Ecrittératures

6 avril 2015

Arménie, A l’ombre de la montagne sacrée

Filed under: Uncategorized — denisdonikian @ 8:35
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Les petits livres obligent à la concision dans la crainte du raccourci. Alors que la grande cavalerie des mastodontes galope déjà depuis bientôt quatre mois sur le parcours du centenaire du génocide arménien, l’ouvrage de Tigrane Yegavian la joue discrète, sans pour autant céder à la complaisance. En effet, s’il est justifié de crier haut et fort que les Arméniens ont été victimes d’un génocide il y a cent ans et que depuis, la Turquie se mure dans son crime de silence (voir le livre de Gérard Chaliand, chez l’Archipel), encore faut-il présenter aux profanes qui sont ces Arméniens d’hier et d’aujourd’hui qui fon tant parler d’eux. Or cette monographie, (que devrait bientôt compléter celle de Séta Mavian), publiée dans la collection L’âme des peuples, aux éditions NEVICATA, est un véritable bijou d’intelligence et de savoir-faire. Pour avoir rencontré Tigrane Yegavian, je peux assurer que le jeune homme sait garder toute sa lucidité tout en nourrissant une réelle passion pour le peuple arménien. Une jeune homme qui vient de loin pour avoir parcouru non seulement l’Arménie actuelle, mais aussi l’ancienne avec les yeux d’un esprit hanté par l’inquiétude sombre du passé et les merveilles de sa culture.

L’ouvrage se partage en deux volets : une partie introductive et une autre d’entretiens avec trois hauts personnages de la culture arménienne, Jean-Pierre Mahé, Lévon Abrahamian et Ludmila Harutunian.

Ce n’est pas seulement le journaliste qui nous renseigne sur la République d’Arménie, mais aussi et surtout un Arménien dont l’avenir, quoi qu’il advienne, est nécessairement lié à ce pays. Comme journaliste, Tigrane Yegavian fait parler les autres, ceux qui vécurent, vivent ou se nourrirent de l’histoire de cette terre : l’écrivain Levon Khetchoyan, Kostan Zarian, Yeghiché Tcharens, Hovhannès Chiraz mais aussi Vassili Grossman et tant d’autres. De sorte que la lecture s’enrichit sans cesse des points de vue qui s’entrecroisent et donnent vie à la matière du livre. Et comme tout livre écrit sur les Arméniens, l’auteur tente de percer le secret de leur « dur désir de durer » au regard des pressions physiques de l’histoire et de la géographie. L’une de ces valeurs qui aident à perdurer : « l’adhésion charnelle à la croix arménienne, si reconnaissable, dont chaque extrémité annonce la vie éternelle ». A savoir, plus précisément, cette merveilleuse figuration du bourgeonnement qui « printanise » chaque angle des branches de la croix. De fait, l’Église arménienne aura réussi à maintenir, contre les tempêtes de l’histoire, l’esprit du peuple, son unité et sa foi, et aussi à nourrir sa consolation, sinon son fatalisme. Que pour certains, elle fut aussi cette faiblesse qui facilita le génocide, qu’elle rendit les âmes molles devant la perversité de leurs bourreaux, que la compassion aura conduit à la soumission, on ne le dira pas car ce n’est que partiellement vrai. Certains prêtres auront à tort conduit le peuple au légalisme, tandis que d’autres bénirent les armes. D’autre part, la conversion des Arméniens qu’on présente souvent comme radicale, miraculeuse et pérenne ne convainc pas. On sait que des restes de paganisme infuse la foi des Arméniens, même aujourd’hui. Que des croyances anciennes n’ont rien perdu de leur vivacité, qu’elles sont subtilement niellées à la foi chrétienne. Bref, que le christianisme s’est imposé comme religion d’État davantage par la force que par l’adhésion du coeur. (Ce qu’on a vu hier avec l’islamisation des Arméniens, aujourd’hui avec les agissements de l’Etat islamique, comme le firent les jésuites avec les primitifs ou même au Vietnam).

Tigrane Yegavian soulève aussi toutes les problématiques liées au génocide, évoque les manières de vivre à l’arménienne, les rapports de l’Arménie avec la diaspora, le conflit infini du Karabagh. Bref, un texte tout en nuances qui s’inscrit dans les livres d’initiation, de passion ardente et de rêve douloureux.

Editions NEVICATA

9 €

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