Ecrittératures

4 avril 2022

Diététique de la force. Diététique de la farce. (14)

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hieronymus

Hieronymus Franken : Les gras et les maigres (1678)

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Restaurant : Farce et attrape.

J’ai mal ! Je veux mourir ! (8)

Filed under: J'ai mal ! Je veux mourir ! (pièce) — denisdonikian @ 5:02

lits d hopital blancs

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8

Dotzi : Qu’est-ce qu’on vous a fait ?

Roubo : Une valve à l’entrée du cœur pour remplacer la mienne. Maintenant le sang passe comme une lettre à la poste.

Dotzi : Moi aussi, une valve. Rien senti.

Roubo : Ils sont forts tout de même, pour nous mettre dans le noir et nous rendre à la lumière comme neufs.

Dotzi : L’anesthésie, c’est du sommeil sans cauchemar en somme.

Roubo : Et si c’était ça mourir ? On vous éteint tandis qu’en vos dedans quelque chose vit encore…

Dotzi : Ni conscience, ni mémoire, ni pensée vous voulez dire ? Comme avant la naissance, quoi !

Roubo : Donc vous non plus. Vous n’avez rien vu.

Dotzi : Voir quoi puisque j’avais plus d’yeux ?

Roubo : Dieu est grand tout de même… Mais si vous n’avez vu que du noir, vous ne faites pas partie des élus.

Dotzi : Comme vous donc !

Roubo : Comme moi, hélas ! Appelé mais pas élu.

Dotzi : Nous sommes faits alors ! Dieu est grand mais ne nous aime pas, qui sait ?

Roubo : Ceux qui ont vu et qui en sont revenus n’en reviennent toujours pas.

Dotzi : De toutes mes anesthésies aucune ne m’a donné autre chose que du rien du tout.

Roubo : C’est dire à quel point vous êtes damné.

Dotzi : Damné ? Mais par qui ? Pour quoi ?

Roubo : Mais par Dieu, pardi ! Ceux qui en reviennent sont habillés de lumière le restant de leur vie.

Dotzi : Et moi je n’ai qu’une chemise d’hôpital.

Roubo : C’est bien la preuve que vous n’êtes rien. Une loque. Un déchet.

Dotzi : Mais je vis, que diable ! Et ça, c’est quelque chose !

Roubo : En vérité, la lumière qui habille ces élus en permanence, c’est du ciel qui est en eux, à ce qu’il paraît.

Dotzi : Le ciel de la vie, vous voulez dire ?

Roubo : Le sel de la vie, oui. Enfin, ils appellent ça autrement.

Dotzi : Autrement comment ?

Roubo : Un océan d’amour.

Dotzi : Où es-tu Océan ?

Roubo : De l’autre côté.

Dotzi : Et donc, comme ça, la mort serait un mariage d’amours !

Roubo : Pas toujours. D’autres se retrouvent seul dans un désert de catastrophes.

Dotzi : Sous le poids de la peur en dehors et en dedans, j’imagine ?

Roubo : Comme si nous étions jugés au poids des souffrances que nous aurions données…

Dotzi : De plus en plus effrayant.

Roubo : C’est ce qui nous attend tous.

Dotzi : Et tout ça serait programmé ? Tout ça serait en nous ?

Roubo : Tout est en nous.

Dotzi : Une sacrée machine que le corps humain.

Roubo : On en viendrait à l’oublier… Mais comment s’est passé votre réveil du rien au tout ?

Dotzi : Comme un soulagement. L’impression d’une aube qui monte, qui monte. Et l’image de ma chatte que j’allais pouvoir caresser.

Roubo : Tripoter le minou, c’est comme baiser le ciel.

Dotzi : Comme vous dites ! On a le ciel qu’on peut. La soie qui flatte vos paumes adoucit blessures. Chaque fois que je rentrais d’un hôpital la caresser, c’était me requinquer.

Roubo : Pas étonnant, avec toutes vos cicatrices…

Dotzi : Je ne compte plus les tunnels d’anesthésie que mon corps a dû traverser.

Roubo : Comme de la mort qui n’en est pas.

Dotzi : Qui sait ? Ça reste à vérifier.

Roubo : On le saura bien un jour, allez !

Dotzi : Le néant ne se dit pas. Il ne s’éprouve pas non plus.

Roubo : Allez savoir… Et pourtant certains disent qu’ils se voyaient en train d’être opérés.

Dotzi : Là encore, je n’ai pas eu droit au privilège du dédoublement. Enfin, si je puis dire. Voir des bouchers charcuter votre carcasse avec votre sang plein leurs mains ? Non merci…

Roubo : Les uns voient du dédoublement, les autres la lumière. Mais nous rien…

Dotzi : Ça n’arrive qu’aux naïfs, non ?

Roubo : Pauvres qui cherchons toujours l’idéal…

Dotzi : Du coup, on sort de ce monde pour rentrer dans un autre, et on en revient avec un cœur gonflé à l’amour.

Roubo : Une résurrection, quoi !

Dotzi : Comme vous dites !

Roubo : Et pour nous, rien de tout ça.

Dotzi : Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour qu’il nous en prive ?

Roubo : C’est toute la question…

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