Ecrittératures

7 Mai 2015

LA ROSEE AZNAVOUR

Les temps sont durs. Mais grâce au Dieu clément, ils nous sont devenus plus supportables.

Car Dieu nous a donné un fils.

Ouvrez le poste, radio ou télévision, un journal du soir ou de la veille, le Monde ou Paris-Match, un livre où fleurit une préface, libérez une porte, embrassez une fenêtre, ouvrez une lucarne ou un hublot et humez l’air du temps, que sais-je encore, déchirez un papier cadeau, écoutez siffler le train ou attendez dans un aéroport et constatez. Il est là. Bien là. Toujours là. Pas pour parler de lui seulement, donner une leçon de longévité ou laisser perler un souffle d’amour, ni évoquer ce qu’il chante ou l’enchante, mais pour être l’Arménie. Car il est son visage et il est sa voix. En vérité, je vous le dis, le visage et la voix de l’Arménie, c’est lui. Mal rasé comme une marmotte au lever d’un jour commémoratif, ou poudré comme une duchesse avant un bal médiatique, le timbre éraillé du parigot qui force le train de ses poumons ou la note fière qui cherche à monter plus haut que sa propre taille, il vous tombe dessus comme une rosée au petit déjeuner, vous accompagne comme une eau de source à votre table de midi ou vous tient la gorge au chaud en s’immisçant dans votre velouté d’asperges. Il peut même arriver qu’il vous berce avant de vous endormir ou qu’il cherche à obséder vos rêves. C’est un vin de vie qu’Aznavour.

Omniprésent Aznavour.

D’ailleurs, en ces durs temps de tempête, les Turcs redoutent d’ouvrir leur poste, radio ou télévision, un journal du soir, un hebdomadaire, le Monde ou Paris-Match, une porte de café, une fenêtre d’appartement, un hublot de navire les ramenant chez eux, d’entendre hurler un chien comme à Istanbul, capitale canine par excellence, ou d’attendre dans un aéroport. C’est qu’ils craignent de tomber sur lui, Aznavour, l’itinérant de la Cause, sur son image, sur sa voix, visage et voix de l’Arménie. A rentrer le cou, ils montrent, ces Turcs, qu’ils ne souhaitent pas être reconnus, comme à baisser la tête pour se faire disparaître, ou à tourner le regard pour viser une colombe, ou à prendre subitement leur téléphone en faisant semblant d’appeler un complice. Mais là encore, qui sait si Aznavour ne va pas leur sauter à la gueule en surgissant comme un diable de leur écran, montrer son visage ou faire entendre sa voix, visage et voix de l’Arménie.

Heureusement les Turcs ont Erdogan pour rester fiers d’être turcs. Mais plus heureux encore sont les Arméniens, car eux, ils ont Aznavour.

Erdogan pèse 100 ans de silence obtenu à prix d’or. Aznavour 1000 chansons qui bruissent de bonheur autour de la planète.

Erdogan, c’est 1,5 million de morts. Aznavour, 180 000 millions disques. Le bide contre le plein.

C’est que l’homme d’honneur a horreur du vide. Surtout l’homme européen. (Je ne parle pas ici de ces Européens vidés de toute honorable européanité, mais du peu d’hommes qui restent encore pour honorer l’Europe). Quand Erdogan parle, c’est le négationnisme qui lâche les chiens de ses obsessions. Avec Aznavour, c’est l’humanisme qui esquisse le sourire d’une vérité têtue et pacifique. Le premier s’écoute lui-même sans réussir à s’entendre car sa fierté d’être turc le conduit à ignorer son ignorance. L’autre est écouté par ses semblables, ses frères humains, qui sont légion.

Erdogan a des armes. Aznavour n’a que ses larmes. Des larmes d’amour. Aznavour pleure sur les Turcs qui ne savent plus pleurer sur l’homme et déplore que leurs armes soient source de larmes et de drames et que leurs yeux crachent du feu.

D’ailleurs à quoi reconnaît-on que la Turquie n’est pas un pays normal ? Au fait, qu’Aznavour n’y ait jamais été invité pour chanter sa « Mamma », pour inviter les uns et les autres à trousser des chemises ou pour prier ceux qui sont tombés afin qu’ils se relèvent. Alors que tous les pays du monde l’ont déjà fait ou presque, et certains plusieurs fois. Je veux dire d’aider à se relever ceux qui sont tombés et ceux qui tombent encore au souvenir de ceux qui tombèrent une fois et à jamais.

C’est qu’en Turquie, les Turcs ont peur qu’Aznavour finisse par leur tomber dessus comme la rosée du matin, par accompagner leur raki, ou qu’il arrive à leur tenir la gorge au chaud en s’immisçant dans leur yayla chorbasi. Sans oublier qu’Aznavour pourrait se substituer à leurs berceuses traditionnelles et assassiner leurs rêves d’assassins en les rendant doux comme des chats de Van et cléments comme des chrétiens de Syrie.

Aznavour, c’est le meilleur ambassadeur itinérant de la cause arménienne. A lui seul, et sans se fatiguer, il fait plus que Davutoglu qui fut ambassadeur à temps plein de la cause vide qui a vidé la Turquie de ses populations chrétiennes. Mais aussi mieux que toutes les associations arméniennes réunies pour conjuguer leurs divisions dans le but de couvrir les croassements du silence par les illuminations de l’histoire. Il suffit qu’Aznavour lève le petit doigt pour que les médias se mettent aussitôt à faire la danse du ventre et céder au tropisme de son érection charismatique.

Si la République d’Arménie a Serge Sarkissian, le président qui s’est élu lui-même, la diaspora arménienne a Charles Aznavour, son président virtuel qui n’a pas eu besoin d’élection pour se faire aimer. Il faut dire qu’à l’international, Aznavour a plus fait pour l’image de l’Arménie que Serge Sarkissian qui défait les Arméniens chaque jour au point de les forcer à l’exil. Il est vrai que l’exil des Arméniens, ça rapporte beaucoup à l’Arménie de Sarkissian. Mais ce n’est pas une raison. Il suffit qu’Aznavour apparaisse quelque part pour qu’aussitôt les Arméniens s’agglutinent autour de sa personne comme la ferraille qui se colle à l’aimant. Avec Sarkissian, c’est le contraire. Il agit en répulsif. C’est pourquoi il se montre rarement, sinon emmuré de gardes du corps.

Quand Aznavour fait un don au président de l’Arménie, le président fait don de ce don à lui-même, laissant des miettes à l’Arménie dont il est président. Mais Aznavour sait ce qu’il fait. Il a la sagesse de la longévité comme le peuple arménien qui n’est pas prêt à compromettre son « dur désir de durer » pour un président éphémère.

Il fut un temps, où je n’étais pas d’accord avec Aznavour, à cause de son omniprésence ad nauseam. C’est que toute ma vie j’ai été entouré d’Arméniens aznavourisés à mort. Un camarade de collège me bassinait déjà en imitant la voix de son dieu. Plus tard, c’est un cousin collectionneur d’affiches qui détournait toutes les conversations en remettant chaque fois son idole sur le tapis. J’ai même connu une Arménienne d’Arménie, frigide comme son intelligence, qui raffolait de ses chansons et qui s’envoyait en l’air rien qu’en les écoutant pour éviter de se mettre en chair avec une autre. Aujourd’hui, ces fanatiques pullulent autour de moi, au point que dès que je peux, je me fais un devoir de me raisonner en lâchant le plus de méchancetés dont je suis capable sur cet idolâtré plâtré au national et sur ses dévots crypto-nationalistes. Et ça me fait du bien. Par exemple, quand Aznavour a poussé son humanisme jusqu’à dire qu’il se foutait du mot génocide pourvu que les Turcs reconnaissent ce qu’ils ont fait et défait. Là, mon sang historique n’a fait qu’un tour. Mes maux ont mis ses mots en charpie. Et ça m’a fait du bien. Ou bien quand il ne s’est même pas révolté au tabassage mortel d’un pauvre homme par un garde du corps du président qui l’avait invité à dîner dans un restaurant jazzophile d’Erevan, le fameux Paplavok. Ce jour-là, j’ai eu mal à mon Aznavour et j’ai commencé à détester le jazz.

Et puis, Aznavour, c’est un adorateur d’honorifiques médailles, et qui trouve honorable de fréquenter les présidents, même les plus déshonorants, pourvu qu’ils lui donnent un musée où exhiber ses médailles le jour où il n’aura plus de assez de veste pour les accrocher. Seulement voilà, le quantitatif débouche un jour et forcément sur le qualitatif. Cent ans de solitude ont abouti à donner une année d’abondance et de reconnaissance pour notre génocide. Ainsi donc, je suis parvenu à penser qu’Aznavour avait ses raisons et que la raison du plus mesquin dénominateur finit toujours par être balayée par une raison plus grande. Sûrement qu’Aznavour a toujours eu des raisons plus grandes que les plus petits des présidents qu’il a fréquentés avec l’assiduité d’une sangsue. Mais il les gardait secrètement, ces raisons, laissant aux énervés de s’énerver tout seuls afin qu’ils trouvent par eux-mêmes le secret d’Aznavour le grand.

D’ailleurs, tel qu’en lui-même et pour l’éternité, Aznavour est à lui seul une recette anti-âge, un livre vivant du vivre amoureux. Et moi qui peine à me survivre, j’ai fini par comprendre qu’il fallait à tout instant porter sa vie en positif, toujours chantant et vert d’une année sur l’autre, à l’instar des oliviers qu’Aznavour cultive dans ses Alpilles et du mien mis en pot sur mon balcon. Ces oliviers de notre Cause, qui nous enterreront tous. Aznavour compris. Emmenez-moi au bout de la terre….  

1 Mai 2015

Exécution des responsables du CUP par les kémalistes.

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1 – Vahakn N. Dadrian rappelle ( in Jugement à Istanbul, le procès du génocide des Arméniens de Vahakn N. Dadrian et Taner Akçam, Éditions de l’Aube, 2015) que les tribunaux de l’indépendance permirent à la République de Turquie d’éliminer tout opposant à l’autocratie de Mustafa Kemal et d’en finir avec le docteur Nazim qui le nommait Gazoz (soda) au lieu du titre honorifique de Gazi. Ainsi furent supprimés certains auteurs du génocide des Arméniens, sachant que Kemal, six ans plus tôt, avait commenté les poursuites du tribunal militaire en ces termes : « Pourquoi les Alliés n’ont-ils pas pendu toute cette racaille ?»

2 – Les procès d’Izmir (26 mai – 15 juillet 1926) portant essentiellement sur la conspiration contre Mustafa Kemal, se terminèrent par quinze condamnations à mort. Parmi les sept qui furent pendus le jour même figuraient trois responsables des massacres de 1915 et membres du CUP : Ahmet Şükrü, ministre de l’Éducation pendant la guerre, Ismaïl Canbolat, bras droit de Talaat chargé de la sécurité publique, Halis Turgut, devenu kémaliste et accusé de complicité dans les exactions contre les Arméniens.

3 – La seconde série de procès se déroula à Ankara (2 août – 26 août 1926) et s’acheva sur l’exécution le soir même du verdict d’un groupe de quatre cadres importants du CUP : le Dr Mehmet Nazim qui fut « le cerveau du projet du meurtre de masse en temps de guerre » mourut en protestant de son innocence ; Yenibahçeli Nail, liquidateur de la population arménienne de Trébizonde et qui avait utilisé la noyade en mer Noire et le massacre en nombre ; Filibali Mustafa Hilmi, lieutenant au service de Bahaeddin Şakir, qui était aussi un loyal adorateur d’Enver Pacha ; Abdülkadir Ayintabli qui fut pendu pour avoir conspiré contre Mustafa Kemal et qui avait activement participé au meurtre des Arméniens de Trébizonde, comme gouverneur du district de Gümüşhane.

4 – Massacreur de la population arménienne de Van, dont la cruauté horrifiait même les Kurdes, responsable direct du meurtre des députés Krikor Zohrab et Vartkès Serengulian, Serezli Çerkez Ahmet fut condamné et pendu le 30 septembre 1915 à Damas, avec l’approbation de Talaat. Le brigand kurde Şkaftanli Amero, qui fit exécuter 636 notables par des Tcherkesses de la tribu des Ramman fut convoqué à Diyarbakir et assassiné. Le Kurde Murza Bey, qui opérait au sinistre défilé de Kemach, fut exécuté en secret à l’instar des bourreaux commandités par l’État.

5 – Fier de son rôle dans la liquidation des Arméniens comme membre de l’Organisation spéciale, Feridunzade Topal Osman, devenu kémaliste après la guerre, massacra en masse les Grecs et les survivants arméniens de la région de Trébizonde, avant d’être tué dans un échange de coups de feu avec une unité militaire, son corps décapité restant accroché à Ulus Maydan, devant le Parlement, en mars 1923. Comme Topal Osman, au service de Mustafa Kemal, Eyuplu Deli ( le fou) Halit Karsialan jouissait d’un grand prestige militaire et d’une notoriété de massacreur acquise comme chaud partisan du CUP et proche ami de Dr Nazim. Il prit une grande part au succès de 1920 contre la République arménienne, comme adjoint du commandant en chef Kazim Karabekir. Député de Kars pour services rendus, mais devenu gênant pour Mustafa Kemal à cause de son agressivité, il fut mortellement blessé lors d’une rixe avec un de ses collègues en février 1925.

26 avril 2015

Professionnels de santé et génocide de 1915

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 Roupen Sevag et sa femme Yani à Lausanne en 1913.

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1 – Selon l’Union Médicale Arménienne de France (U.M.A.F.), si l’élite arménienne vivant à Constantinople comprenait environ 300 médecins, d’autres professionnels de santé habitant le reste de l’Empire s’appliquaient à soigner les populations arménienne, turque, kurde, assyrienne, arabe et autres peuples. Contribuant au développement de la médecine dans l’Empire ottoman, les Arméniens ont notamment   joué un rôle prépondérant dans la création de l’École supérieure de médecine ottomane en 1838 grâce au Docteur Manuel Chachian, affecté au service des sultans Mahmoud II et Medjid 1er, et dans celle de la Société impériale de médecine ottomane à Constantinople en 1885.

2 – Parmi les 235 intellectuels arrêtés dans la nuit du 24 au 25 avril 1915, et les 800 des jours suivants dont la majorité fut supprimée sur la route de la déportation, figuraient des professionnels de santé. En 1919, L’Union des Médecins Arméniens déplorait la mort ou l’assassinat de 113 docteurs, 73 pharmaciens, 14 dentistes et 15 étudiants. Parmi eux, se trouvait le docteur et poète Roupen Sévag, 30 ans, diplômé de la Faculté de Médecine de Lausanne, assassiné le 26 avril 1915. Le Docteur Vahram Torkomian, alors président des deux organisations scientifiques et médicales susnommées, réussit à s’exiler à Paris, où il contribua à la création de l’Union Médicale Arménienne de Paris, qui devint en 1974, l’U.M.A.F.

3 – Membres du C.U.P., les médecins turcs ottomans Mehmed Nazim et Behaeddine Chakir étaient chargés d’organiser et d’exécuter déportations et massacres. Le premier, formé à Constantinople et Paris, ministre de l’Éducation Publique, fut jugé et condamné à mort le 5 juillet 1919 par le tribunal militaire d’Ankara. Le second était Professeur de médecine légale à la Faculté de Médecine de Constantinople. Justifiant ses actes, le médecin et gouverneur général de Dyarbakir, Mehmed Reshid devait déclarer : « Vous m’avez demandé comment en tant que médecin, j’avais pu tuer un si grand nombre d’hommes. Voici ma réponse : des traîtres arméniens s’étaient fait leur nid au sein de la patrie. Ils étaient des microbes dangereux. N’était-il pas du devoir d’un médecin de détruire ces microbes ? »

4 – Pendant le génocide, Hamdi Souad, professeur d’anatomie pathologique à Constantinople, formé en Allemagne, et Tewfik Salim, médecin chef du 3e Corps d’Armée, inoculèrent du sang infecté par le typhus à des centaines d’Arméniens sous prétexte de développer un vaccin. (En 1974, le Pr Souad reçut un prix d’honneur à titre posthume par la Fondation Scientifique et de Recherche Technique Turque). Ali Saïb, directeur de la santé publique et des services de santé de Trébizonde, injectait des doses mortelles de morphine à des enfants orphelins arméniens et des femmes enceintes de l’hôpital du Croissant Rouge. Les récalcitrants étaient noyés dans la Mer Noire. Des témoignages rapportent aussi son utilisation de gaz et vapeurs mortels sur des enfants.

5 – De faux certificats médicaux étaient rédigés contre les Arméniens. Monseigneur Ignace Maloyan, évêque de Mardine, tué sur la route de la déportation, aura été déclaré mort le 10 Juin 1915 par suite d’une embolie pulmonaire par les médecins turcs ottomans de Dyarbakir. Suleyman Numan Pacha, chef médical de l’armée ottomane et inspecteur des services sanitaires autorisa le meurtre des médecins arméniens civils et militaires. A ces méfaits, s’ajoutent les viols des infirmières arméniennes, comme ceux de Fethi, médecin chef de l’hôpital militaire à Silvan (Dyarbakir), qui se savait porteur d’une maladie vénérienne contagieuse.

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Reportage sur Sevag, lire ICI.

1 Mai 2014

CENT ANS de SOLITUDE pour UN JOUR de COLERE

mustafa-aga-azizoglu

 

Je dédie cet article à Moustapha agha Aziz oglou

Maire de Malatia en 1915

 

En politique, celui qui croit toucher les cœurs peut les révulser. Avec ses subtiles et tardives condoléances à l’adresse des « petits-enfants des Arméniens tués en 1915 », Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, vient de siffler le début du match qui opposera les commémorations du génocide de 1915 au négationnisme turc. Les Arméniens du monde entier savent désormais que leur deuil sera un combat contre l’amnésie génocidaire. Car leur deuil, loin d’être un abattement de l’âme arménienne, revêtira tous les aspects d’une guerre mémorielle menée contre la kémalisation par laquelle tous les gouvernements turcs confondus ont caramélisé leur peuple depuis un siècle sur la question arménienne.

Or, contre le mensonge de l’Etat négationniste, il ne faudra pas s’attendre à une simple levée de boucliers. Ces boucliers sont levés depuis déjà cinquante ans et même davantage. Non, il faudra s’attendre à un véritable déferlement de la colère mondiale, arménienne et humaniste. Ce que Monsieur Erdogan ne sait pas, c’est que chaque Arménien né en diaspora voudra jouer sa part de vérité dans cet Hymne à la Justice qui animera les nations et assiègera le pays qui s’entête dans ses bottes d’accusé. Car « tous les petits-enfants des Arméniens tués en 1915 » voudront rendre hommage à leurs grands-parents contre le crime sans nom ni criminel où la turcité erdoganesque veut les confiner. Il en est qui se préparent déjà depuis des années, qui fourbissent leur indignation pour la rendre plus éclatante que jamais. Chacun de ces petits-enfants ne voudra pas rater ça, faire du mouvement, donner de la voix, montrer, argumenter. Donner la parole aux morts dont on a défoncé la bouche. Et contre ÇA, personne ne parviendra à faire barrage. On pourra contre manifester, crier à la supercherie. En vain. La tempête est déjà en route. Elle sera légion et contagieuse. Les indifférents seront touchés. Les contaminés de la propagande turque se réveilleront tels qu’en eux-mêmes fleurira leur conscience. La jeunesse turque ouvrira les yeux et le cœur. C’est humain. C’est mathématique. Déjà chaque Arménien se tient fermement dans les starting-blocks pour grossir la vague anti-négationniste dont seront témoins toutes les nations du monde. J’en connais et des meilleurs. Car le génocide turc a pourvu le monde entier de petits-enfants d’Arméniens tués en 1915. Des petits-enfants qui y pensent chaque jour. Et qui chaque jour ajoutent au précédent une idée, une force, un désir de justice.

Déjà avec la saillie de ses condoléances, Erdogan les a agacés, ces petits-enfants arméniens. Ceux qui dormaient fort se sont même redressés. Ceux qui s’assimilaient se sont brutalement décillés. Ils ont ouvert les yeux et ils ont ouvert leur gueule. Erdogan ne pouvait pas mieux faire pour siffler le début du match. Il croyait abattre les Arméniens comme des mouches d’un revers de main faussement compassionnel. Mais non. Il croyait que la mort des Arméniens en 1915 avait rendu amorphes leurs petits-enfants. Non encore. Il les a poussés au commentaire indigné comme si les morts parlaient encore en leur bouche. Du plus réactif des petits-enfants comme Louise, Michel, Dzovinar ou Antranik au plus actif comme Manoug, Osman, Ayse, du plus comique comme Madinian au plus connu comme Aznavour. Des commémorations comme on n’en aura jamais vues, partout dans le monde mais aussi en Turquie même. Des commémorations telles que le croissant de lune en tremblera dans son propre lit de sang. Et il va les recevoir en plein dans ses condoléances, Erdogan. Que même s’il se fourrait du lokum dans les esgourdes, ça va passer très fort et très dur. Ça lui fera des otites et des acouphènes à vie.

Car oui, contre ÇA, la Turquie ne pourra rien. Rien pour maintenir contre ÇA cette bassesse de l’histoire qu’elle perpétue bassement. Incapable qu’elle sera de lancer ses tchétés contre les défilés qui lui jetteront sa honte à la figure. Sans même la possibilité cette fois de rafler de nuit les intellectuels arméniens, ni ceux qui fraterniseront avec eux, pour les faire taire par l’exil, le chantage ou la mort. Ses soldats n’arriveront pas à fusiller les hommes valides, ni à torturer les prêtres, ni à noyer les enfants, ni à les brûler dans les églises pour éteindre leurs cris. Tous auront l’âme en feu et la parole libre, la parole vivante, la parole européenne pour dire à Monsieur Erdogan que ces Arméniens tués en 1915 l’ont été par les vôtres hier et le sont encore par vous-même aujourd’hui.

Les commémorations liées à la bataille des Dardanelles le 25 avril ne parviendront même pas à étouffer ces voix multiples et mondiales. Au contraire, elles mettront davantage en lumière le trou béant qui déchire une histoire de barbaries que la Turquie n’ose pas regarder en face. On le sait bien pourquoi. Dans ce trou noir qui a pour nom Frendjelar, Dara, Kharpout et autres, où sèche le sang des Arméniens tués en 1915, mais aussi des Grecs et Assyro-Chaldéens, la Turquie pourrait être entraînée tout entière, coupable d’avoir manipulé son peuple durant cent années.

Grâce à Dieu, pour éviter ce genre de gouffre, les pays qui ont mauvais genre ressortent de leurs placards une bonne commémoration pour redonner au peuple l’estime de soi. Cela se comprend. Celle des Dardanelles se fera pour que la fierté d’être turc soit sauve et échappe à l’opprobre que les commémorations arméniennes feront peser sur la turcité. Mais ce sera du pur théâtre, pas de la douleur humaine. Ce sera une commémoration de carton, pas une commémoration humaniste. Et aux yeux du monde la Turquie telle que la rêve Erdogan en sortira plus amoindrie que jamais. Car il n’y a pas d’autre issue à la fierté d’être turc que de reconnaître la déraison qui est à l’origine de la douleur arménienne.

C’est que Monsieur Erdogan n’est pas moderne. Monsieur Erdogan n’est pas européen. Sa récente réélection a donné de la Turquie une image incompatible avec les idéaux qui animent l’Europe. Sa répression des manifestations passées, soldée par huit morts et huit mille blessés, l’emprisonnement des journalistes, la suppression de YouTube et Twitter, etc. font de la Turquie un anachronisme dans la modernité et de ses velléités européennes une injure à l’Europe.

Certes on doit reconnaître les efforts du gouvernement Erdogan. Mais les rouages de sa mécanique mentale se grippent d’autant plus facilement qu’il reste un homme politique aliéné par sa culture, son éducation et son entourage. On ne peut pas désirer l’Europe sans perdre un peu de sa morgue nationaliste. Ni avancer d’un pas vers elle pour s’en éloigner de dix. Dès lors, que valent ces gesticulations destinées à virginiser une politique répressive et négationniste qui se répète depuis cent ans ? Aujourd’hui, on lâche du lest tandis que dans le même temps on matraque en coulisses. On permet aux ONG et aux Arméniens de l’étranger de commémorer 1915 sur le territoire turc, mais on emprisonne les journalistes. On reconstruit Aghtamar mais combien d’édifices arméniens on laisse encore détruire ! On accorde de publier voici un mois le Parmi les ruines de Zabel Yessayan en turc, mais on aura assassiné Hrant Dink, emprisonné Ragib Zarakolu, conspué Oran Pamuk, sans parler du reste.

De la même manière, pour se montrer européen, on formule maintenant des condoléances aux petits-enfants des Arméniens tués en 1915, mais on ne dit pas comment, ni par qui, ni pourquoi ils l’ont été. Or Monsieur Erdogan sait bien par qui, comment et pourquoi. C’est comme si Monsieur Erdogan vous invitait à sa table pour un manti dont la pâte et la viande seraient absentes. Il a beau jouer les prudes en proclamant solennement : «Nous sommes un peuple qui pense qu’un génocide est un crime contre l’humanité et jamais nous ne fermerions les yeux face à un tel acte», il ne trompe personne. Car, voyons un peu, c’est bien en Turquie que ces Arméniens ont été tués puisque c’est le Premier ministre turc qui exprime ses condoléances ? Et il doit bien savoir qui les a tués et comment et pourquoi, le Premier ministre turc ? Mais non ! Il ne veut pas qu’on sache qu’il le sait. C’est qu’il ne veut pas être celui qui ouvrira le gouffre béant où toute la nation turque pourrait être précipitée. Car ce serait admettre que le génocide est consubstantiel à l’histoire turque. Que c’est dans la mort en masse des Arméniens que la Turquie a puisé la substance de son économie aux premiers âges de son histoire. Et ce crime massif ne s’efface pas avec des condoléances. Il pèse et il pèsera encore longtemps. Et plus la jeunesse turque sera portée par une éducation européenne, plus ce crime pèsera de son poids dans sa conscience. C’est humain, et c’est mathématique. C’est que Erdogan en niant comme il le fait la substance génocidaire de l’histoire turque joue avec la santé mentale de ses citoyens, et en particulier de sa jeunesse. Car les mécanismes éthiques de l’individu qui accède à la conscience de sa liberté s’accommodent mal des mensonges politiques qui hypertrophient la fierté nationale. La kémalisation de la jeunesse turque a pris fin avec les manifestations de la place Taksim. Elle a déjà commencé à céder du terrain devant les impératifs moraux de sa mue européenne. De sorte que tôt ou tard, il deviendra inéluctable que le pourquoi et le comment des tueries de 1915 viennent au grand jour remplacer les atermoiements de Monsieur Erdogan. Oui, tôt ou tard, ils viendront.

Quant aux Arméniens, ils ont devant eux une année pour tenir parole. Ils feront des choses, mais ils feront aussi des paroles. Or les paroles seront le seul baromètre qui déterminera leur manière d’honorer les morts de 1915. Car leur douleur centenaire devra tenir aux yeux des autres hommes le langage de la dignité contre tout débordement agressif à l’égard des sceptiques, des opposants, des fatigués, des hédonistes et même des négationnistes. Sur les forums, les réseaux sociaux, dans les conférences et ailleurs… L’intégrisme génocidaire est la pire des défenses pour maintenir la vérité historique hors de l’eau. Faute d’universaliser le génocide de 1915, les Arméniens risquent de faire mourir leurs morts d’inanité. C’est pourquoi, toutes les occasions pour jeter des ponts entre la diaspora arménienne et la société civile turque bénéficieront à l’une et à l’autre pour que les événements de 1915 émergent dans les consciences comme une nécessité éthique de réconciliation, de dialogue et de partage. L’heure est à l’ouverture des esprits pour que puisse commencer l’ouverture des premiers gestes de réparation. Les Arméniens ont beaucoup à faire, à commencer par ranger leurs gants de boxe destiné au combat auquel les invite Erdogan. Et par comprendre que le peuple turc, de génération en génération, a été forcé de grandir dans le mensonge alors qu’eux-mêmes baignent depuis cent ans dans la solitude de leur génocide oublié et de leurs grands-parents traumatisés.

Dans cette perspective, pourquoi ne pas mettre à l’honneur durant les commémorations de 1915 les Justes turcs qui ont sauvé des Arméniens ? Ils ne devraient pas être oubliés. Car ainsi ce serait l’occasion de montrer que les Arméniens n’ont pas élaboré leur haine autour de la figure fantasmée du Turc sanguinaire, et que les Turcs n’ont pas à être confondus avec un Etat qui ne cesse de les tromper. Et qu’ils se posent la question ces Arméniens, de savoir avec quel genre de Turcs ils voudront construire la reconnaissance du génocide : des Turcs braqués ou des Turcs éclairés ?

Je serais tellement heureux si, en avril 2015, une rue de Malatia, à Erevan, était baptisée du nom de Moustapha agha Aziz oglou, maire de Malatia en Turquie en 1915, qui a sauvé tant d’Arméniens et que son fils, au retour de la guerre, assassinera pour l’avoir jugé trop favorable aux Giavurs.

Denis Donikian

27 avril 2014

Au nom de tous les miens, pardon Monsieur Erdogan ! (2)

Nous republions ici un texte paru sur le site Yevrobatsi.org le 15 avril 2005, et ici même en janvier 2012, pour montrer la continuité inflexible du négationnisme dans lequel s’enferre la Turquie.

Le lundi 11 avril 2005, lors de sa visite officielle en Norvège, M. Erdogan avait déclaré :  » Il appartient aux Arméniens de faire des excuses à la Turquie suite à leurs allégations erronées de génocide pendant la première guerre mondiale « . Et voici qu’à la veille du 24 avril 2013, c’est lui qui fait des excuses en bottant en touches. . D’aucuns trouveront un progrès. Alors qu’en réalité, rien n’a changé dans ce discours depuis qu’Erdogan est au pouvoir.

Et voici notre réponse de 2005 :

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Ces enfants arméniens qu’on enterra vivants pas centaines remuent encore sous la terre autour de Diarbékir pour vous demander pardon. Ces déportés torturés par la soif que vos gendarmes attachaient face aux rivières ou promenaient le long des fleuves en leur défendant d’approcher ne sauraient faire moins eux aussi que d’implorer votre grâce. Au nom de ceux qui se sont jetés dans les flots pour s’y noyer en apaisant leur soif ou de ceux qu’on fit boire aux rivières souillées par des cadavres arméniens, je vous demande pardon.  » Pardon  » auraient dit ces enfants arméniens, sans père ni mère, qu’on vendait pour deux médjidiés, soit 1,20 euro, sur les marchés d’Istanbul, capitale ottomane. Ces filles qu’on passait aux soldats vous demandent elles aussi pardon d’avoir été violées ou d’avoir peuplé les harems de vos pères. On aurait pu aussi exiger de Madame Terzibachian d’Erzeroum de vous demander pardon pour avoir témoigné au procès Tehlirian en racontant comment à Malatia les femmes virent leurs époux tués à coups de hache avant d’être poussés dans l’eau et comment leurs bourreaux vinrent choisir les plus belles, transperçant de leur baïonnette celles qui s’y refusaient. Mais Madame Terzibachian n’étant probablement plus de ce monde, je vous demande pardon à sa place d’avoir porté l’accusation contre le soldat qui trancha la tête de son propre frère sous les yeux de sa mère aussitôt foudroyée, et qui jeta son enfant pour la seule raison qu’elle le repoussait. Pardon de vous avoir offensé au nom des Arméniennes de Mardin dont on déshonora les cadavres encore frais. Les Arméniens qu’on jeta par centaines dans les gorges du lac de Goeljuk, non loin de Kharpout, selon ce que le consul américain nous en a rapporté, s’excusent par ma bouche d’avoir porté atteinte à votre honneur que leur mort accuse les Turcs de les avoir acculés dans une nasse avant de les égorger. Je vous fais grâce de ces restes humains qu’on dépouilla de tout, de leurs maisons, de leurs biens, de leurs vêtements, de leurs enfants, et ces enfants de leurs propres parents, de leur innocence, de leur virginité, de leur religion, de l’eau qu’on boit quand on a soif, du pain quand on a faim, de leur vie autant que de leur mort, de leur paysage familier et de la terre de leurs ancêtres… De tous ces gens me voici leur porte-parole, ils parlent en moi, je les entends agoniser dans mon propre corps, pour vous demander pardon d’avoir existé, pardon d’avoir été trompés, turcisés, torturés, ferrés comme des chevaux, violés, égorgés, éviscérés, démembrés, dépecés, brûlés vifs, noyés en pleine mer, asphyxiés, pour tout dire déshumanisés… Car vous n’êtes en rien responsable des malheurs absolus que vos frères inhumains firent subir aux nôtres, frères humains trahis dans leur humanité. Non, l’histoire de vos pères n’est pas votre histoire. L’histoire de la Turquie ne naît pas sur ces champs de cadavres arméniens. Et pourquoi donc supporteriez-vous les péchés de vos pères ? Qui oserait vous faire croire que ces maisons désertées par les Arméniens ont été aussitôt habitées par les vôtres ? Que des villages entiers, vidés de leurs habitants naturels, ont été occupés par les vôtres, au nom d’une légitimité illégitime ? Que la ville de Bursa comptait 77 000 Arméniens durant la période ottomane, plus que deux au premier recensement ? Que les richesses de ces Arméniens pourchassés, déportés, anéantis aient nourri ces prédateurs qui furent d’une génération dont vous ne fûtes nullement engendré, Monsieur Erdogan. Il faut que les Arméniens s’excusent d’avoir été là où vous n’étiez pas encore. Qu’ils s’excusent d’avoir proclamé depuis 90 ans, d’une manière ou d’une autre, par des livres ou de vive voix, par leur mort sur les chemins du désert ou leur vie dispersée aux quatre coins du monde, que le génocide arménien est et sera toujours le fond noir de l’identité turque.

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Voir aussi comment un député autrichien tance  l’ambassadeur de Turquie : Cliquez ICI

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Texte repris et publié dans notre ouvrage Vers L’Europe, du négationnisme au dialogue arméno-turc (Actual Art, Erevan, 2008)

27 novembre 2011

Comment la vérité vient à la Turquie

Filed under: ARTICLES — denisdonikian @ 3:02
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Avertissement  : Si nous donnons à lire cet article de Mehmet Ali Birand, journaliste à Hürriyet Daily News, c’est qu’il révèle à quel point le désir de vérité est en travail dans la société civile turque.  Voici ce que ce Monsieur écrivait le 9 février 2005, dans le Turkish Daily News : » Les Arméniens ont été assidus dans le respect de leurs objectifs depuis les 75 dernières années.Ils sont publié des milliers de livres et d’articles. Ils ont fondé des chaires dans les universités et convaincu l’opinion internationale. Et à la longue ils ont gagné la reconnaissance internationale en dépit du fait que leurs données étaient insuffisantes et qu’elles ne reflétaient pas la vérité ».  Cette dernière phrase lui valut  une cinglante réplique de ma part dans une lettre ouverte parue sur le site Yevrobatsi, puis reproduite dans mon livre Vers l’Europe (Actual Art, 2008, page 111). Précédemment, rebondissant sur les excuses d’Erdogan concernant les massacres du Dersim, Mehmet Ali Birand ajoutait qu’il n’y avait pas  » d’autre solution que de faire face aux fautes que nous avons faites dans notre histoire et discuter de nos responsabilités » et que le problème arménien entrait dans cette catégorie. Voilà une évolution intellectuelle qui mérite d’être signalée, même s’il ne faut pas l’étendre à toute la société turque.  Il n’empêche. De tels propos dans la bouche d’un éditorialiste sont courageux en ce qu’ils ne présentent plus la vérité  du génocide des Arméniens comme l’effet de la propagande arménienne,  mais comme un fait historique qui mériterait d’être regardé en face.

A lire également : Pas plus que la pie n’est voleuse, la Turquie n’est menteuse.

Mais aussi ICI

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Pourquoi les archives de l’Etat-major ne devraient-elles pas être ouvertes ?

par Mehmet Ali Birand

Hürriyet Daily News, 25.11.2011

 

 

Sincèrement, je considère le débat sur le Dersim comme important. Peu importe, en vérité, que le Premier ministre ait révélé des documents d’archive déjà connus ou qu’il ait mis ce sujet sur le devant de la scène afin de miner le principal parti d’opposition, le CHP, Parti Républicain du Peuple. L’important est que le Premier ministre ait ouvert le couvercle de la boite de Pandore, que l’on gardait fermé. Cette boite ne pourra plus jamais l’être à nouveau. La Turquie trouvera ainsi le courage de faire face aux sombres pages de son passé.

Parallèlement, le débat sur le Dersim met aussi au jour une autre réalité. A savoir, l’impossibilité d’ouvrir les archives de l’Etat-major. Les archives les plus importantes du passé se trouvent entre les mains de l’Etat-major. Ce qui est bien naturel, puisque la force la plus importante de l’époque précédente était l’armée. En outre, tant que ces archives ne seront pas mises au jour, il est évident qu’il ne sera pas possible d’organiser un débat sain.

Alors, pourquoi et aux yeux de qui ces archives sont-elles dissimulées ? Chaque pays dévoile ses archives, quelle qu’en soit la confidentialité, après un certain laps de temps, alors que nous, nous vivons derrière un voile de confidentialité. Pourquoi ?

Je n’arrive pas à trouver de réponse réaliste à ces questions.

Les procureurs devraient interroger Çiller à propos du 28 Février (1)

Finalement, le 28 février fera l’objet d’une enquête. Si vous me posez la question, il est grand temps de le faire.

Ceux qui s’en souviennent doivent savoir que le 28 février 1987, une « menace de coup d’Etat », fut mise à exécution de la manière la plus ouverte et déclarée, comparé à la période marquée par « l’agenda des coups d’Etat », contenant des préparatifs de coups d’Etat par certains hauts gradés durant les années 2003 et 2004.

Les services du Chef de l’Etat-major annoncèrent à qui voulait l’entendre qu’ils interviendraient, à moins que la coalition Erbakan-Çiller ne se démît.

Mettons à part une tentative de coup d’Etat qui était à l’étude. Même le Président d’alors, Süleyman Demirel, lorsqu’il fut accusé de ne pas avoir protesté contre cette tentative, est connu pour avoir déclaré : « Si le gouvernement n’avait pas démissionné, l’armée serait intervenue. J’ai empêché cela. »

Ce genre d’intervention militaire ouverte dans la vie politique a déjà été expérimentée, mais, d’une certaine manière, l’institution judiciaire n’a pas ou n’a pas voulu agir à ce sujet. Les juges qui ont ouvert des procès fondés sur les assertions et les raisonnements les plus improbables dans les affaires Ergenekon et Sledgehammer (Balyoz) et qui continuent de procéder à des arrestations aux dépens du consensus social, ont choisi de passer outre le 28 Février.

Finalement, on fit le nécessaire et l’affaire couvrant une autre période sombre de notre histoire récente a été ouverte.

Je le sais fort bien, car j’ai réalisé un documentaire sur cette période. Il s’agit d’un processus qui n’a aucun secret, une époque où des points de vue opposés s’affrontaient et où les militaires insistaient pour que l’affaire fût réglée à leur façon. La majorité des principaux acteurs (Necmetin Erbakan excepté) sont en vie.

Je conseillerais aux procureurs de commencer par l’ancien dirigeant du Parti de la Juste Voie (DYP), Tansu Çiller. Elle est celle qui connaît le mieux ce qui précéda ces événements et qui a fait quoi. Personne n’a vécu plus intimement le 28 Février qu’elle. Par ailleurs, à ce jour, elle n’a ouvertement partagé ses souvenirs avec qui que ce soit.

Vous verrez, cette enquête révèlera des jeux et des conspirations telles qu’elles nous stupéfieront au point que les arbres en perdront leur feuillage.

Pas de doute, Amberin ! Nous n’aimons pas les étrangers ! (2)

Dans un éditorial sur la chaîne Haber Türk, Amberin Zaman se demandait : « Les Turcs sont-ils racistes ? »

Elle disait répondre à cette question par un « Non ! » ferme, mais elle a maintenant changé d’avis. Journaliste originaire du Bangladesh, Amberin est qualifiée de « sale Bengalie » ou encore, du fait de ses prises de position sur la question arménienne, de « sale Arménienne ».

Le cliché – « Les Turcs sont tolérants envers les étrangers, ils sont hospitaliers, ouvrent leurs bras et aident » – n’est que mensonge.

Vérité amère… Que nul ne s’en offense, mais Amberin Zaman a raison.

NdT

  1. Allusion au renversement, le 28 février 1997, du gouvernement élu de l’islamiste Necmetin Erbakan, par l’armée turque, au nom de la « défense de la laïcité ». Tansu Çiller, députée, fut Premier ministre de Turquie du 25 juin 1993 au 6 mars 1996.
  2. Allusion à Amberin Zaman, correspondante en Turquie de The Economist, à l’origine d’une récente polémique sur un complot visant l’actuel Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan.

Source : http://www.hurriyetdailynews.com/n.php?n=why-would-the-archive-of-the-general-staff-not-be-opened-2011-11-25

Traduction : Georges Festa pour Denis Donikian – 11.2011

30 octobre 2011

La véritable catastrophe, c’est…

La véritable catastrophe, c’est la mort du témoin. Voilà une phrase qui pourrait passer pour apophtegme en matière de génocide. Ce ne serait plus le génocide en lui-même que les Arméniens d’aujourd’hui considéreraient comme une catastrophe, mais l’impossibilité d’en témoigner. Comme si la victime d’un crime violent avait brusquement moins de valeur que son témoin, puisque la disparition de ce dernier équivaudrait à l’effacement du crime.

Certes, nous le comprenons bien. Un génocide ne réussit que s’il se dissout dans l’histoire. Dans une histoire virginisée par l’amnésie volontaire d’une nation criminelle soucieuse de se hisser au rang des pays civilisés, fusse par le mensonge.

Il est vrai aussi que par définition un témoin mort ne pourra jamais témoigner dans un procès qui ne pourra plus jamais avoir lieu.

Mais la mort du témoin, sa mort en tant que personne et sa mort en tant que témoin, parvient-elle jamais à faire oublier un crime aussi massif ? Le témoin mort, reste son témoignage. Par exemple tout le travail de Raymond Kévorkian dans son livre magistral intitulé «  Le génocide des Arméniens » s’appuie, entre autres, sur ce qui ce qui a été rapporté par les victimes.  D’autres historiens ont fait de même. La Turquie peut toujours protester aujourd’hui en disant : « Prouvez-le ! » Il n’empêche. Le Nuremberg des Jeunes-Turcs a eu lieu, fût-il un Nuremberg avorté.

N’en déplaise aux partisans de la thèse du témoin mort, je ne crois pas qu’elle empêche que soit avéré le génocide commis en 1915.

Car la chose demeure. Elle demeure comme un trou noir, tant dans l’histoire que dans les hommes. L’effacement matériel n’étant jamais absolu, il existe comme substance d’un manque. Et quand bien même on aura réduit en poussières les églises et remplacé les noms, il restera toujours l’emprunte du néant dans les esprits, dans la mémoire des corps. Au bout d’un siècle, cette mémoire fonctionne encore. L’interrogation travaille aujourd’hui de plus en plus la société turque. Aujourd’hui les petits-enfants des Arméniennes mariées à des Turcs découvrent leurs origines. Demain, viendra le tour des Turcs eux-mêmes soucieux de savoir si leurs ancêtres étaient parmi les bourreaux.

De fait, à la question de savoir ce qui constitue la véritable catastrophe du génocide des Arméniens, chacun pourra donner son point de vue.  A ce jeu, chaque survivant viendra ajouter sa part à la part de l’autre. Aux appréciations intimes se mêleront des considérations plus générales, les partielles aux plus exhaustives, les intelligentes aux plus banales…

Pour ma part, la véritable catastrophe, c’est de survive encore la pathologie de l’amputation.

Je dis pathologie dans la mesure où la perte brutale du territoire ancestrale et la perte par le mépris et la mort de leur humanité demeurent chez les Arméniens un cancer moral qui, à des degrés divers, les travaille ou les ronge au plus intime. Les Arméniens sont restés des âmes errantes qui hantent les pays du monde sans pouvoir jamais trouver leur place. Ce sont des esprits flottants qui ne savent plus où s’ancrer, même si un pays existe et qu’une langue se parle qui racontent leur mémoire. Mais un pays comme un pis aller qui n’aura jamais la saveur du vrai lieu.

Je dis amputation car de la même manière qu’un mutilé éprouve une douleur dans la jambe qu’on lui a arrachée, les Arméniens ont mal aux terres auxquelles leurs parents furent brutalement soustraits. Ces terres, leurs terres, celles-là mêmes où leurs ancêtres développèrent leur humanité. Une humanité qu’on leur a déniée et qu’on leur dénie encore.

Non, rien n’est mort. Tout se perpétue, à savoir l’humiliation sans pardon, l’humiliation continue, la déshumanisation permanente non  par le sang, mais par le viol du droit sous l’œil d’une communauté humaine ramollie par l’absence de toute conscience morale. La mort du témoin physique n’a pas clos le débat. Celui qui est en chaque Arménien comme une plaie vive, faite de rage, de douleurs et de folies.

d. donikian

13 août 2010

« Journal de déportation ». Ah quel titre ! À quel titre ?


Dans ses souvenirs personnels sur les années 1914-1919, intitulés Anidzial dariner, soit en français  Années maudites, Yervant Odian raconte comment il fut obligé de changer de nom. Devenu Aziz Nouri, islamisé et négociant en lampes. Une question de survie. Comme ces femmes arméniennes qui porteront sur leur peau le tatouage symbolisant leur désarménisation. Marquées au sceau d’une schizophrénie résignée.

Pour sa part, Yervant Odian n’aura de cesse qu’il réintègre son patronyme. Son livre raconte l’odyssée qui, en trois ans et demi, va de la perte à la récupération de ce nom qu’il aura mis trente ans à construire par l’écriture. Puis, après son retour à une vie normale, il intitulera par l’expression Années maudites sa chute dans l’abîme de la désidentification forcée. C’est ce qu’il a voulu donner comme nom à ces pages de son existence arrachées à l’oubli de soi. Titre on ne peut plus adéquat comme l’ultime révolte contre la malédiction qui aura pesé sur tous les Arméniens durant cette période noire d’une guerre à l’intérieur de la guerre. Guerre ethnique au sein d’une guerre mondiale.

Renseignement pris, les Éditions Parenthèses, qui ne sont pas à leur premier coup de baguette magique, ont délibérément décidé de substituer au titre choisi par Yervant Odian celui de Journal de déportation. Un éditeur a le droit de penser à sa boutique. Mais a-t-il tous les droits, même d’abuser de l’absence des ayants droits, en l’occurrence ceux de Yervant Odian ?

Il est vrai que Journal de déportation constitue un titre plus porteur qu ‘Années maudites. Il vous cible une clientèle bien plus large que le cercle de plus en plus étroit des lecteurs arméniens. Une clientèle qui commence avec la communauté juive, nation « exemplaire » dans ce domaine,  et qui englobe toutes les formes d’exil, collectif ou individuel, tous les déplacements de population qui racontent l’histoire d’une humanité en proie à la terreur.   Donc, ce titre fait vendre. Mais ce n’est pas un beau titre. Car ce n’est pas un titre vrai. Ce n’est pas un titre de Yervant Odian. C’est un titre des Éditions Parenthèses. Un titre commercial et non un titre humain. Et c’est encore le rapt d’une identité. Un tatouage tragique et farfelu sur la peau d’une couverture résignée à l’impuissance. Une affaire d’éthique.

Ce n’est pas un titre vrai car Yervant Odian n’a pas écrit son livre au jour le jour. Mais seulement après son retour à Constantinople. D’ailleurs, le pouvait-il ? Certes, durant certaines périodes d’accalmie il parvient à prendre des notes. Trois cahiers pleins qu’il dissimule dans une cachette et qu’il se résout finalement à détruire de crainte que sa découverte ne compromette ses amis et ne mette en danger sa propre existence. Mais comment peut écrire un homme qu’on chasse en permanence vers le désert pour qu’il y crève comme un chien ? L’homme traqué a la tête bien trop chaotique pour faire une pause. Harcelé, il regarde de tous côtés,  surtout devant. Il cherche une issue de survie. Mais les Éditions Parenthèses ont un cœur bien trop commercial pour l’entendre de cette oreille. Les Éditions Parenthèse forcent Yervant Odian à sortir chaque soir un papier qui n’existe pas, d’un tiroir qui n’existe pas, et à écrire sur une table qui n’a pas sa place dans une prison bondée de brigands et puant la saleté. À telle enseigne qu’on est en droit de se demander si les Éditions Parenthèses, bien pourvues en papier de toute sorte et en tables de bureau, ont pris soin de soumettre la traduction à une relecture scrupuleuse, comme on le fait dans toute bonne maison de publication avant de mettre un livre sur le marché. Histoire non seulement d’effacer les anomalies qui auraient échappé au traducteur, mais aussi de comprendre qu’Yervant Odian  n’était pas en mesure de tenir un journal concernant sa déportation. D’autant que s’il l’avait vraiment fait, son livre écrit à chaud n’aurait pas pris la forme que lui confère la distance due à ce qu’il nomme en sous-titre des « souvenirs personnels ». L’expression Journal de déportation détruit d’emblée la poétique du livre. En ce sens, disons-le tout de go, ce titre apocryphe relève aussi d’une affaire esthétique.

Malheureusement, le premier sur lequel retombe pareil faux pas est le traducteur. Les naïfs auront beau jeu de l’incriminer pour avoir trahi l’auteur en affublant son livre d’un titre fallacieux. Déjà, ici ou là, des voix protestent à son encontre. Ignorant quel homme scrupuleux est le traducteur. Et si respectueux de Yervant Odian qu’on n’aurait pas eu besoin de lui téléphoner pour apprendre de sa bouche que ce surtitre n’est pas sorti de sa plume. Mais quand on met un traducteur devant le fait accompli, que la couverture est tirée, le livre imprimé, que lui reste-t-il contre quoi se battre sinon le dégoût et la démission.  D’où il ressort de cette affaire qu’elle est également une affaire morale.

Mais le plus grave est la confusion qui découle d’une pareille bévue. Laissons au profane le soin de démêler si Yervant Odian a écrit un ou deux  livres sur son exil des années 1915-1919. Journal de déportation et Années maudites fonctionnent comme deux titres de deux textes sur une même épreuve de la souffrance. Mais le mal semble déjà avoir été fait quand on retrouve dans tel ouvrage récemment paru ou telle recension  le seul titre de Journal de déportation. Je n’ose même pas envisager le cas du chercheur peu scrupuleux mentionnant ce dernier titre comme un ouvrage de Yervant Odian. Les autres auront à spécifier dans leur bibliographie qu’il s’agit d’une mauvaise traduction du titre originel. Une faute qui se répercutera sans fin et dont le traducteur fera sans fin les frais. Une faute éditoriale.

Regrettable, me direz-vous. Non, criminel. Un crime de lèse identité. Une monstrueuse spoliation. Une bêtise.

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A lire également Pratiques d’un éditeur.

12 août 2010

« Années maudites » de Yervant Odian

Présenté pour la première fois dans le périodique Jamanak (Temps) entre février et septembre 1919,  le récit que Yervant Odian a intitulé  Années maudites, 1914-1919, souvenirs personnels, publié en livre seulement en 2004 (Éd. Naïri, Erevan), vient de paraître sous deux traductions préfacées par Krikor Beledian, l’une en anglais (Gomidas Institute, Londres, 2009), l’autre dans une version française proposée par Léon Ketcheyan (Éditions Parenthèses, Marseille, 2010) sous le titre apocryphe de Journal de déportation. Yervant Odian raconte son périple, qui, de son arrestation à Constantinople, le 7 septembre 1915, le conduira jusqu’au cœur de la phase finale du génocide, à Al Busseira, au-delà de Deir ez Zor, dans les déserts de Syrie.

Obéissant à la règle journalistique de soumission aux faits, Odian répond à la brutalité des événements par un style brut, dépouillé de tout pathos littéraire, de tout jugement éthique, de tout commentaire d’ordre politique, et même de toute révolte, contrairement aux témoignages habituels du génocide (comme celui d’Aram Andonian). Il se contente d’évoquer les répercussions morales d’un monde où la discrimination anti-arménienne devient loi dans un contexte de turcisation absolue. Dès lors, kafkaïen avant la lettre, il se mue en un personnage de roman en proie à une culpabilité sans responsabilité, au cours d’une narration qui se donne à lire peu à peu comme une histoire universelle du mal.

L’arrestation tardive de Yervant Odian lui vaudra d’échapper au sort tragique des intellectuels arméniens emportés dans la rafle du 24 avril 1915. Par ailleurs, tout au long d’une odyssée faite d’emprisonnements, de fuites et de traques, il bénéficiera de complicités, d’aides pécuniaires ou d’appuis de toutes sortes, tantôt en raison de sa notoriété acquise par ses trente années de journalisme, tantôt en tant qu’Arménien. De fait, tout en provoquant un sauve-qui-peut généralisé parmi les victimes, la déportation suscite un vaste réseau de solidarités destiné à pallier des comportements arbitraires, à soulager des cas de misère extrême ou à combattre l’absurdité des règlements officiels.

Livre d’initiation au mal absolu, Années maudites constituent un voyage dans l’enfer réel d’une nation conduite vers son anéantissement, chaque membre, grand ou petit, étant marqué d’une faute imaginaire, celle de la trahison. Non seulement il dresse une tragique galerie de portraits d’Arméniens célèbres ou ordinaires confrontés à une déchéance désespérée et à la nécessité de survivre, mais décrit aussi des scènes de chasse à l’homme et de rapine dans lesquelles ils font figure de proie tant de la part des policiers turcs que d’individus mal intentionnés. En ce sens, Yervant Odian montre à maintes reprises que les femmes auront été sans nul doute les victimes les plus exposées du peuple arménien, tant par le viol que l’islamisation ou l’esclavage sexuel.

De fait, Yervant Odian, en se contentant d’énumérer la litanie de ses malheurs, démontre l’intention génocidaire des autorités turques. À l’exemple de tous ses compatriotes, victimes d’un ostracisme permanent visant à les neutraliser par un exil forcé aux marges du pays, il vit constamment sous la menace programmée d’une mort par abandon. Dans ce contexte de guerre, la déportation devient l’euphémisme recouvrant une politique d’extermination dont chaque bureaucrate turc devient l’instrument.

Voir également, sur la rafle du 24 avril 1915.

20 avril 2010

Bu acı BİZİM acımız. Bu yas HEPİMİZİN /Cette peine est la NÔTRE. Ce deuil est à nous TOUS.

Filed under: APPEL à DIFFUSER — denisdonikian @ 8:19
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Bu acı BİZİM acımız. Bu yas HEPİMİZİN.

1915’te, nüfusumuz henüz 13 milyonken, bu topraklarda 1,5 – 2 milyon Ermeni yaşıyordu. Trakya’da, Ege’de, Adana’da, Malatya’da, Van’da, Kars’ta… Samatya’da, Şişli’de, Adalar’da, Galata’da…
Mahalle bakkalımız, terzimiz, kuyumcumuz, marangozumuz, kunduracımız, yan tarladaki rençberimiz, değirmencimiz, sınıf arkadaşımız, öğretmenimiz, subayımız, emir erimiz, milletvekilimiz, tarihçimiz, bestekârımız… Arkadaşlarımızdılar. Kapı komşularımız, dert ortaklarımızdılar. Trakya’da, Ege’de, Adana’da, Malatya’da, Van’da, Kars’ta… Samatya’da, Şişli’de, Adalar’da, Galata’da…
24 Nisan 1915’te “gönderilmeye” başlandılar. Onları kaybettik. Artık yoklar. Çok büyük çoğunluğu aramızda yok. Mezarları bile yok. “Büyük Felaket”in vicdanlarımıza yüklediği “Büyük Acı” ise olanca ağırlığıyla VAR. 95 yıldır büyüyor.
Bu “Büyük Acı”yı yüreğinde hisseden bütün Türkiyelileri 1915 kurbanlarının anısı önünde saygıyla eğilmeye çağırıyoruz. Siyahlar içinde, sessizce. Ruhlarına yakacağımız mumlarla, çiçeklerle…
Çünkü bu acı BİZİM acımız. Bu yas HEPİMİZİN.
24 Nisan 2010
19.00
Taksim Meydanı, Tramvay Durağı

Çağrıcılar

Ahmet İnsel, Ali Bayramoğlu, Aslı Erdoğan, Avi Haligua, Ayhan Bilgen, Ayla Yıldırım, Aysın Yeşilay İnan, Ayşe Batumlu, Ayşegül Devecioğlu, Baskın Oran, Cafer Solgun, Cengiz Aktar, Cengiz Alğan, Deniz Zarakolu, Dilek Gökçin, Doğan Tarkan, Eren Keskin, Erol Köroğlu, Fahri Aral, Ferhat Kentel, Fethi İnan, Fethiye Çetin, Garo Paylan, Gülten Kaya, Hakan Tahmaz, Halil Berktay, Hayko Bağdat, Hilal Kaplan, Hürriyet Şener, İpek Çalışlar, İsmail Erdoğan, Jale Mildanoğlu, Kadir Cangızbay, Kerem Öktem, Kutluğ Ataman, Lale Mansur, Leman Yurtsever, Levent Şensever, Mahir Günşıray, Mehmet Demir, Mithat Sancar, Neşe Düzel, Nil Mutluer, Oral Çalışlar, Orhan Miroğlu, Osman Köker, Öztürk Türkdoğan, Perihan Mağden, Roni Margulies, Selim Deringil, Semra Somersan, Sezgin Tanrıkulu, Sırrı Süreyya Önder, Şanar Yurdatapan, Şenol Karakaş, Tamar Nalcı, Tanıl Bora, Tatyos Bebek, Turgay Oğur, Ufuk Uras, Ümit Kardaş, Ümit Kıvanç, Ümit Şahin, Vivet Kanetti, Yalçın Ergündoğan, Yaman Yıldız, Yasemin Çongar, Yıldız Önen, Zeynep Atamer, Zeynep Gambetti, Zeynep Tanbay.

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Cette peine est la NÔTRE. Ce deuil est à nous TOUS.

En 1915, quand notre population était encore 13 millions, 1,5 – 2 millions d’Arméniens habitaient ces terres. À Thrace, à Egée, à Adana, à Malatya, à Van, à Kars… à Samatya, à Şişli, aux Iles de Prince, à Galata…

Notre épicier du quartier, notre couturier, notre orfèvre, notre menuisier, notre cordonnier, le cultivateur du champ voisin, notre meunier, notre camarade de classe, notre enseignant, notre officier, notre ordonnance, notre député, notre historien, notre compositeur… Ils étaient tous nos amis. Nos voisins, nos compagnons d’infortune. À Thrace, à Egée, à Adana, à Malatya, à Van, à Kars… à Samatya, à Şişli, aux Iles de Prince, à Galata…

Le 24 Avril 1915, ils ont commencé à “être renvoyés”. On les a perdus. Ils n’y sont plus. La plupart d’entre eux ne sont plus parmi nous. Ils n’ont même pas de tombes. Quant à “La Grande Peine” que la “Grande Catastrophe” / Médz Yeghern nous impose sur la conscience, elle EXISTE avec toute sa lourdeur. Elle ne cesse de grandir depuis 95 ans.

Nous invitons tous les gens de la Turquie qui ressentent cette “Grande Peine” dans leurs cœurs à rendre hommage à la mémoire des victimes de 1915. Silencieusement et vêtus de noir. Accompagnés de fleurs et de chandelles qu’on allumera pour leurs âmes.

Car, cette peine est la NOTRE. Ce deuil est à nous TOUS.

Avril 24 , 2010

19.00

Place Taksim

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This is OUR pain. This is a mourning for ALL OF US.

In 1915, when we had a population of only 13 million people, there were 1,5 to 2 million Armenians living on this land. In Thrace, in the Aegean, in Adana, in Malatya, in Van, in Kars…In Samatya, in Şişli, in the Islands, in Galata…

They were the grocer in our neighbourhood, our tailor, our goldsmith, our carpenter, our shoemaker, our farmhand, our millwright, our classmate, our teacher, our officer, our private, our deputy, our historian, our composer…Our friend. Our next-door neighbours and our companion in bad times. In Thrace, in the Aegean, in Adana, in Malatya, in Van, in Kars…In Samatya, in Şişli, İn the Islands, in Galata…

On April 24th, 1915 they were “rounded up”. We lost them. They are not here anymore. A great majority of them do not exist anymore. Nor do their graveyards. There EXISTS the overwhelming “Great Pain” that was laid upon the qualms of our conscience by the “Great Catastrophe”. It’s getting deeper and deeper for the last 95 years.

We call upon all peoples of Turkey who share this heartfelt pain to commemorate and pay tribute to the victims of 1915. In black, in silence. With candles and flowers…

For this is OUR pain. This is a mourning for ALL OF US

April 24th, 2010

19.00

Taksim Square, Tram Stop

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