Photo . Jean-Bernard Barsamian ( reproduction interdite)
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La Montagne a beau dominer ce monde, et le pays être minuscule, on marche trop loin pour qu’on la voie planer tout au fond de sa route.
Mais, en réalité, c’est elle qui hante nos marches.
Qu’il soit invisible, perdu par la distance, tandis que nous traversons les forêts du Tavouch ou du Zanguezour, l’Ararat pointe en permanence dans nos rêveries déambulatoires. C’est lui notre repère et c’est toujours vers lui que nous sommes tourné, même s’il se tient très loin dans le nord ou plus loin encore dans le sud. Il aimante nos pas, il allume notre espérance, tellement son mythe reste vivace au milieu des choses.
Nuage fixe et pur dans le ciel mental du marcheur.
Mais contrairement aux Japonais qui pérégrinent sur le Mont Fuji ou à ceux qui après le périlleux voyage d’approche, tournent autour du Kailash au Tibet comme le centre de l’univers, je suis condamné à me tenir à distance de l’Ararat, resté en pays ennemi. C’est que la marche est toujours un exil, elle quitte et n’atteint jamais. Elle souffre d’insatisfaction permanente. Elle se déploie dans un entre-deux. En abandonnant les tares d’une sédentarité mortelle, elle nomadise en quête d’un absolu qui se dérobe sans cesse. Nous avançons, nous voyons, mais nous savons que nous ne foulerons jamais de nos pas le sacré. Dès lors, la Montagne nous oblige à reconsidérer les signes et à nous forger une conscience des hommes travaillée par le goût du bonheur autant qu’une conscience du temps guidée par le sublime.
Dans ce sens non politique, c’est l’avantage du mont Ararat d’être ailleurs, impossédé, sinon impossible.
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Dernier livre paru :
A paraître : VIDURES, roman, chez Actes Sud