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La chose est entendue : la stérilité est stérile. On ne saurait faire venir des branches ni des feuilles à un bois sec. Ni une progéniture à une bréhaigne. Ni une humanité à un fasciste. Certes, et pourtant… De la friction d’un bois mort sur un autre peut jaillir le feu. Taillez en pointe le bout phallique, puis envaginez-le dans le trou de sa complice femelle pour une jouissance frénétique jusqu’à la flamme. Et voilà comment nos ancêtres ont pu se chauffer, cuire leurs viandes ou éloigner les prédateurs. C’est que la mécanique frictionnelle est une des techniques les plus fantasmatiques qui soient. Mariée à un manque, elle peut accomplir des merveilles. Non que ce manque en vienne à être comblé. Mais elle produira à coup sûr des rêveries d’absolu ou des images de perfection à la mesure du vide à réparer. Le gisant de Victor Noir, saisi à terre par le sculpteur juste après le coup de feu napoléonien, le chapeau à peine échappé de ses doigts, en sait quelque chose. Les sournoises promeneuses du Père Lachaise, en mal d’amour ou de bébé, embrassent encore aujourd’hui ses lèvres de bronze. Mais la patine éclate surtout au renflement de la braguette. C’est dire qu’on chevauche en catimini le beau martyr de la démocratie en espérant que les frottements appropriés feront advenir le miracle d’une maternité jusque-là réticente. Pas de spectacle plus pur que ces femmes piégées dans leur propre corps, pas de tableau plus pathétique que ces accouplements de chair et de matière, pas de coït plus paradoxal que ces attouchements entre une vie minée par la fatalité et une forme humaine inerte, elle aussi frappée par le destin. Le maire d’arrondissement, jugeant indécentes ces amours clandestines, fit dresser une barrière autour de Victor Noir. Sans doute au grand dam de notre assassiné qui voyait ainsi, en son éternité même, venir à lui plus de femmes que sa vie ne lui en avaient donné. Une vraie multiplication de baguettes. Deux jours plus tard, des suffrageuses, accompagnées de quelques hommes, s’insurgèrent contre ces barricades obscurantistes. Le maire fit marche arrière et les « choses » rentrèrent dans l’ordre. Loin de là, sur la route de Sissian en Arménie, une protubérance rocheuse a longtemps servi d’écrase-ventre aux infécondes. L’Arménie, autrement nommée Karastan, pays de pierre, devait naturellement conduire les Arméniens à construire leur vie autour de ce que Dieu leur donna en surabondance. S’ils projettent l’image de la mort sur l’écran d’un khatchkar (pierre-croix), pourquoi s’interdiraient-ils d’attribuer au portakar (pierre-ventre) le pouvoir de féconder la vie ? C’est qu’ils ont le génie de faire du vivant avec de l’inerte.
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Voir aussi à ce propos : La colonne branlante, avatar chrétien d’une phallusolâtrie arménienne
Ainsi, faute d’avoir un Victor Noir sous la main, les Arméniennes prenaient appui sur la nature. La « chose » était censée retourner la stérilité en maternité. Encore une affaire de friction. Il est vrai que les Arméniens aiment ça, se frictionner. Par exemple, il leur suffit de se frictionner le regard sur le mont Ararat pour aussitôt se sentir requinqués. Que croyez-vous que viennent chercher en Arménie les Arméniens de la diaspora, sinon qu’ils désirent se frotter à leurs frères ? Ajoutons qu’une fois l’an, tous les Arméniens du monde entier se frottent l’âme à l’âme de leurs morts. Après quoi ils se sentent mieux. C’est radical. Ils appellent ce rite une commémoration. Ce jour-là, dans le monde entier, partout où il y a des Arméniens, les rues s’embrasent. En vérité, je vous le dis, leurs morts les font vivre.
Ouah ! Tu as fumé la moquette ? LOL
Oui ou non, j’aime beaucoup ton humour désespéré.
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Commentaire par Dzovinar — 26 juillet 2009 @ 5:43
Nos ancêtres sont sortis de l’eau il y a 400 millions d’années, l’eau n’a pas éteint le feu…
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Commentaire par Louise Kiffer — 26 juillet 2009 @ 8:15
[…] A lire également : Les morts font vivre […]
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Ping par Portakar « Ecrittératures — 26 février 2010 @ 6:46
[…] Voir également le texte Portakar, Les morts font vivre […]
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Ping par La colonne branlante, avatar chrétien d’une phallusolâtrie arménienne « Marcher en Arménie — 26 février 2010 @ 6:48