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8
Dotzi : Qu’est-ce qu’on vous a fait ?
Roubo : Une valve à l’entrée du cœur pour remplacer la mienne. Maintenant le sang passe comme une lettre à la poste.
Dotzi : Moi aussi, une valve. Rien senti.
Roubo : Ils sont forts tout de même, pour nous mettre dans le noir et nous rendre à la lumière comme neufs.
Dotzi : L’anesthésie, c’est du sommeil sans cauchemar en somme.
Roubo : Et si c’était ça mourir ? On vous éteint tandis qu’en vos dedans quelque chose vit encore…
Dotzi : Ni conscience, ni mémoire, ni pensée vous voulez dire ? Comme avant la naissance, quoi !
Roubo : Donc vous non plus. Vous n’avez rien vu.
Dotzi : Voir quoi puisque j’avais plus d’yeux ?
Roubo : Dieu est grand tout de même… Mais si vous n’avez vu que du noir, vous ne faites pas partie des élus.
Dotzi : Comme vous donc !
Roubo : Comme moi, hélas ! Appelé mais pas élu.
Dotzi : Nous sommes faits alors ! Dieu est grand mais ne nous aime pas, qui sait ?
Roubo : Ceux qui ont vu et qui en sont revenus n’en reviennent toujours pas.
Dotzi : De toutes mes anesthésies aucune ne m’a donné autre chose que du rien du tout.
Roubo : C’est dire à quel point vous êtes damné.
Dotzi : Damné ? Mais par qui ? Pour quoi ?
Roubo : Mais par Dieu, pardi ! Ceux qui en reviennent sont habillés de lumière le restant de leur vie.
Dotzi : Et moi je n’ai qu’une chemise d’hôpital.
Roubo : C’est bien la preuve que vous n’êtes rien. Une loque. Un déchet.
Dotzi : Mais je vis, que diable ! Et ça, c’est quelque chose !
Roubo : En vérité, la lumière qui habille ces élus en permanence, c’est du ciel qui est en eux, à ce qu’il paraît.
Dotzi : Le ciel de la vie, vous voulez dire ?
Roubo : Le sel de la vie, oui. Enfin, ils appellent ça autrement.
Dotzi : Autrement comment ?
Roubo : Un océan d’amour.
Dotzi : Où es-tu Océan ?
Roubo : De l’autre côté.
Dotzi : Et donc, comme ça, la mort serait un mariage d’amours !
Roubo : Pas toujours. D’autres se retrouvent seul dans un désert de catastrophes.
Dotzi : Sous le poids de la peur en dehors et en dedans, j’imagine ?
Roubo : Comme si nous étions jugés au poids des souffrances que nous aurions données…
Dotzi : De plus en plus effrayant.
Roubo : C’est ce qui nous attend tous.
Dotzi : Et tout ça serait programmé ? Tout ça serait en nous ?
Roubo : Tout est en nous.
Dotzi : Une sacrée machine que le corps humain.
Roubo : On en viendrait à l’oublier… Mais comment s’est passé votre réveil du rien au tout ?
Dotzi : Comme un soulagement. L’impression d’une aube qui monte, qui monte. Et l’image de ma chatte que j’allais pouvoir caresser.
Roubo : Tripoter le minou, c’est comme baiser le ciel.
Dotzi : Comme vous dites ! On a le ciel qu’on peut. La soie qui flatte vos paumes adoucit blessures. Chaque fois que je rentrais d’un hôpital la caresser, c’était me requinquer.
Roubo : Pas étonnant, avec toutes vos cicatrices…
Dotzi : Je ne compte plus les tunnels d’anesthésie que mon corps a dû traverser.
Roubo : Comme de la mort qui n’en est pas.
Dotzi : Qui sait ? Ça reste à vérifier.
Roubo : On le saura bien un jour, allez !
Dotzi : Le néant ne se dit pas. Il ne s’éprouve pas non plus.
Roubo : Allez savoir… Et pourtant certains disent qu’ils se voyaient en train d’être opérés.
Dotzi : Là encore, je n’ai pas eu droit au privilège du dédoublement. Enfin, si je puis dire. Voir des bouchers charcuter votre carcasse avec votre sang plein leurs mains ? Non merci…
Roubo : Les uns voient du dédoublement, les autres la lumière. Mais nous rien…
Dotzi : Ça n’arrive qu’aux naïfs, non ?
Roubo : Pauvres qui cherchons toujours l’idéal…
Dotzi : Du coup, on sort de ce monde pour rentrer dans un autre, et on en revient avec un cœur gonflé à l’amour.
Roubo : Une résurrection, quoi !
Dotzi : Comme vous dites !
Roubo : Et pour nous, rien de tout ça.
Dotzi : Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour qu’il nous en prive ?
Roubo : C’est toute la question…