Ecrittératures

22 Mai 2024

Alain Coadou : le mécano de la sardine…

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 4:55

20240522_164335(0)

 ( Alain Coadou « L’île Louet »)

(Site d’ALAIN COADOU)

 *

De l’audace ! Encore de l’audace ! Toujours de l’audace ! Et l’art vous sera donné par surcroît. Et c’est par quoi se reconnaissent les esprits sans frontière, les extravagants, les trublions du tribalisme esthétique, ceux qui vont pêcher dans la mer des sarcasmes des mondes possibles et impensés, en maîtrisant les maigres ou les grands moyens que ce monde a mis à la disposition des hommes. En ce sens, l’homme construit son humanité, l’enrichit ou l’embellit avec le « ça » immédiat qui, autour de lui, attend son habileté ou son génie. C’est là son devoir d’être préhistorique quand l’homme du néolithique soufflait des poussières ocre ou autres pour s’ébahir d’avoir reproduit sa main ou profitait des imperfections de la roche pour y faire courir les animaux de son quotidien ordinaire. Car il se rendait compte qu’il venait de sublimer le banal en quelque chose qui allait lui survivre. Nous dirons : quelque chose d’immortel.

C’est dans cet esprit qu’Alain Coadou se saisit de la Bretagne, de la mer qui l’entoure et des poissons qui l’habitent. Mais s’il les prenait pour seuls sujets, il tomberait à coup sûr dans la pacotille, ces choses « jolies » qu’on vous vend dans les magasins de souvenirs pour touristes modérés. Alain Coadou est de la Bretagne par accident, mais il est par essence un homme d’ailleurs. Et quel ailleurs ! Un ailleurs forcément loufoque et poétique. Cela se voit à la manière dont il habille ses espadons, ses méduses ou ses sardines. J’ai tout de suite reconnu cette fine âme, quand, au sortir du débarcadère de la Ville Close, à Concarneau, mes yeux ont été happés par cette reproduction de 20 x 20 centimètres, sur laquelle, en imitation à un film célèbre, était écrit : « SARDINES MECANIQUES». Alors, j’ai su que cet humour-là, c’était du sérieux. Ce type, me suis-je dit, peint l’amour du monde comme personne. Et fait de la peinture comme personne. Un enfant du collage comme le pratiquaient les surréalistes. Qui ose quand même osmoser les contraires… Et quels contraires !

Marier des moteurs de Solex à un corps d’espadon vous plonge dans une chose inédite telle que forcément, soit vous allez en apprécier le coup d’audace, soit le rejeter. Pour ma part, je me suis ouvert ainsi une porte dans le monde sous-marin d’un peintre qui ne s’interdit aucune fantaisie. Allier la beauté véloce d’un espadon à trois moteurs de Vélosolex suffit à donner naissance à une espèce inventée de toutes pièces : l’Espadon « Trisolexus des grands fonds ». Car ce qui plaît à ce bricoleur, c’est de créer des alliances folles entre le naturel et le technique, deux « espèces » antithétiques qu’il fait coïter dans un même tableau.

Ce bricolage devient de fait un « bris-collage » ( comme nous le disions dans un texte ancien), en ce sens qu’il se donne pour mission esthétique de réunir en un même espace des éléments habituellement inconnus les uns aux autres (comme un espadon et des moteurs de vélosolex). La technique est connue, mais avec Coadou, elle est créatrice d’humour. Cet humour qu’on trouve déjà chez Dali avec ses « montres molles », chez Picasso avec ses « demoiselles d’Avignon » et d’autres. Mais en l’occurrence, ici, l’humour est élevé au rang d’un art de la dérision et de la provocation. L’éclair esthétique qui en résulte dans l’esprit du regardeur touche d’emblée sa naïveté, le dépouille de ses préjugés, le restitue à son enfance. C’est un humour pédagogique.

De fait, Coadou joue sur les oxymores visuels autant que sur des vérités paradoxales. Sa matière est faite de mélanges, frisant la Bande dessinée sans tomber dans la complaisance d’une histoire où s’enchainent les intrigues. Coadou s’en tient à un cadre sur lequel il déplie toutes les subtilités de son esprit créateur.

On l’aura compris, la chose bretonne, sa nature, ses constructions sont soumises tant aux rythmes telluriques du lieu qu’aux lubies libertines du témoin. Car c’est un monde flottant que cette Bretagne dessinée par Coadou. Tout danse, tout rigole, et tout reste toujours debout. Cette Bretagne qui vit au rythme des humeurs marines, qui branle sur ses amarres sans jamais sombrer. Que ce soit le « Charivari à Loctudy » ou la « Piste noire à Douarnenez », la verticalité, l’angle droit, la géométrie architecturale, tout subit l’ivresse poétique de l’allégresse, la fronde d’un vent en révolution permanente, le tout inspiré par un alcoolique anonyme qui ânonne des incongruités à la face des bien-dormants. C’est dire à quel point Coadou n’aime pas être enfermé. La peinture lui offre des voies de sorties, des issues de respiration. Mais tout Breton qu’il est et qu’il reste, il est le plus japonisant des peintres de ce lieu où les tsunamis se déclinent densément et doucement.

C’est que, derrière cet humour de pince-sans rire, lui qui affectionne les crabes et les homards, se cache une patience de moine zen, du genre à tracer le trait juste, à respecter au millimètre près la chose qui danse dans sa tête. Car en réalité, pour sortir des limites de la réalité, il importe de respecter avec précision la forme qui exprime cette extradition. (Comme en poésie la stricte soumission à la géométrie des rythmes, des pieds, des assonances). C’est là que se situe le paradoxe de cette technique qui utilise principalement l’aérographe, le rouleau, le crayon acrylique, le pinceau ou autres. Coadou japonise à mort, peaufine sa patience, lime les grossièretés de son humanité jusqu’à obtenir la chose fine à laquelle son esprit aspirait. Forme de sagesse qui vient avec la perfection du geste. Car sur la voie qui anime le combattant du beau et qui va du brut embryonnaire à la transcendance de l’achèvement, les voix de Dieu deviennent pénétrables. Comme si faire un tableau équivalait à une prière qui finit par être exaucée et qui demande encore à mettre sa soif d’absolu à l’épreuve de la matière. Coadou est un mystique qui s’ignore même s’il se shoote à la solexine et se nourrit de sardines mécaniques.

J’en veux pour preuves, même si elles sont multiples, les cordages qui tiennent amarrée son « Île Louet ». Oui, il y a la minutie à avoir dessiné chaque anneau ? Mais à mes yeux leurs courbes ont des grâces de femme, des finesses de soie, des vibrations calmes comme des mers d’huile… On ne lasse pas d’être ensorcelé par ces fils comme Proust par le fameux «  petit pan de mur jaune ».

Enfin, disons-le franchement, chaque tableau de Coadou vous renvoie le bonheur avec lequel il a été conçu. Avec l’humour et le perfectionnisme, le bonheur forme la brillante trilogie qui donne au tableau de Coadou une richesse exceptionnellement puissante. D’ailleurs, cela se voit. À Locronan, son atelier attenant à sa galerie permet à la fois de voir le travail de l’artiste et l’artiste en train de travailler. Et j’ai vu là un homme qui avait fait du travail une libération.

Heureux Zom !

Denis Donikian

Laissez un commentaire »

Aucun commentaire pour l’instant.

RSS feed for comments on this post. TrackBack URI

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.