cramponnée à un nationalisme archaïque, sans oublier également de revoir entièrement les programmes scolaires, le rôle de l’armée, les agissements de l’État profond, les slogans nationalistes primitifs récités à l’école, à la télévision, à la radio, inscrits sur les monuments, les montagnes, etc…

    (*) cf. notamment Etienne COPEAUX : « Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste, 1931-1993 » , Paris, CNRS-Éditions, 1997

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    Commentaire par Avedis — 3 Mai 2010 @ 11:54

  4. Attila Durak, l’auteur d’EBRU, n’est pas tombé de la dernière pluie. D’abord ce livre est une traduction. C’est dire qu’il a déjà paru en Turquie. Par ailleurs, l’auteur a tenu à accompagner ses expositions en France de conférences portant sur la diversité culturelle de la Turquie. Il s’apprête à continuer en Arménie avec laquelle il est en pourparlers. C’est dire que son travail n’est pas purement esthétique, il est aussi militant. J’ajoute qu’il a aussi monté un studio d’enregistrement à Istanbul pour promouvoir sur le plan musical cette diversité à laquelle il tient tant. Je voudrais conclure en disant que ces initiatives ont le mérite d’exister dans un contexte socio-politique qui n’est pas favorable au message qu’elles portent. Et ce courage,si minime soit-il, est à saluer et surtout à reconnaître. D’ailleurs, elles montrent qu’elles sont tout à fait conscientes des tares d’un gouvernement négationniste.

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    Commentaire par denisdonikian — 3 Mai 2010 @ 12:35


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