Ecrittératures

22 août 2011

Marcher, répéter. Écrire

Filed under: MARCHER en ARMENIE,Route solitaire au Zanguezour — denisdonikian @ 6:19

Tu as quitté les monotonies de ton Europe. La répétition des jours modernes. Quitter le luxe du manger et du boire. Et maintenant tu peines. Tu pousses au-devant ta carcasse. Pour combien de temps encore ? tu te demandes sans cesse.

Marcher, c’est de l’obstination. Tu mets ta pensée en jambes, et d’un pas à l’autre, tu cherches une sortie vers l’éveil. Au vrai, la nature fait un mur d’eau contre toi. Et tes pas le transpercent. Tu te glisses dedans. Comme faisant tes ablutions de cette végétation qui t’environne de toutes parts. Pour autant, rien ne vient sinon une jouissance d’être là, dans cet ailleurs désiré vaguement. Et maintenant, tu marches dans ton souffle et dans ta fatigue. Tu attends d’eux qu’ils te conduisent vers des inattendus. Tu espères du paysage un dépaysement. Vient le moment où il t’explose en plein corps comme une révélation.

Mais qu’en faire, tu te poses la question,  sinon écrire en fragments tes trouvailles ? Et qu’en dire ? Procéder ainsi, c’est à coup sûr se répéter. Car les mots schématisent, survolent, effacent. Alors qu’il faut entrer dans la matière et la raconter telle qu’elle est, au plus près et précisément. C’est dire qu’il faut multiplier les termes destinés à circonscrire une singularité. Tes livres de voyage, en ce pays choisi comme table d’expérience, peuvent lasser à force d’évoquer des gens souffrant toujours des mêmes symptômes, de s’émouvoir sur des vues ayant les mêmes attraits. Bref, se répéter.

En vérité, ni les gens des campagnes, ni les tableaux de nature, d’une région à une autre ne sont superposables. On peut croire à une litanie de plaintes quand il s’agit d’une vérité sociale répandue même dans les coulisses les plus reculées du pays. On peut penser aux descriptions d’un naïf extatique qui s’exclame devant le moindre panorama, alors que c’est le paysage lui-même qui pousse à l’émerveillement. On marche, on ne préjuge de rien, et les choses adviennent belles ou repoussantes, superbes ou tristes. Et c’est ainsi que tu produis tes textes, sans rien concéder qui nuirait au simple honneur d’écrire le monde tel qu’il se fait : merde ou merveille.

 *

(Photo Denis Donikian. Copyright)

2 commentaires »

  1. Tes photos sont absolument magnifiques. Toutes.
    Pour le reste, partager ce que l’on ressent, au plus juste, est oeuvre d’écrivain : plus il a de talent, mieux il y parvient.
    Tu y parviens parfaitement.

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    Commentaire par dzovinar — 22 août 2011 @ 9:42

  2. […] Dies ist nur ein kurzer Ausschnitt aus einem sehr schönen Text des armenischen Schriftstellers Denis Donikian, aus dem Französischen übersetzt von Christa Nitsch und gefunden in ihrem Blog Armenopolis. Und hier gehts zum französischen Original. […]

    Traduction : Ceci est juste un bref extrait d’un très beau texte de l’écrivain arménien Denis Donikian, traduit du français par Christa Nitsch et a trouvé dans son blog Armenopolis. Et cette manière de l’original français

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    Ping par Schreiben wie Wandern,wandern wie Schreiben | Wandern & Schreiben — 2 septembre 2013 @ 11:12


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