Ecrittératures

15 juillet 2021

Le sacrifice, le témoignage et le pardon : » Le Candidat » de Zareh Vorpouni.

Filed under: ARTICLES,GENOCIDE ARMENIEN — denisdonikian @ 4:47

 

 

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1 – Pour Marc Nichanian, Le Candidat de Zareh Vorpouni (in Le génocide des Arméniens, Armand Colin, 2015) est probablement « le plus vrai » des romans représentatifs de la diaspora arméniennedès lors qu’il tente d’appréhender dans toute sa complexité la figure du survivant qui hante l’imaginaire post catastrophique.  Or, ce survivant est un « témoin mort » puisqu’il a été rendu inapte au pardon par un bourreau qui a tué le «  le témoin dans la victime ». C’est lui qui va s’exprimer au sein du roman compris comme le réceptacle littéraire d’un héritage à transmettre.

 

2 – Structuré selon trois « étages » autour des trois personnages que sont Vahakn, Minas et Zareh (Vorpouni, l’auteur lui-même), le roman élabore un « jeu complexe de transmissions, d’injonctions et de commandes, pour rendre lisible le témoignage d’un survivant ». En effet, incapable d’assumer l’écriture du témoignage transmis par Vahakn sous forme d’injonction, Minas va devoir confier à Zareh le soin de l’arranger et de la signer. De fait, Vahakn se supprime pour émanciper son héritier Minas, lequel pour devenir un homme devra « faire disparaître Vahakn en lui, en niant son héritage. Dès lors, le témoignage peut se comprendre comme un « lien d’injonction et d’héritage »avec un témoin mort (Vahakn étant le témoin suicidé).

 

3 – Livré à « l’anarchie du destin » (Z.V.), Vahakn, qui ne tenait en vie que par sa schizophrénie, aura la révélation de son effondrement avec Ziya (écrit Zia dans l’article), l’ami et étudiant turc, qu’il devra tuer avant de se tuer. Suicide que Vahakn justifie par cette maladie de la vengeancequi hante les Arméniens, sans qu’ils soient pour autant doués pour la haine. Or, en offrant sa mort en héritage au poète Minas, Vahakn l’initie à la vraie poésie : « Le poète est celui qui habite dans la mort » (Z.V.). Mais aussi, en faisant don de sa mort à son ami, il le sauve du turquicide « qui habite en chacun de nous », puisque « nous sommes des meurtriers en puissance »(Z.V.).

 

4 – De fait, Z. Vorpouni redoutait de manière prémonitoire les « meurtres réels » tels qu’ils ont été perpétrés durant les campagnes d’attentats terroristes des années 70, dès lors que Vahakn, en supprimant Ziya puis en se suicidant,  n’aura d’autre but que de tuer par le même coup le bourreau qu’il abrite en lui-même et qui le « constitue ». D’autant que la souillure du viol perpétré par Fatma, la femme turque qui l’avait sauvé, en installant en lui une pathologie de la fuite en fera un candidat au turquicide. A telle enseigne que se laver de cette saleté deviendra une obsession.

 

5 – L’impératif de purification par l’effacement du bourreau, par son meurtre romanesque et artificiel, qui habite Vahakn, implique donc qu’il en soit le sacrificateur. « L’ouverture du temps du pardon exige un acte sacrificiel, où sacrificateur et sacrifié se confondent ». Or, à grand échelle, l’empire fonctionnait sur la jouissance sacrificielle par le dominant. Processus sans fin, auquel, dit Vahakn, nous sommes « soumis par essence » et que perpétue Ziya en avouant aimer une Arménienne de la même manière que le fit Fatma par le viol. Dès lors, rompre son lien avec « l’objet passif de la jouissance dominante », permettra à Vahakn d’accéder à la rédemption par le sacrifice.

 

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